Interview // Hocus Pocus – 20Syl

vendredi 18 juin 2010, par SURL.

C’est dans le cadre du Festival Europavox que nous avons pu rencontrer Hocus Pocus. Nous avons rendez-vous à 17h avec 20Syl pour lui poser nos questions. Manque de chance, mon train en provenance de Paris prend du retard et je n’arrive qu’à 17h30 sur place. C’est alors que le staff du festival nous annonce que la conférence de presse à laquelle nous devions participer, en raison d’une demande trop importante d’interviews, est terminée. Mais rien ne nous arrête et c’est grâce à l’aide précieuse d’un membre du staff que nous arrivons à croiser 20Syl au détour de sa loge. Il accepte avec grande gentillesse de nous accorder quelques minutes. C’est sans surprise que nous découvrons un type simple, ouvert et très accessible. L’interview peut commencer.

SURL: Pour commencer, on va faire classique. Pourquoi Hocus Pocus ?
20SYL: Hocus Pocus, c’est une formule magique, l’équivalent d’abracadabra en gros et on l’a choisi en 1995 parce qu’on avait un concept autour de la magie, notre premier album s’appelle « Première formule ». Oui, c’est tout un concept autour du délire magique on va dire, entre la musique et la magie. Mais depuis, on a abandonné le concept de la magie pour garder que le nom.

Alors que vous côtoyez également le monde du MCing, qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre le micro et d’explorer les multiples facettes du monde musical ?
En réalité, on a commencé en 1995, moi j’étais batteur avant de commencer à faire du hip hop et après j’ai commencé à rapper avant de toucher aux platines. J’ai revendu ma batterie pour m’acheter une MPC et commencer à faire des prods, et aussi une platine pour scratcher. En fait on avait envie de tout faire un peu de nous même et c’est cette envie d’être un peu « touche à tout  » qui nous a amené à créer un peu plus tard C2C (NDLR: Coup 2 Cross), notre collectif de DJs.
Mais en parallèle (il insiste bien), Hocus Pocus existait déjà, avant C2C, et voilà c’est juste une question de planning, des moments on est occupé avec C2C et d’autres avec HP. C’était deux passions qu’on menait en parallèle en fait, parce que si t’écoutes du C2C, c’est un peu dans la même veine organique, avec des influences jazz et soul avec pour seule différence le fait d’être derrière un micro ou derrière les platines.

« Quand on a été fan du Wu Tang, c’était autant pour les sons de RZA que pour les couplets de Method Man ! »

On compare souvent votre musique au style jazz-américain des années 90 mais au fond, quelles sont vos véritables influences ?
Je pense que c’est plutôt les producteurs, les compositeurs et les beatmakers qui nous ont influencé plutôt que les rappeurs à proprement dit. C’est vrai que nous, on est resté bloqué sur des gens comme Pete Rock, Jay Dee, DJ Premier ou DJ Shadow même, tout ces gens qui avaient une approche musicale du hip hop, ceux qui en faisaient la bande-son en fait (il sourrit). Nous, on écoutait plus les albums de rap pour les sons, quand on a été fan du Wu Tang, c’était autant pour les sons de RZA que pour les couplets de Method Man ! C’était un peu tout ce côté musical qui nous a donné envie.

Pour la transition pouvez-vous nous dire s’il y a un rapport entre les titres des 3 derniers albums, 73 touches, Place 54 et 16 Pièces, est-ce une suite ?
Ouais un peu, je pense que ces trois albums, on peut les considérer un petit peu comme une trilogie. Y a pas de codes dans ces chiffres mais c’est juste un moyen de les faire coïncider ces trois albums que de mettre des nombres dans les titres et de se dire: « c’est une suite logique, y a pas eu de ruptures entre ces albums mais on a juste eu envie de préciser notre style, d’appuyer un petit peu les arrangements, l’écriture, et puis de se perfectionner au fil du temps. »

