[Chronique] Tyler The Creator – Goblin

samedi 14 mai 2011, par Joackim Le Goff.


La vie s’articule autour de sacrés paradoxes. Regardez, en à peine un an, le Odd Future Wolf Gang Kill Them All aka OFWGKTA aka Odd Future, a gangrené internet et le milieu hip-hop. Une invasion soudaine, alors que le crew balançait des mixtapes gratuites à la pelle sans jamais vraiment percer jusqu’alors. Un pseudo-happening chez Jimmy Fallon, des vidéos aussi délirantes que flippantes, mais surtout des sons géniaux, glauques et obscènes ont propulsé le groupe au top niveau. Un mouvement devenu quasi-sectaire, complètement à contre-courant des succès actuels. Qui s’attendait à ce que des gosses un peu timbrés de L.A., guidés par un leader au look improbable, prennent le rap en otage ?

Casquette Supreme vissée sur la tête, chaussettes remontées jusqu’aux genoux, Tyler The Creator ne répond pas aux critères attendus d’une star du rap. Encore moins quand il arrive sur scène cagoulé, qu’il insulte les journalistes en interviews, ou gueule des « fuck you security » en live. Pourtant, lui et sa bande ont asservi nos tympans, sans pitié. Le deuxième album solo de Tyler, Goblin, va-t-il achever de nous lobotomiser ? Wolf Gang, Wolf Gang !

Ça tombe bien, car Goblin, à l’image de son auteur, se fonde aussi sur un tas de contradictions. En passe d’être adoubé par le grand public, Tyler n’a pas succombé aux sirènes du mainstream : cet album n’est pas fait pour plaire à quiconque excepté lui-même. Tant mieux répondront les fanatiques, nous compris. Goblin semble encore plus monolithique, dark et underground que Bastard, son précédent essai. Un truc à l’opposé de la pop. On le comprend dès l’intro qui rebutera les non-initiés, une plongée de 7 minutes dans les entrailles de l’âme dérangée de Tyler Le Fondateur. Un étrange dialogue teinté d’auto-psychanalyse, tantôt angoissant – « My brain is an obscenity / I’m fucked in my head / I lost my mind with my virginity« – , tantôt un peu rassurant (« I’m not a fuckin rapist, or a serial killer, i lied […] I’m not homophobic ». Le début d’une séance de thérapie personnelle qui dure une quinzaine de morceaux.
Honnêtement, sans vouloir jouer les vierges effarouchées, je comprendrai que certains considèrent que cet album ne soit pas à placer entre toutes les mains. Heureusement que l’association Familles de France ne capte rien à l’anglais, parce qu’ils s’étrangleraient à l’écoute des messages assénés. Le refrain incroyable du terrifiant « Radicals » résonne encore dans ma tête comme une vérité absolue: « Kill people, burn shit, fuck school ». Édifiant. Si Tyler avoue derrière à demi-mots qu’il n’invite pas au crime, mais plutôt à vivre librement, ce genre de discours frappe au visage avec une puissance étonnante. Sans avoir inventé le concept d’horrorcore, Tyler manie ce style avec une telle dextérité qu’un certain malaise s’installe à l’écoute. Comme si le MC bataillait constamment pour dominer ses pulsions obscures, influençant presque celles de l’auditeur. Pense-t-il vraiment ce qu’il rappe, tel Dr Jekyll et Mr Hyde, ou s’amuse-t-il juste à choquer l’opinion pour se construire son style artistique ? La question reste entière, c’est sûrement ça qui rend ce Goblin si stressant.
Néanmoins, ce marécage musical réserve de très, très grands moments. Sans passer pour un bandwagon, le célèbre « Yonkers » se rapproche dangereusement du titre de son le plus marquant de l’année. Le sectaire « Sandwitches » donne envie de devenir un soldat dégénéré du Wolf Gang.
Autant que les textes, les productions étouffantes décuplent cette atmosphère dark. Néanmoins, elles laissent rarement apercevoir un peu de lumière grâce à quelques notes aigues, histoire d’empêcher la noyade. Le surprenant « She »avec Frank Ocean, en deviendrait presque langoureux comparé au reste. Une accalmie salvatrice, avant de retourner dans un univers cauchemardesque, pardon « Nightmare », de « Tron Cat » à l’hymne misogyne « Bitch Suck Dick ».
Au delà d’une expérience musicalement traumatisante, que faut-il retenir de Goblin ? Tyler le martèle dès sa première phrase « I’m not a fuckin’ role model ». Par contre, c’est un putain d’artiste, qui a sorti un album aussi dérangeant qu’efficace. Choisissez votre camp. 

 

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