Pand’Or : « Je suis la porte-parole de personne »

vendredi 3 octobre 2014, par Ken Fernandez.

« Verlan », soit le nom du projet en commun avec Le Bon Nob que Camélia Pand’Or vient de boucler. Trois ans et des broutilles après avoir craché ses premières rimes, la rappeuse du Val-d’Oise planche également sur son troisième projet solo, « Outsider », prévu pour début 2015. Trois années qui lui ont permis de se faire un blaze et d’écumer les freestyles, battles et scènes de l’hexagone. Pour SURL, Pand’Or, aka la rappeuse la plus vénère des réseaux sociaux, revient sans pincette sur son expérience et sa vision du rap jeu. Accrochez vous, on ne la lui fait pas à l’envers.

Photo : Pierre Bessey

Photo : Pierre Bessey

SURL : Ton troisième projet, Outsider, va sortir au mois d’octobre, qu’est ce que tu peux nous en dire ? Tu te sens encore comme un outsider ?
Pand’Or : Je sais pas trop comment on peut le nommer, on dira que c’est un projet de 5-6 titres. Je l’ai gratté en deux semaines. J’ai reçu des prods de pas mal de beatmakers et j’avais de l’inspi – ce qui est rare. Je pouvais pas laisser pourrir mes textes. L’album étant presque fini, je me suis dit que ce serait cool de le faire attendre avec un projet gratuit. J’aime bien faire ça. Sinon pour le titre oui, clairement je me sens encore comme un outsider. Que ce soit dans la vie ou dans le jeu. Encore plus dans le rap, car plus j’avance et plus j’ai l’impression d’être à part. J’ai toujours envie de me prouver des choses et d’en prouver aux autres donc oui, je suis un outsider.

A rap + 3, comment juges-tu ton bilan ?
Mitigé. Il y a autant de déceptions que de bonnes choses, c’est vraiment un milieu surprenant. Il y a des gens que j’ai toujours écouté, que je voulais rencontrer, et ça s’est avéré être une erreur et au contraire. D’autres dont j’aimais pas les sons mais qui sont mortels humainement. Du coup maintenant je les écoute davantage, eux. Trois ans c’est quand même assez énorme dans le rap, tu as le temps de rencontrer du monde. Dans tous les cas pour moi tout est positif : les rencontres, bonnes ou mauvaises te permettent d’avancer. Tu empruntes juste pas toujours les chemins que tu pensais emprunter. Je kiffe mon parcours, je grandis ; au fil des rencontres j’ai changé ma vision du rap, ça c’est cool.

Tu as clairement pris position avec tes deux premiers projets, indépendants et gratuits. Quel regard tu portes sur le game actuel et les rappeurs qui en trustent les charts ?
Je vais pas mentir, on ne m’a jamais proposé de signer sur un gros label. Je peux pas dire que je suis à contre-courant car je l’ai choisi parce que j’ai pas été confronté à la situation. C’est comme ça. Peut être que si on me proposait, j’accepterais de signer. Ensuite ça dépend avec qui. J’ai une seule condition : je veux pouvoir tout gérer. Une chose est certaine c’est que je signerais jamais chez Def Jam. Je déteste tout chez eux, pour moi c’est tous les clichés et les amalgames du rap réunis. C’est un choix plus politique que musical. Au niveau des mecs qui marchent j’écoute pas énormément. Ensuite, Lacrim ou Jul même si c’est pas ma cam, je reconnais le talent et j’écoute car ils arrivent à chopper un public, en faisant des choix particuliers et ça je sais pas faire. C’est assez fort de gérer comme eux. Kaaris j’écoute pas, j’ai pas envie, puis j’ai jamais trop aimé. J’en pense rien. Je jette jamais la pierre sur un artiste mais surtout sur le public. Ça m’empêche pas de faire ma musique.