« Par rapport à ce qu’on est, à l’endroit où on vit, on a pas forcément vécu les mêmes problèmes que les gens qui habitent dans des banlieues. »

Vous êtes bien loin des clichès « voyous du ghetto » mais pourtant votre musique est reconnue dans le monde du hip hop, cette simplicité justement n’est-elle pas la raison du succès d’HP ?
Non, on est simplement nous, on est comme on est, plutôt discret, timide, le « bling bling »… c’est vraiment pas notre délire ! En plus par rapport à ce qu’on est, à l’endroit où on vit, on a pas forcément vécu les mêmes problèmes que les gens qui habitent dans des banlieues. Nous, on est de Nantes, on est plutôt d’origine rurale qu’urbaine donc voilà, on préfère être honnête avec nous mêmes et faire une musique qui nous correspond.

Dans 16 Pièces, alors qu’on pensait que vous faisiez votre bout de chemin de votre côté, vous avez ouvert la porte à Oxmo, et AKH, pourquoi eux ?
Ben c’est justement pour montrer qu’on avait aussi des kifs dans le rap français et qu’on en est de gros fans. Maintenant l’autre raison c’était que c’était évident pour ces morceaux là. On avait envie d’avoir ces mecs là sur ces titres parce que la musique, le thème appelaient à les inviter ! C’est vraiment pas l’envie d’avoir des noms hyper connus, mais plus celle de faire des bons morceaux tu vois ! Donc, la poésie d’Oxmo, le talent et la culture d’AKH, c’est vraiment ce dont on avait besoin.

Dans vos 3 derniers albums reconnus sur la scène nationale, vous n’hésitez pas à faire appel à des artistes étrangers pour la plupart du temps anglophones. Comment les choisissez-vous et pourquoi ?
Ben c’est vrai que nous on fonctionne beaucoup par affinités et par kifs donc quand il y a un contact humain qui s’établit et qu’on s’entend bien, qu’on a l’impression d’être sur la même longueur d’onde artistique avec des gens comme les Procussions (NDLR: en feat. sur le titre Vocab), ou comme des gens qui sont de chez nous, pas forcément américains comme avec Élodie Rama. Ouais, c’est des gens qui sont pas connus mais c’est juste que, musicalement, ils apportent vachement à ce qu’on fait et en plus maintenant on s’entend super bien avec eux, c’est devenu des amis avant d’être des « collègues de musique » (sourire) ! Le but, c’est vraiment de passer des bons moments avec eux.
On a parfois tenté de contacter de gros artistes comme De La Soul, Q-Tip, des gens comme ça mais en général, on reste bloqué au niveau du management, et ils nous annoncent des tarifs incroyables. Du coup on lâche l’affaire tout simplement parce qu’on a plus envie de sentir le « kif » quoi !

« Mon côté matérialiste, que j’ai du mal à assumer, le côté comportemental d’un mec qui a un regard sur le monde et sa pauvreté, qui l’explore et qui fait rien pour que ça change. »

Sur le titre « Marc », vous parlez des clichès souvent associé à cette nouvelle génération alors qu’en réalité vous paraissez être des gens extrêmement simples. Que dénonce véritablement ce morceau ?
Je dirai que c’est plus un morceau qui questionne en fait un peu à la manière de Rocé sur son dernier album. C’est « questions/à vos réponses », j’aime bien cette expression, c’est à dire la philosophie d’être en perpétuelle remise en question, de parfois douter, c’est aussi vachement important. Et voilà, ce morceau là finalement, il est parti d’un truc tout con. Quand j’étais petit j’avais réellement un copain imaginaire qui s’appelait Marc. Je jouais avec Marc, c’était un moyen d’avoir un alter-ego en quelque sorte. Et je me suis dit que cet ami imaginaire, il était peut-être resté en moi jusqu’à aujourd’hui encore, et qu’il est devenu le côté sombre de ma personnalité. Parfois le côté matérialiste, que j’ai du mal à assumer, le côté comportemental d’un mec qui a un regard sur le monde et sa pauvreté, qui l’explore et qui fait rien pour que ça change. C’est un peu ce que j’aborde aussi dans « J’attends », finalement, c’est de la remise en question, c’est un moyen de se dire, voilà, je joue un rôle dans ce monde là mais je suis quoi finalement ?
Après c’est vrai que y a un bout de texte où je parle du matérialisme vestimentaire comme quoi, on entend souvent des critiques sur les enfants travailleurs etc., n’empêche qu’on veut tous la dernière paire de Nike ! Voilà, c’est plus des contradictions que je mets en valeur, et Marc joue le rôle de l’alter-ego et du côté un petit peu sombre de la personnalité de chacun. Est-ce qu’on a pas tous une part de Marc en nous ?

