Hip-hop queer : le rap pour tous ?

mercredi 16 octobre 2013, par Valentin. .

« Diss my wife, but at least I got a bitch, you gay » ; « I buck queers » ; « The faggot took the back way » – les illustres Tupac, Big L ou encore Notorious BIG n’ont jamais été particulièrement gay friendly. Attention, ce n’est pas une caractéristique propre aux rappeurs US, loin de là : « Mais on m’a dit qu’c’était des pédés qu’ils produisaient / Donc en tant qu’anti-pédé, ton colon je viens briser », dixit notre cher Rohff national, sur « On fait les choses ».

Pas vraiment une hymne au mariage pour tous, hein ? Même si, ici, les mots représentent plus des figures de style que de véritables messages adressés à des communautés, il est indéniable que le hip hop n’a jamais été très tendre avec l’homosexualité – Macklemore n’a rien inventé – et n’a assurément pas été l’un des fers de lance de son affirmation. Je ne vais pas tergiverser sur l’emploi de termes potentiellement homophobes ici, comme le déclarait Tyler The Creator  « I’m not homophobic. I just think ‘faggot’ hits and hurts people. It hits. And ‘gay’ just means you’re stupid. I don’t know, we don’t think about it, we’re just kids. We don’t think about that shit. But I don’t hate gay people. I don’t want anyone to think I’m homophobic ». N’empêche qu’il y a des progrès à faire, à l’image du reste de la société. Mais, depuis pas si longtemps, on a pu assister à l’émergence médiatique d’une nouvelle vague dissidente : le hip-hop queer. Une aubaine pour les magazines, impatients de s’engouffrer dans la brèche avec leurs gros sabots, réduisant le mouvement à une simple tendance ou mouvance un peu farfelue, dans un milieu imbibé de testostérone et de cyprine – hello, clichés. Faute de mieux, tentons d’esquisser un sobre portrait légèrement plus réaliste de ce de ce que représente le rap de tantouse en 2013.

cakes

Au commencent, à la genèse de tout mouvement, il y a une figure. En partageant ses expériences et ressentis bisexuels, sans jamais revendiquer publiquement l’étiquette, Frank Ocean à amené les médias à opérer un focus sur ces acteurs de l’underground qui portent les revendications de la communauté gay au travers de leurs lyrics. Cette mouvance à la particularité de n’être délimitée que par l’ambition et ambiguïté affichée de ces leaders qui se transposent dans leur musique. Un voyage entre genres et influences qui, a défaut de poser des règles musicales définies, explose en une fresque abstraite des opposés. Ce hip hop là, symbole de la rencontre entre les milieux drag queen black et les communautés d’hipsters new yorkais, d’où son coté arty fortement mis en avant.

Alors une fois la machine en marche, on a pu noter toutes sortes de nouvelles têtes qui ont apportés peu à peu leur pierre à l’édifice, à leur façon. On peut notamment parler, évidemment, de Mykki Blanco, lui (elle ?) qui navigue entre l’art abstrait et le théatre de son corps tout en balançant un flow lancinant sur des beats saturés et qui, à sa façon, tourne en dérision les médias dont il se joue. Appuyé par des poids lourds tel que Grimes ou Brenmar, on peut être assuré de la volonté farouche du Blanco – celui qui ne fait pas polo – d’inscrire sa vision de la brutalité dans la durée. Cakes Da Killa joue quant à lui dans un autre registre : ici, pas vraiment de brutalité, juste une ambiguité ostentatoire qui pose un hip hop acidulé. Une éruption d’images estampillés « pop-culture » qui viennent illustrer des sons délicieusement improbables.

 

« You’ll encounter less resistance in life if you say, No, I’m going to just keep dating girls. But then you’re minimizing the resistance that you’re feeling from yourself on the inside » – Franck Ocean

 

« Wut ? Wuuut ? » C’est la question posée par Le1f. Et si c’était LA question ? Alors on sait pas si le dude a trouver la réponse mais ce que l’on peut dire c’est qu’il bouge diablement bien et qu’avec sa trap music endiablée, il impose son empreinte et son style avec autorité : un univers alternant entre les 90’s et l’imaginaire d’un crackhead à Disneyland. Last but not least, Angel Haze et sa pansexualité déclarée vient détruire tes tympans avec un fat beat qui rendrait dingue la plus déterminée des Lil Kim. Un flow bestial qui t’étale dans ton siège sans te poser de question. D’ailleurs, que ça soit en musique – « Werking Girls » en boucle nigga – ou en terme d’orientation sexuelle, la rappeuse de Detroit ne s’en pose pas trop [de questions] et aurait tort de s’en poser tellement elle le fait bien : « Love is boundary-less. If you can make me feel, if you can make me laugh – and that’s hard – then I can be with you. I don’t care if you have a vagina or if you’re a hermaphrodite or whatever. »

Une belle brochette de mecs – enfin, façon de parler – qui fracturent leurs détracteurs avec talent, mais ils ne sont évidemment pas les seuls. Sans être exhaustif, on pourrait également parler de Zebra Katz, d’Aezalia Banks, de Roxxxan ou encore de Sacha Go Hard. Autant de personnages hauts en couleur qui imposent sans concessions leurs carrières et leur charisme pour servir une scène qui pourrait prendre de plus en plus de place dans le achipé achopé.

Et le bleu-blanc-rouge alors ? Comment ça se passe dans le pays des droits de l’homme, du fromage frais et de la vinasse ? Bah le constat est pas vraiment brillant. On a bien vu l’apparition de quelques noms, par exemple Monis ou Halim Corto, mais on va se l’avouer : ils n’ont pas été exactement en mesure d’enflammer les foules et les charts.

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Le public français serait-il plus réticent au rap homo ? C’est envisageable, mais pas sûr que ce soit vraiment une histoire d’homophobie – la Sexion d’Assaut mise à part. Au fil des ans et des courants, le hip hop US a su s’infiltrer dans divers vagues musicales et culturelles de part son histoire et son développement. Il a ainsi pu se diversifier jusqu’à se confondre aux limites de la pop, du funk, de la soul. Et c’est peut-être l’absence de ce mélange des genres, profondément ancré dans les moeurs de nos amis d’outre-atlantique, qui nous fait défaut. Limiter le hip hop à sa street credibility, dans l’hexagone, nous a peut-être mis à l’écart de cette ouverture culturelle qui nous fait défaut aujourd’hui.

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