Tu critiques pas mal les MCs et le monde du rap pour son manque d’authenticité. Qu’est ce qui t’énerve dans cet univers ?
Pour moi la notion d’authenticité, c’est avant tout une question d’être humain. J’aime pas les gens faux dans la vie et encore moins dans le rap. Le rap c’est un microcosme avec pour thème la musique. Y a pas mal de gens très biens dans leurs textes, alors que dans le jeu c’est des fils de pute. Pleins de mecs se la jouent artistes, humbles alors qu’au final le seul truc qui les intéresse c’est la tune. Je préfère les mecs qui le disent honnêtement.

Tu as des noms qui te trottent dans la tête ?
J’ai pas envie de faire de pub à ces gens là. Je pense que le public s’en rend compte ; parfois ça peut prendre dix piges, mais les gens ne sont pas bêtes. C’est impossible de trahir les gens pendant aussi longtemps. Ensuite si tu regardes autour de moi, des mecs comme l’Or Noir ne font plus parti de mon entourage… contrairement à ce qui a pu être dit je suis pas complètement folle.

 

« Il y a encore du rap conscient mais je pense que le créneau a trop fait chier les gens »

 

Ces derniers jours, tu t’es aussi positionnée contre une collaboration entre Koma et toi qui a leaké. Comment ça se fait ?
Il y a deux ans, Koma m’a contacté pour poser sur son album. J’ai passé une aprem avec lui en studio et fait mon couplet. Un an après, il y a eu un quiproquo avec mon manager et Koma a pensé que je l’avais pris pour un con. Ensuite le son a fuité, il a dit que c’était moi et c’est normal car je suis pas grand chose à côté de son blaze. Les gens ont pu croire que je voulais faire le buzz. Quelqu’un a trouvé le son et l’a balancé sur Youtube. C’est vraiment une déception, parce que Koma, je connais tous ses sons par cœur. J’ai pas voulu relayé le truc car premièrement je pourrais avoir des problèmes, puis malheureusement, l’être humain ne suit pas. C’est vraiment dommage car quand il m’a contacté à l’époque j’étais super honorée. Koma et Pand’Or, j’aurais jamais pu l’imaginer.

D’ailleurs, qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?
Niveau US, rien d’actuel. Mes potes m’en parlent pas mal et je m’y intéresse quand un son passe en soirée, mais sinon je suis restée sons à l’ancienne : MOP, A Tribe Called Quest, The Pharcyde. J’ai pas trop la vibe du nouveau son US, même si y a une grosse nouvelle vague. Sinon niveau rap français, c’est simple en ce moment j’ai trois artistes sur mon ipod. C’est mon top 3 depuis un moment : y a Grems, Virus et Furax. J’ai pas changé les sons depuis un moment et je m’en lasse pas. J’écoute pas mal de potes, surtout mon entourage en général.

Ne penses-tu pas que t’aurais plus facilement trouvé ta place il y a dix ans, quand le « rap conscient » avait encore la côte ?
Oui je me sens consciente dans mon rap dans la mesure ou je suis consciente de l’environnement, des gens et du monde qui m’entoure. Loko m’a dit un jour : « Toi, à l’époque tu aurais vendu 10 000 ou 20 000 disques. » Mais c’est une autre époque. Le problème c’est qu’il y a encore du rap conscient mais je pense que le créneau a trop fait chier les gens. Quand tu vois des mecs comme Médine, leurs discours moraliste et démago a tué le genre. Dans conscient, il faut prendre la racine du mot. Le problème aujourd’hui c’est que si tu fais du rap conscient, tu es chiant et si tu fais autre chose, tu es commercial. La vraie question : qu’est-ce qui est conscient ou qu’est-ce qui ne l’est pas ? Est-ce que c’est forcément une question de vocabulaire ? Par exemple Grems au premier abord il te paraît très loin du conscient, mais dans le fond, ça l’est vraiment je trouve. Il y a beaucoup d’artistes qui font du rap conscient, l’important c’est le fond.

