Tyler, The Creator, un loup dans la bergerie

lundi 8 avril 2013, par Antoine Laurent.

Ahouuuuuuuu. Mardi 2 avril sortait Wolf, le troisième opus du génie malsain Tyler, The Creator. Après un Goblin très sombre et ténébreux en 2011 le leader du collectif Odd Future est de retour pour distiller une nouvelle part de folie à consommer sans modération. Une insanity perceptible dès la découverte des trois différentes jaquettes pour les diverses éditions : une totalement cheap sur fond bleu, une de type photomaton raté et enfin la plus importante, celle contenant un superbe dessin représentant Tyler sur son bike avec pour arrière-plan un lac au milieu d’une forêt. La plus importante sans aucun doute car ce visuel matérialise le contexte global de l’album qui de par ses 18 pistes illustre la vie antérieure de Tyler à travers Wolf, Sam et Salem, trois personnages générés par pensées morbides et mis en scène un décor de camp de scout : Camp Flog Gnaw – Wolf Gang > Golf Wang > Flog Gnaw. Tout un univers sordide maquillé à coup d’influences Neptuniennes et de rétrospections intimes qui donnent à ce LP un goût d’accessibilité fort appréciable.

wolf

[toggle title= »Focus sur l’histoire de Wolf » show=’true’]Comme expliqué dans l’introduction, Wolf conte une histoire – dont les trois personnages principaux sont Wolf, Sam et Salem – et s’inscrit dans le scénario mis en place lors de ses précédents essais Bastard et Goblin. La grande majorité de l’histoire se joue dans les outros des tracks – Wolf, Cowboy, Awkward, Party isn’t over/Campfire/Bimmer, IFHY, Parking Lot, Rusty et Lone. Pour résumer grossièrement Wolf arrive à Camp Flog Gnaw et rencontre Sam, dangereux psychopathe fou amoureux de Salem. Paradoxalement le contact se noue tout de suite entre Wolf et Salem, au grand dam de Sam. Le triangle amoureux va alors évoluer durant tout le long de l’album jusqu’à en arriver à un point de non-retour sur le morceau Rusty, où Sam tue – littéralement – Earl Sweatshirt. La fin du LP ne donne pas beaucoup de renseignements quant à la situation entre Wolf et Sam. Les deux se cherchent pour s’entre tuer mais on n’en sait pas plus. La seule chose que l’on sait, c’est que Sam (is dead), selon la chanson sortie sur la OF Tape vol. 2 en 2012. On connaît donc la fin mais qu’en est-il du reste ? Après l’analyse entière des lyrics, on perçoit une infime partie du puzzle mis en place par Tyler, The Creator. Un puzzle inachevé qui pourrait bien être complété en 2015, selon les dires.[/toggle]

Alors schizophrène ou pas schizophrène le Tyler ? Pas vraiment, lui même s’en défend sur Pigs « I’m not bipolar, see I’m just known by those couple names ». Ces « fucking walking paradoxes » que l’on retrouve tout le long du projet ne sont pas des bouts de sa personnalité mais bien des personnes utilisées dans ses musiques pour imager ses émotions et partager sa propre histoire. Une histoire pas très joyeuse marquée entre autres par l’abandon de son père biologique – dès sa naissance – que le rappeur raconte dans Answer en précisant la haine qui en découle ainsi que l’incompréhension engendrée. Un thème récurrent puisque sur la première ligne de Jamba le MC de 22 ans balance sans détour « Papa ain’t call even though he saw me on TV, it’s all good (fuck you) ». Une entrée en matière aussi dévastatrice que la chanson en elle-même, excellemment et absurdement bien rythmée. Le refrain quant à lui rappelle terriblement les synthés d’un certain Pharrell, qui tapait ses 40 ans le 5 avril par ailleurs.

