Dix personnes à qui J Dilla a vraiment changé la vie

mercredi 10 février 2016, par SURL.

Il y a dix ans jour pour jour, J Dilla décédait chez lui, à Los Angeles, des suites d’une longue lutte contre la maladie. 72 heures après son trente-deuxième anniversaire et la sortie de son sixième et dernier album, Donuts. Depuis, les hommages pleuvent et beaucoup remercient le producteur de Detroit pour avant tant apporté à leur existence. La légende dit même qu’il aurait véritablement changé la vie de certains. Nous les mettons en lumière aujourd’hui.

Le rap doit beaucoup à J Dilla, notamment parce que, sans lui, nombre d’apprentis beatmakers n’auraient pas essayé de l’imiter. En moins bien, évidemment. Et ensuite parce qu’il a plus fait pour la musique noire américaine que Sarkozy en quatre ans pour les idées du FN, c’est dire si l’homme était productif. Des albums en pagaille, en solo ou en groupe, des collaborations incroyables bref, un artiste un vrai, emporté trop jeune. Mais finalement, n’est ce pas aussi ce qui fait son charme ?

Pour autant, nous avons décidé d’éviter de dégouliner de nostalgie visqueuse sur nos joues imberbes ou pleine de poils. Pour célébrer l’impact de James Yancey et se moquer aussi au passage du business mortuaire entourant son oeuvre, on a imaginé dix personnes dont la vie a réellement changé grâce/à cause de J Dilla.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DU MEC QUI A INVENTÉ LE T-SHIRT « J DILLA CHANGED MY LIFE »

Paris, un soir du printemps 2006, Michel Bensoussan est au plus mal. Son entreprise d’import export de textile est en berne. Malgré le succes retentissant de sa ligne de t shirt « Le rap c’était mieux avant », Michel se trouve saigné à blanc par le fisc. Pour noyer son chagrin, Michel erre de bars en bars et finit aux Bains Douches. Pendant que DJ Abdel tente un adroit mash-up entre « Last night a DJ saved my life » et « Selfish » de Slum Village, Michel a eu une illumination. En rentrant bourré chez lui a 5h du mat, il s’empare du PC portable de son fils et ouvre Photoshop. Quelques clics plus tard, Michel tenait enter ses mains le meilleur coup de sa carriere. Un t-shirt noir avec inscrit en police impact 12 blanche « J Dilla Changed My Life ». Depuis, les apprentis puristes lui disent merci.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DU MEC QUI S’EST PRIS SES VINYLES SUR LE PIED

Ce jour-là, Louis le redoutait. Convié depuis des semaines au déménagement du pote d’un pote nommé Fabien, il avait cherché toutes les excuses possibles pour y couper. Il ne se souvenait pas bien de ce qui l’avait conduit ici, mais toujours est-il qu’il se trouvait là, à se bousiller le dos pour un mec qu’il ne reverrait jamais. « Allez Louis, plus qu’un carton et je te paye une bière ! Fais gaffe c’est fragile. » Les muscles en compote, Louis s’empare du carton et s’attache à descendre les escaliers. Au bout de quelques marches, le bruit du scotch qui craque résonne. Une pluie de vinyles estampillés J Dilla lui tombent sur le pied. Résultat : Louis s’effondre dans les escaliers dans un plongeon digne des meilleurs footballeurs italiens. Les docteurs n’ont même pas réussi à compter le nombre de fractures et plusieurs mois plus tard, Louis est toujours en rééducation. Merci Jay Dee, super.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DU MEC QUI A RÉALISÉ QUE LE LUPUS, C’ÉTAIT PAS QUE DANS DR HOUSE