Depuis Diam’s, il n’y a plus eu de vraie grande figure féminine dans le rap français. Quel regard portes tu sur la place des femmes dans le milieu ?
Je pense surtout que les meufs doivent oser se lancer. Je sais pas si c’est prétentieux, mais j’ai l’impression que depuis mes battles y a plus de meufs qui sortent. C’est à toi de porter tes couilles et d’y aller. Y a vraiment pas mal de meufs qui posent, elles ont du fond, de la forme et de la rime, et franchement elles rappent mieux que les trois quarts des mecs. En noms qui me viennent là y a Ladea, Eli MC, Miss Terre ou Sirène par exemple. Le rap féminin a vraiment sa place, parce que je pense que les gens écoutent avant tout du rap et pas du rap féminin. Bien sûr, c’est un milieu historiquement mysogine, c’est chasse gardée pour les hommes. Ensuite moi, perso, je viens avant tout de l’écriture, des mots et c’est mon milieu qui m’a mené naturellement au rap, j’aurais très bien pu terminer dans le rock et la poésie. C’est dommage, parce que je pense que c’est plus facile de s’en sortir quand tu es une meuf. On est moins nombreuses et entre nous y a pas de concurrence, on se serre les coudes. J’ai vraiment comme projet de faire un morceaux avec toutes ses meufs et que le track défonce tout.

 

« En France on a quand même une mentalité particulière, on est con »

 

Aux US, une nouvelle génération de rappeuses a vraiment réussi à faire son trou. Bientôt la France ?
J’écoute pas trop les sons US qui cartonnent. Nicki Minaj musicalement je trouve que c’est de la merde. C’est vu et revu ce qu’elle fait. Ensuite j’ai rien contre elle, mais ce qui m’énerve c’est la médiocrité. Et franchement ce qu’elle fait c’est médiocre. Sinon, j’ai fait la première partie de Gavlyn, c’était une dinguerie, cette meuf est folle niveau énergie. Voilà, j’ai fait d’autres collabs et j’ai aussi des contacts en Angleterre. Là bas, y a un vrai rap de meuf, la mentalité est différente. En France on a quand même une mentalité particulière, on est con.

Mais tu te sens engagée dans la cause « je suis une fille, je fais du rap », ou tu t’en fous ?
Je suis la porte-parole de personne. C’est égoïste comme milieu le rap, je représente ma gueule et c’est déjà pas mal. Je fais ce que j’aime, c’est le plus important.

Tu as dernièrement tourné dans un film : une nouvelle vocation pour toi ?
J’ai tourné un long-métrage il y a un an, Max et Lenny. Ils cherchaient une actrice qui pouvait rapper. Ils ont tourné un casting dans toute la France et le réalisateur a pas trouvé son bonheur, du coup il s’est tourné vers des rappeuses. J’ai fait des castings, pas mal de rap, il lui fallait une bande son et il a kiffé. C’est assez surréaliste. J’ai kiffé à mort, encore plus que le rap. Notre génération fait que ça mater des séries ou des films et j’ai toujours été intéressée. Plus jeune je voulais être critique ciné. Bref si je peux le refaire je le referais, surtout que ça paye mieux que le rap (rire).

Tes projets, ton avenir ?
J’ai déjà huit morceaux pour mon album qui en comptera normalement 12. Ensuite, faut que je retape quelques prods, donc le projet sortira pas avant février 2015. J’ai envie de prendre mon temps. Un album c’est un cran en dessus de ce que j’ai sorti jusqu’à présent, c’est une sorte d’aboutissement personnel dans tout. Y aura quelques Feat dedans, avec Le Bon Nob, mon bînome, y aura aussi Pepso, Yepa et Georgio. Entre temps, j’ai envie de sortir pleins de morceaux gratuits, de faire des clips et une vraie promo. On a pas le temps de s’ennuyer.

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