// IFHY (Ft. Pharrell)

Cette référence est la première d’une longue série traduisant l’impact du chanteur des N.E.R.D. sur la musique du géniteur d’OFWGKTA. On retrouve justement ce dernier en featuring sur IFHY, single dont le clip est magiquement ingénieux. Peu de vocaux de la part de Skateboard P mais à l’instar du refrain de Jamba, on sent une nette influence à la production et ce n’est pas pour nous déplaire. Les rythmes typiquement saccadés de Tyler, The Creator mélangés à cette Pharrell touch confèrent à l’album un aspect léger le rendant de ce fait plus facilement digérable que son second LP Goblin et symbolisant l’évolution artistique du rappeur. Treehome95 en est la confirmation parfaite. Son côté très jazzy se fond à merveille avec les douces voix de Coco O. et Erykah Badu.

// Treehome95 et Domo 23 présentés en live au Late Night

Une évolution qui n’altère ni ses lyrics, ni sa mentalité de casse-cou, mais bien l’ambiance sonore de ses morceaux. En effet Tyler n’est pas plus mature ou plus calme qu’avant. Ses textes sont tout aussi explicites, en témoigne les premières lignes de Tamale – morceau classé le plus timbré du LP par le rappeur himself – « They say I’ve calmed down since the last album/Well, lick my dick, how does that sound? (Umm) ». Ce sont juste les thèmes abordés qui varient par rapport aux précédents projets, mais l’authenticité elle est toujours présente. Et il n’hésite pas à se défendre des critiques à son égard avec plus ou moins de virulence. Il le fait savoir sur le détonant Rusty, en enchainant les punchlines, et tout le monde en prend plein la tronche. A ceux qui le traitent d’homophobe, il répond en présentant Frank Ocean comme contre-exemple « Look at that article that says my subject matter is wrong/Saying I hate gays even though Frank is on 10 of my songs ». Le leader d’Odd Future aborde également le sujet de la mère du jeune prodige Earl Sweatshirt « Look at that Mom who thinks I’m evil, hold that grudge against me/Though I’m the reason that her motherfucking son got to eat ». MTV prend aussi son tarif pour l’avoir spolié et hypocritement récompensé aux VMA 2011 « And MTV could suck my dick, and I ain’t fuckin’ playing/Bruh, they never played it, I just won shit for their fucking ratings ». Uppercut. Et c’est un Domo Genesis en transe assène le coup de grâce avec son couplet percutant – certainement l’un des meilleurs de sa carrière – le tout sur un beat vraiment bien façonné. Un de plus sur l’album entièrement produit par le MC. Une combinaison gagnante comme le prouve le single Domo 23, son instru chaotiquement désordonnée, ses lyrics toujours aussi provoquants et son refrain minimaliste je-m’en-foutiste. Un joyeux bordel qui, telle une ode à Odd Future témoigne de la non-évolution mental du rappeur, toujours enfant dans sa tête. Haters, take that.

// Domo 23

Personnellement j’ai pris beaucoup de plaisir à écouter ce projet. C’est construit, c’est romancé, c’est logique, c’est censé, c’est accessible, bref, c’est complet. Moi qui avait dénigré Goblin, j’ai le droit de fermer ma bouche et de retourner m’en couper une tranche. Tyler n’est pas qu’un simple créateur, c’est The Creator. Un générateur vivant d’idées, de films et de conneries comme il en manque dans le rap game. C’est ce qui fait tout son charme et tout son succès. Il le répète lui même dans Cowboy « I’m the cowboy on my own trip/And I am a the cowboy on my own trip » comme pourrait si bien le dire un William Ernest Henley dans son poème Invictus « I am the master of my fate: I am the captain of my soul ». Tyler, The Creator est le maître de sa propre vie et à l’image de sa clique, ce n’est qu’un grand gamin. Un type possédé et obsédé par le syndrome de Peter Pan – pas de drogue, pas d’alcool, maman qui le dépose en voiture, etc – qui orchestre son orientation artistique tel un génie, tout en développant une activité commerciale plus que rentable. Tyler est une mine d’or à l’état pur, et à 22 ans seulement il nous largue un excellent projet – salué par Pharrell en personne – qui vient directement s’implanter dans le top album 2013. Epatant.

// Wolf en streaming

// CHRONIQUE BY SYLVAIN CAILLE

 

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