En 2005, des rumeurs autour de l’état de santé de J Dilla commencent à se propager. Au mois de novembre, quand il fait une tournée en Europe en fauteuil roulant, la gravité de son état devient publique. Jay Dee souffre d’une thrombocytopénie, une rare maladie du sang, et possiblement de lupus. Quand Michael voit son producteur préféré sur scène dans cet état, c’est le choc. Quand il en cherche la cause et qu’il lit « lupus », sa stupeur est double. Fan de Dr House, il pensait que la célèbre maladie auto-immune n’était qu’une légende : au cours des huit saisons de la série, Hugh Laurie a diagnostiqué 29 lupus. Mais à chaque fois, à dix minutes de la fin de l’épisode, twist final : « It wasn’t lupus. » Michael, comme tous les fans du show, avaient donc toujours cru que c’était une licorne. La mort de Dilla est une révélation : le lupus est une réalité qu’il devra combattre. Il se lance dans des études de médecine et décroche son diplôme.

Aujourd’hui, à 29 ans, Michael est médecin généraliste à Périgueux. Merci Jay Dee.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DE SON VOISIN DEVENU SOURD A CAUSE DU BEATMAKING INCESSANT

Jeff pensait avoir fait le bon choix en investissant dans cette petite piaule pas trop chère et plutôt bien située. « Une bonne affaire », qu’ils disaient. Très vite, il comprend son erreur. Le voisin reçoit un défilé incessant de visiteurs. Jeff n’est pas lourd, en temps normal il ne dirait rien. Si ce n’était que ça. Le pire, pour lui, ce sont ces basses incessantes et les samples grillés qui déroulent sans cesse dans la sono réglée sur le volume maximal de son voisin. Que ledit voisin soit un grand espoir du beatmaking nommé J Dilla, Jeff s’en fout pas mal : il n’a jamais aimé le rap. Mais qu’il passe ses journées à produire des sons sans interruption avec si peu de respect pour le voisinage, ça l’excède. Un an passé comme ça et Jeff a donné tout ce qui lui restait pour déménager. Sauf qu’aujourd’hui, Jeff répond « quoi ? » quand on lui parle. Merci qui ?

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DE KARIM, VOLONTAIRE POUR FAIRE LE DJ POUR SA PROMO

Karim est un mec populaire dans sa promo. Sans aucun doute le mec le mieux sapé de son master Sciences de la matière, spécialité formulation et traitement des surfaces. Il est invité à toutes les fêtes. Cette année, quand le président de l’asso étudiante annonce une soirée mardi gras à la fin du mois, tout le monde se dit que Karim devrait s’occuper de la musique. Il doit forcément écouter du bon rap indé, lui qui porte des sneakers et semble indifférent à la « trap » et autres mouvances commerciales détestables. Nul doute que sa bibliothèque d’iPhone déborde de tracks underground dénichés dans les rayons d’un obscur disquaire. Ce que sa promo ne sait pas, c’est que Karim est fan de metal. Slayer est son groupe préféré et il rêve d’aller au Hellfest. Les morceaux de Black Sabbath des années 70 pourraient passer, mais difficile d’animer la teuf de la promo Sciences de la matière avec Meshuggah. Mais Karim ne veut pas décevoir ses camarades de classe et surtout pas Claire, cette petite blonde qui lui fait de l’œil depuis quelques semaines et qui déteste le rock. Heureusement, cette semaine, son pote Alpha a partagé quelques compiles de rappeurs morts. Il écoute un mix appelé Donuts qui lui a paru pas mal du tout après une demi-écoute. Karim a trouvé le filon : il passera la soirée à jouer les playlists de ce mec dont il connait à peine le nom sur son ordinateur portable. Une casque sur la tête et des baskets Kendrick Lamar devraient lui donner encore plus de crédibilité ; tout pour que Claire lui tombe dans les bras et qu’il la présente à ses parents six mois plus tard. Cimer Jay Dee.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DE CETTE ENTREPRISE SITUÉE SUR l’ALLÉE « JAY DEE » À MONTPELLIER

