Chronique – Big Sean, Hall of Fame ou Fame for All ?

samedi 7 septembre 2013, par Sylvain Caillé.

Si on devait attribuer un surnom à Big Sean, ce serait sans hésiter « The Opportunist ». Pourquoi ? En 2006, alors qu’il n’était qu’un banal MC local comme on en trouve à tous les coins de rue, le rappeur de Detroit rencontre Kanye West lors d’un de ses passages radio dans la cité fantôme. Après de courtes négociations face au grincheux Ye, Sean finit par lui lâcher 16 bars. Vraisemblablement le couplet de sa vie puisque quelques mois plus tard, le « skinny nigga » était signé sur le label G.O.O.D. Music. Une histoire que le MC n’est pas peu fier de raconter pour la 109e fois sur la très bonne introduction  – « Nothing Is Stopping You » – de son dernier projet. Deux ans après un Finally Famous bien ficelé, Sean est de retour avec un second album solo intitulé Hall Of Fame, swerve. L’occasion de balayer les critiques de nombreux amateurs qui cherchent encore un soupçon de talent derrière une tonne de hype et ne manquent pas de le répéter à l’envie. Vérifions si ce LP en a dans le ventre ou s’il confirmera que Big Sean ne dépassera pas le statut d’objet médiatique.

HOF

Un Hall of Fame secoué avant sa sortie par la bombe atomique « Control« , en featuring avec Jay Electronica et King Kendrick. Ce track – qui au final ne figure pas dans le disque pour cause de sample non validé – a retourné notre mois d’août et foutu un énorme high-kick dans la fourmilière du rap game. La faute au prodige de Compton qui a mis le eu aux poudres en balançant ce qui comptera parmi les meilleurs couplets de l’année dans le rap US. Couplet dans lequel il s’autoproclame « King of New York » – ça la fout mal pour un mec de la Westcoast – et n’hésite pas à name dropper le blaze de tous les prétendants au titre de meilleur MC du moment. Une réelle aubaine pour Sean qui ne pouvait pas rêver mieux pour faire parler – indirectement – de lui et de son album.

Contrairement à une bonne partie des rappeurs mainstreams de nos jours, Big Sean sait comment bien s’entourer. Certainement un réflexe acquis chez G.O.O.D. Music. Ainsi, comme sur son premier essai Finally Famous, à peu près la moitié des chansons de Hall Of Fame sont produites par le patron No ID. C’est d’ailleurs lui qui est à l’origine du terrible « Control ». L’autre partie des instru est prise en charge par Key Wane, un de ses amis d’enfance. Côté guests, on alterne entre du bon et du moins bon : de la putassière Nicki Minaj à la légende Nas en passant par le renégat Kid Cudi ou le « chanteur R’n’B à la mode » aka Miguel, il y en a pour tous les goûts. Un atout commercial qui malheureusement se transforme presque en handicap, tant cet album paraît bipolaire musicalement parlant. Souvent, Sean se fait bouffer « façon K-Dot » par ses invités : Nas sur « First Chain » ou Jeezy sur « It’s Time », sans compter le massacre absolu de 2 Chainz sur « Mula remix ». Et quand Sean n’est pas désintégré par ses collègues, les autres featurings donnent envie de finir le travail soi-même. Nicki se caricature sur « MILF » alors que Lil Wayne … faut-il vraiment finir la phrase ?

Dans le même ordre d’idée, on retrouve un MC séduisant sur des titres agréables à écouter en cette fin de saison estivale, qui contraste avec l’autre partie du LP où Sean parvient tout autant à nous casser les bonbons sur des productions bien abstraites et digitalisées comme on ne les aime pas. De ce fait, la plongée dans l’univers schizophrénique du MC est aussi passionnante qu’irritante, selon le style de rap que vous appréciez. De mon point de vue, après une bonne vingtaine d’écoutes, il est nettement plus sympathique de s’écouter un « Fire » avec son loop accrocheur plutôt qu’un gerbant « Mona Lisa » ou autre son faussement sophistiqué – « MILF », « Toyota Music », « It’s Time, » … – par exemple. Et ce même si ces dernières années,  la tendance chez G.O.O.D. Music et dans le rap en général est plus à des tracks comme « 10 2 10 ».

Pourquoi tant d’incohérences dans ce Hall Of Fame ? Allez, je vais la jouer psycho-intello pour trouver une cause sous-jacente digne du Dr Greg House. Cette hétérogénéité manichéenne s’explique avec évidence quand on y réfléchit bien. Tout d’abord, Sean appartient au collectif  G.O.O.D. Music depuis un bon bout de temps maintenant. Même si il n’a pas participé à la fondation du label, il a pu s’imprégner de l’ambiance des débuts – le Be de Common résume selon moi parfaitement cette atmosphère. Parallèlement, il a aussi sorti sa première galette sous la houlette du crew après quatre ans de travail et d’apprentissage. Le rappeur de Detroit a ensuite gravi les échelons et s’est retrouvé sous le feu des projecteurs avec de gros singles (« A$$ », …), culminant lors de la sortie de Cruel Summer et de son dévastateur « Clique« . On peut donc affirmer que G.O.O.D. Music l’a élevé et influencé depuis le début de sa jeune carrière. C’est pour cela qu’il incarne le lien transgénérationnel entre le collectif à ses débuts, et le collectif en 2013. Il  a grandi en même temps que son crew et c’est pour cela que l’on croise des pépites telles que « First Chain » ou « Sierra Leone ». Des tracks qui ramènent au bon vieux temps. Celui où G.O.O.D. Music constituait un label alléchant, ne regroupant que des artistes de premier ordre, capables de sortir des hits à tout instant.

Voilà pourquoi il existe tant de disparité sur ce disque foncièrement pas désagréable. Ok, Big Sean est allé au bout de ses envies et s’est fait plaisir. Pourtant, à la fin de l’écoute, je n’ai pas été totalement convaincu pour autant. Un peu comme à la fin de Finally Famous finalement. Malgré quelques fulgurances un peu idiotes et marrantes dont il a le secret, plus une belle palette de producteurs, il semblerait que le rappeur de Detroit ait tapé son plafond. Le même qui sépare un bon joueur de Ligue 1 à Cristiano Ronaldo Lionel Messi, malgré toute l’énergie du monde. Ok, son flow s’est nettement amélioré par rapport à avant, mais cette progression reste insuffisante pour prétendre à rejoindre le Hall Of Fame du rap game, quoiqu’en dise Yeezy.

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