The Doppelgangaz, rap double-face

samedi 31 mai 2014, par Vincent Tonnerre.

La scène rapologique ricaine a vu éclore, depuis ses premiers balbutiements, pléthore de duos d’exceptions. Mais depuis un bon moment, la tendance semble s’inverser : les artistes qui optent pour des carrières solosprécoces s’enchaînent comme des perles sur un collier de fête des mères. Alors les MCs egoïstes, avides de royalties ou juste soucieux que personne ne fasse de l’ombre à quiconque ?  The Doppelgangaz, eux, s’en battent en tout cas bien les c******* et se contentent de faire ce qu’ils savent faire de mieux : rapper. Focus sur un tandem aussi obscur et unique que Voldemort et sa clique de mangemorts, qui vient d’ailleurs ensorceler Paris le 3 juin.

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Ce duo atypique originaire du Comté d’Orange (New-York) est composé des emcees et producteurs Matter Ov Fact et EP. Première rencontre dans la cour de récré et après avoir grandi ensemble, impossible de les séparer. Au début, tout n’est encore question que de chill. C’est en 1998, vers 11 ou 12 ans, que les deux potes d’enfance décident  de se lancer dans la musique. Caprice d’ado ? Oh que non. Car bien avant de se concerter pour former The Doppelgangaz en 2008, ils étaient déjà tous deux parties prenantes dans un autre projet. C’est durant cette période que l’idée de former un part est née. Dans une interview avec le magazine HipHopDX, EP raconte : « Nous étions dans un groupe plus grand, qui a été actif au début des années 2000, mais tu sais, des trucs arrivent. Nous étions les plus jeunes du groupe, donc c’est devenu Doppgang ». Matter Ov Fact ajoute : « En plus, nous sommes sur la même longueur d’ondes et il est devenu évident qu’on fasse notre propre truc et qu’on continue ensemble. C’est de là que le nom vient. Doppelganger signifie double inversé et, on se voit comme ça quand il s’agit de musique ». Ici, il y a aucune ressemblance physique mais une double personnalité du tandem, créant une réelle alchimie musicale et artistique entre les deux homies.

 

« C’est de là que le nom vient. Doppelganger signifie double inversé et, on se voit comme ça quand il s’agit de musique »

 

Héritier du « Rap Lords », The Doppelgangaz tirent leurs influencent des années boom bap du hip-hop de leur enfance, et ça s’entend. Si leur flow est bien servi par des prods assez jazzy, une atmosphère très sombre de détache néanmoins de l’ensemble, ne manquant pas d’évoquer les mythiques Gravediggaz ou RZA. Les deux MC’s, tout deux très complémentaires, maîtrisent parfaitement leur alliance, bien qu’étant profondément différents. Encore une fois, ils nous rappellent les grands duos d’antan : Method Man & Redman, Dogg Pound, UGK… Mais The Doppeldangaz ont décidé d’aller au delà. Leur point fort ? L’atmosphère étouffante qui transpire de leur musique, grandement influencé par le « black cloak lifestyle ». En effet, une des particularité du groupe est de porter des « blacks cloaks » (capes noires), sorte de seconde peau. Bien plus qu’un accessoire identitaire, ces capes agissent comme un credo traduisant un lifestyle, une mentalité de débrouillardise bien affirmée, celle de percer, d’avancer dans la vie peut importe ce que on a dans les poches et d’où l’on vient… Dans les clips, on voit Matter Ov Fact et EP, vêtus de leurs capes noires dans leur quotidien d’errance, de vagabonds dans lequels l’ébriété et la fréquentation de bordels sont théâtralisés de manière remarquable. Ce « black cloak lifestyle » fait du bruit, notamment chez nous, et The Doppelgangaz ont développé une grande communauté de fans dans toute l’Europe. Mais cette réussite ne se cantonne pas qu’aux fantaisies des deux compères.

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Il faut dire que Matter Ov Fact et EP n’ont pas chômé depuis leurs début en 2008. En 6 ans, ils ont sorti pas moins de sept albums, dont trois essentiellement instrumentaux et 2 EP. Au début, les deux gamins ne faisaient que rapper sur les faces B des singles. Un déclic plus tard, avec la seule volonté de balancer du contenu original, ils commencent à produire leurs propres titres et sortent en 2009 sous leurs propre label Groggy Pack Entertainement, leur premier album, 2012 : The New Beginning. La consécration viendra deux ans plus tard, avec Lone Sharks. l’album reçoit un accueil triomphal, et plusieurs spécialistes n’hésitent pas à en faire leur album hip-hop de l’année. Instrumentaux rappelant le style brut et granuleux emblématique du hip-hop nineties East Coast, leurs flow et paroles sont aussi appréciés pour leurs sujets uniques, leurs tons et la puissance des images. L’année dernière, ils remettent ça avec la sortie de leurs second album, HARK!. Ce nouvel opus, plus intimiste, centré sur la personnalité des deux emcees, se pose en digne héritier de Lone Sharks. On y retrouve la même ambiance, les mêmes ingrédients qui ont fait le succès de The Doppelgangaz, avec néanmoins quelques touches de nouveautés, faut pas déconner, quand même. Entre-temps, les deux rappeurs devenus beatmakers à plein temps ont sorti 2 albums instrumentaux, Beats for Brothels Vol.1 et 2.

Et si ces deux gros chercheurs de samples envisagent plus tard de produire des artistes, pour l’instant, leur carrière décolle. Les natifs de New-York sont de retour sur le devant de la scène, avec la sortie il y a 2 mois de leur dernier album, Peace Kehd. Au premier abord, l’ambiance globale se veut plus posée, nostalgique et moins dark que les opus précédents, notamment grâce à des titres comme « Holla X2 » et « Shit Rock ». Introspection ? Difficile à dire, car, si l’on doit rassurer les plus fanatiques, le tandem nous emmène toujours dans les tréfonds du Raw & Rugged en apportant son petit lot de nouveautés comme ces très influencés trap music « KnowntchooTahLie » et « Come Down Awn Eht ». Grosse claque pour le premier cité qui est un vrai banger en puissance. Comme d’hab, on se délecte toujours autant des divers interludes musicales qui jonchent ce projet, avec des samples en fin de morceaux tous aussi bien trouvés les uns que les autres. Pas grand chose à reprocher à ce Peace Kehd, c’est un projet de bonne facture, qui annonce de la part de The Doppelgangaz, une transition de l’obscurité vers la lumière. Comme pour les précédents opus, il n’y a rien à jeter. Mais, une éternelle question se pose pour savoir si, en nous sortant un album tous les ans, le duo de The Doppelgangaz ne va pas nous lasser à un moment donné… Pour l’instant, c’est loin d’être le cas.

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