La Cappadoce, situé dans une petite rue, était l’un des pires kebab de Montpellier. Les seuls clients qui s’y arrêtaient n’avaient simplement pas d’autres choix. Il faut dire que la rue Ray Charles et l’avenue Nina Simone ont plus d’animation. En 2013 cependant, l’afflux de clients bondit : la petite rue dans laquelle se situe la Cappadoce change de nom. Désormais appelée allée Jay Dee, la ruelle a soudainement attiré de nombreux jeunes portant larges t-shirt noirs et baggy jeans. Souvent, ils y passaient même avec leurs copines, le genre à porter des chapeaux. Ils n’hésitent pas à s’arrêter pour un « grec » sans oignons. Depuis que les clients ne cessent de demander si le commerce vend des donuts, le propriétaire de la Cappadoce les a ajouté à sa listes des desserts. Ils se vendent mieux que les loukoums et ont permis de payer le loyer du commerce plus d’une fois. Merci Jay Dee !

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DE CE BATTEUR QUI NE VOULAIT PAS FAIRE DU ROCK

Thierry est un très bon batteur. Un excellent batteur même, au point que tous les groupes de rock du moment le demandent. Le genre de mec aux doigts de fée conçus pour les roulements de tambour et frappes de cymbales. Mais un jour, Thierry a regardé Whiplash et ce fut le choc : « Si tu ne t’entraînes pas assez, tu finiras batteur dans un groupe de rock. » Le charisme de J.K. Simmons l’effraie ; le long-métrage le marque au point qu’il abandonne complètement l’idée de se laisser pousser les cheveux et de rejoindre les Mermaids In the Basement ou autre groupe au nom complètement absurde. Il ne fera pas de rock. Il ne fera pas de jazz non plus, tout simplement parce qu’il trouve ça chiant à mourir. Et c’est à ce moment que Thierry tombe sur l’histoire de J Dilla, ce producteur de rap qui a révolutionné son genre. Comme l’explique Brice Miclet dans Les Inrocks : « Jay Dee était batteur à la base, et il a longtemps composé ses instrus sans savoir “quantizer” les beats. Peut-être que l’explication de cette rythmique particulière vient de là, d’une sorte d’accident. Peut-être aussi de l’influence de la techno de son Detroit natal, qu’il revendiquera de plus en plus au fil de sa carrière. Toujours est-il que la scène hip-hop ne s’est jamais véritablement remise de son passage éclair sur Terre. » Thierry trouve sa voie et décide naïvement de faire carrière dans le rap, comme le regretté James Yancey.

Sauf que dans le rap, il n’y a pas d’argent et qu’il se retrouve rapidement au RSA. Il termine finalement dans un groupe de punks à chiens. Merci encore, Dilla.

J Dilla a changé la vie de cet ancien fan de Bruce Lee, démotivé par la rigueur des arts martiaux

Il n’aura fallu qu’une quinzaine de secondes à Damien pour réaliser, après la consultation simultanée de sa timeline Facebook et le visionnage de « Last Donut of the Night », qu’un changement d’idole s’imposait. La voie des arts martiaux n’est pas aussi accessible qu’un choix de LV3 avec un coef ridicule au bahut. Damien, dans une perpétuelle quête de crédibilité, se détourna du jeet kune do de salon et du wing chun KFC pour un J Dillisme de surface, ponctué par la consommation de donuts. Son diabète l’en remercie.

J DILLA A CHANGÉ LA VIE DE SA MÈRE

De compilations en rééditions, l’héritage de Dilla n’est pas que spirituel. Ce n’est pas sa mère qui nous dira le contraire. Devenue la gestionnaire de patrimoine la plus affûtée du rap game, devant celles de Biggie et de Tupac, elle gère le dossier avec la même habilité que son fils sur ses pads. Parce que l’argent ne remplacera jamais le chagrin, mais qu’avec de la verdure dans les poches ça va toujours un peu mieux. En nous quittant, Jay Dee a lancé la carrière de son frère et mis sa famille a l’abri pour plusieurs décennies. Les héros ne meurent jamais.

Article recommandés

Le bruit du monde : Biggie Smalls
SURL offre chaque mois une carte blanche à des plumes, rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes ou journalistes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de…

les plus populaires