Jay-Z a-t-il encore les pieds sur terre ?

jeudi 2 avril 2015, par Olivier Cheravola.

Étrange réunion de famille qui s’est déroulée lundi lors de la présentation de Tidal, le nouveau site de streaming lancé par Jay-Z. Sorte de G20 de la musique, la confèrence de presse aux allures de colloque international pour la sauvegarde de superstars multimillionnaires avait de quoi laisser dubitatif. Madonna, Rihanna, Beyonce, Deadmau5, J-Cole, Charly & Lulu Daft Punk, Kanye West, Nicki Minaj, Jack White et d’autres, tou(te)s auront défilé sur scène pour participer à une déclaration d’indépendance. Tou(te)s détiennent 3% de la marque. « La première plateforme musicale globale dont les artistes sont propriétaires« , lance la belle et candide Alicia Keys, qui avait enfilé son plus beau costume de communicante pour l’occasion.

DO THE RIGHT STREAM

Une sorte de conférence de Yalta sensée révolutionner l’industrie musicale. Car Tidal promet d’avantager artistes et utilisateurs, comme le scande le slogan « Tidal For All » – un même sens pour tous. Dans la vraie vie, Tidal est une plateforme de streaming à la Spotify payante, promettant une qualité de son studio HD. À une époque où la musique se consomme sur ordinateurs, tablettes ou smartphones, soit un matériel loin d’être idoine à cette qualité de son, l’opération consiste donc plus à poser un pansement sur une jambe de bois. Sans compter les points passés sous silence sur les réelles rétributions des artistes streamés, malgré les volontés affichées d’œuvrer pour une meilleure rémunération. Simple mascarade ou vraie volonté d’émancipation suivant l’affaire Taylor Swift vs Spotify ? La démarche semble un peu grossière et l’hypocrisie de l’annonce ne semble pas avoir échappé au reste de la sphère musicale, certains artistes se fendant de quelques avis tranchés.

 

I’m gonna create my own TIDAL just for my shit music. 50$/month. Horrible sound quality.Who needs Hi-Fi to listen to JAY Z and Madonna?

Posted by Mr. Oizo on Wednesday, April 1, 2015


Oh les jaloux, on se calme ?

 

On peut en effet s’interroger sur les raisons poussant Shawn Carter à se positionner comme sauveur de la musique. Pour rappel, Hova a quand même dépensé 54 millions de dollars pour racheter en janvier Aspiro AB, la société suédoise créatrice de Tidal, au nom de sa propre société, Project Panther Bidco. 54 millions pour une plateforme lancée sur le marché américain en novembre, disponible dans une trentaine de pays et proposant un catalogue de 25 000 chansons. 54 millions pour une service qui revendiquait 512 000 abonnés en Europe du Nord, Allemagne et Pologne à la fin du troisième trimestre 2014, très loin des 60 millions d’utilisateurs actifs – dont plus de 15 millions de payants – de Spotify. Pour tout dire, un peu inquiets pour la santé mentale de Hov’, on se demande si il n’est pas en train de planer complètement, à la manière d’un Matthew McConaughey dans Interstellar.

FIÈVRE ACHETEUSE

Devenir co-propriétaire des Brookyn Nets, c’était fun. Dépenser des millions pour une obscure marque de champagne française, ça collait avec le personnage. Acquérir une marque d’automobile roumaine, ça frisait le burn out. Jusqu’au rachat de Tidal. La suite logique d’un magnat du hip-hop ou la démonstration indécente d’une absence de jugement ? Et si Jiggaman n’était pas tout simplement en train d’opérer sa revanche sur l’industrie musicale ?

On repense à cette punchline dans son hit H.O.V.A : « The industry is shady, it needs to be taken over » (L’industrie est louche, elle a besoin d’une prise d’otage), suivie de ces lignes énigmatiques « I’m overcharging ni**as for what they did to the Cold Crush » (Je surfacture ces négros pour ce qu’ils ont fait aux Cold Crush). Référence aux Cold Crush Brothers, pionniers du rap exploités par des contrats véreux… ou une réelle prémonition quand à ce qu’allait devenir Shawn Carter des années plus tard : un héraut déconnecté de la réalité. Un mec obsédé par le payback, cherchant à venger les blessures laissées par la blaxploitation. Sous ses airs de guérillero emmitouflé dans un costume de milliardaire, Jay-Z finit par ressembler à Christine Lagarde blowjobant le sous-commandant Marcos en lui intimant l’ordre de pas en foutre de partout. Le crédo Fuck you, pay me appliqué à l’extrême.

En attendant qu’il rachète la marque Toyota pour pondre le mash-up ultime « Ni**as in Yaris », on souhaite quand même à l’astronaute Shawn Carter de retrouver un jour le chemin de la terre ferme.

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