Le clip Beautiful Losers est juste un bijoux visuel, comment est-venue l’idée de faire quelque chose de très illustré ?
On a toujours fait ça dans nos clips, on a toujours voulu rechercher ce côté graphique, créatif et original, que ce soit avec Arthur King et là avec Nino et Wu Yue, on avait presque envie de retourner dans une imagerie à la Roger Rabbit tu vois (rires) ? Le côté cartoonesque, ils savent vraiment faire, ils ont bossé pour des mecs comme Kid Cudi et puis je trouve que ça colle parfaitement aux propos. En plus ce morceau là, il est assez opaque finalement, c’est pas toujours évident de savoir de quoi il s’agit, et le fait d’avoir choisi d’imager les propos, ça aide à la compréhension.

Comment-voyez vous Hocus Pocus dans 10 ans ?
Ben que déjà on vive encore de notre musique, qu’on soit toujours autant passionné qu’on l’est ! Je rêve pas de trucs grandioses hein, j’aimerai juste qu’on continue ce qu’on a mit en place, même si j’espère qu’on aura su se renouveler, faire des disques qui apportent beaucoup de fraîcheur et d’idées et qu’on s’amusera encore.

S’il y avait un seul et unique artiste pour une collaboration ?
Stevie Wonder ! (catégorique) C’est la réponse que je donne tout le temps, mais vraiment, c’est un artiste exceptionnel !

Meilleur morceau d’HP tout album confondu ?
Huuum… peut-être « Pascal » parce que je trouve qu’en terme de story-telling et de déroulement du morceau, on a vraiment bien réussi ce qu’on voulait faire. Et j’trouve qu’il y’a tout dans ce morceau, j’aurai vraiment voulu en faire un clip !

Pour moi c’est « Vocab » !
Ah ouais ?! (en souriant) Mais « Vocab », tu peux en faire un bon morceau mais c’est de l’énergie pure ! Après le concept en lui-même est assez anecdotique alors que « Pascal », c’est un vrai concept.

Meilleur album hip hop de la dernière décénnie ?
Huumm… « Like Water For Chocolate » (NDLR: 4é album de Common), c’est fin des années 90 mais j’espère que ça marche quand même ! Bon aller, si on prend vraiment dans les dix dernières années je dirai… huuuum… tu vois l’album de Little Brother, « The Listening », il me semble que c’est sorti après 2000, ça serait ça.

Pourquoi la colle ne colle pas l’bouchon ? (référence au titre « I Wanna Know » de l’album 16 Pièces )
(Il se marre) Grande question ! Non mais voilà, ce morceau, c’est vraiment une succession de questions graves et peu sérieuses, j’avais vraiment envie de mettre côte à côte ce genre de choses, comme « J’voudrais savoir dire liberté en coréen » à côté de « Pourquoi la colle ne colle pas le bouchon » !

Thomas Bringold & Lisa Beauchet.
SURL MAGAZINE remercie 20Syl, l’agence EPHELIDE et le staff Europavox pour leur disponibilité et leur générosité.

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HOCUS POCUS.
EPHELIDE.

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