Chronique – Lil B – I’m Gay (I’m Happy)

dimanche 3 juillet 2011, par Joackim Le Goff.

Un vrai phénomène. De son quartier de Berkeley à son omniprésence sur Twitter, Lil B a posé son empreinte sur le hip-hop d’une manière inédite. 252 000 followers and countin’ sur sa chaîne Twitter, plus de 125 000 fans sur Facebook : plutôt pas mal pour un mec qui s’est imposé tout seul sur le devant de la scène, grâce à son culot et les réseaux sociaux. Difficile de cerner le bonhomme, visiblement passionné par la musique et son public, mais qui oscille constamment entre une ambition débordande et une nonchalance déroutante. Le mec s’est quand même permis de sortir son autobiographie, alors qu’il ne dépasse pas les 22 ans.

Même au niveau musical,  le Little Boss active les débats. Capable de balancer des freestyles chelous mais hyper bruts et décapants (le dingue « Like a Martian »), des bangers qu’on n’écoute-sauf-qu’on-ne-sait-pas-trop-pourquoi (« Pretty Boy »), ou de se lâcher sur des prods splendides de Clams Casino (oui oui, on parle de « Motivation » ou du génial « Cold War » par exemple). Quand ça lui chante, le MC  peut aussi se contenter de parler sur un morceau au lieu de poser; voire de sortir des trucs complètement loufoques, genre Paint, un projet censé retranscrire une émotion directement depuis son cerveau. Des sons, vidéos et tape balancées gratuitement, souvent sans queue ni tête. Critiqué par une majorité d’auditeurs, le Based God fascine, à tel point qu’il s’est forgé une étonnante base de fans qui lui vouent quasiment un culte et se pressent en masse à ses concerts. Piètre rappeur doublé d’un génie marketing, ou artiste aussi incompris que mégalo ? XXL avait tranché en l’adoubant parmi les Freshmen of the year

Signe majeur de son décalage avec l’industrie, la décision d’intituler son album I’m Gay a fait beaucoup parler dans le milieu hip-hop, pour lequel l’homosexualité reste un sujet assez tabou. Une tactique de buzz ? Pas forcément. S’il se déclare volontiers hétéro, Lil B ne cache pas qu’il s’entend hyper bien avec son entourage gay / lesbien et s’amuse plus avec eux qu’avec ses potes hétéro. Preuve avec cette déclaration de l’artiste, qui mine de rien réfléchit beaucoup plus qu’on pourrait parfois le penser à l’écoute de ses lyrics : “I hope that I can turn some of my fans that might be homophobic or supporters that might be homophobic and say, “You know what, we’re all one people. This is love.” It’s just respect, and I did that to bring people together and bring more love and to spark the minds of people and not let words and judgments and stereotypes stop you from loving.” Si son personnage peut paraître superficiel, l’homme n’est pas ignorant, loin de là. Autre exemple avec la cover inspirée de Marvin Gaye, pas la référence la plus idiote. Malheureusement, les menaces de mort proférées par des imbéciles anonymes ont suivi l’annonce du titre de l’album et ont poussé Lil B à rajouter un petit (I’m Happy). Une polémique qui me rappelle le LP Nigger de Nas, finalement renommé Untitled.

Personnellement, si la trajectoire de Lil B m’impressionne, je n’étais pas sûr de pouvoir le supporter sur un album entier. Entre ses nombreux ad-libs et namedroppings, ou plus généralement l’inconsistence de son flow, je pensais m’ennuyer au bout de quelques morceaux ou me sentir blasé. Surprise, cela n’a pas été le cas durant la dizaine de morceaux qui composent ce projet. Attention, Lil B n’est pas non plus le lyriciste le plus envoûtant ni le MC le plus technique. Au risque de trahir ses fans et de s’attirer les compliments de ses ex-détracteurs, l’artiste a emprunté un chemin vraiment différent de ce qu’il nous avait habitué. Moins de rimes alambiquées et des thèmes égocentriques, remplacés par des thèmes relativement plus sérieux et profonds. On le remarque dès l’intro « Trapped in Prison ». Le garçon a grandi, ou veut le montrer. Que ça soit le personnel et introspectif « I Hate Myself », dans lequel il analyse les stéréotypes liés à sa couleur de peau; ou encore « Eternal Thunder Eternal Slumber » dans lequel il explique ne plus vraiment croire ni en la religion ni en la justice. Lil B fait du rap conscient, contrairement à ce que beaucoup imaginaient jusqu’ici.

Si sa manière monotone de rapper laisse parfois dubitatif, on ne sait jamais vraiment s’il pose ou s’il « slame », l’atout incroyable de cet album réside dans les productions. Des beats d’une force et d »une subtilité incroyable, que ça soit le magnétique « Unchain Me » de Clams Casino ou les belles notes de piano du poétique « Gon Be Okay ». La conclusion jazzy « 1 time remix » nous achève sur une note hyper positive (« spread the love ») : Lil B a l’oreille musicale et sait vraiment choisir ses instrus, loin des beats inaudibles auxquels on pouvait s’attendre, tentez aussi « My Last Chance » ou « I Seen That Light » pour vous en convaincre rapidement.

Un album très agréable qui risque même d’être sur-évalué avec son succès et son contenu surprenant. Au fait, après avoir été balancé sans aucun avertissement ni plan de communication, I’m Gay vient d’intégrer le Top 20 des téléchargements sur iTunes. Pourtant, ça n’a pas empêché Lil B de s’auto-leaker en balançant un lien Mediafire depuis son Twitter. Si I’m Gay n’est pas révolutionnaire et ne changera pas le monde comme l’artiste l’a proclamé, ce type n’a pas fini de nous surprendre… Vive la différence.

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LIL B – I’m Gay (I’m Happy)

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