[Critique] Spring Breakers

mardi 19 février 2013, par Julie Green.

Rarement un tel engouement n’aura été constaté autour d’un réalisateur aussi inclassable qu’Harmony Korine qu’autour de la sortie de Spring Breakers. Réalisateur méconnu du grand public et culte de la scène indépendante, Harmony Korine n’en est pourtant pas à son premier coup d’essai : Gamin perdu de Nashville, il part vivre à New-York où il rencontre Larry Clark dans un skate-park. Il lui refile le scénario de « Kids » (il écrira dans la foulée celui de « Ken Park ») , écrit en 3 semaines. Harmony Korine a 22 ans. Deux ans plus tard, avec 1 million en poche, il réalise son premier film, « Gummo », considéré encore aujourd’hui comme son chef d’oeuvre.

Il reçoit aussitôt les félicitations d’Herzog – en personne, qui déclarera à son sujet : « Quand j’ai vu ce morceau de bacon frit accroché sur le mur de la salle de bain dans Gummo, j’ai bondi de ma chaise. Il est une voix fondamentale d’une nouvelle génération de réalisateurs, ceux qui prennent des risques, et de nouvelles positions. Il ne dominera jamais le monde du cinéma, et alors ?  » et inspirera Gus Vant Sant qui devient immédiatement un de ses adeptes « Gummo ne ressemble à rien que j’ai déjà vu depuis un bon moment -probablement jamais ». Le secret d’Harmony Korine ? Son goût viscéral et inexpliqué pour le sale, les dysfonctionnements en tout genre, la jeunesse, l’échec et la pauvreté, son empathie désarmante pour ses semblables, sa tension vers l’expérimentation, et une poésie presque surréaliste, violente et percutante.

Qu’est donc allé chercher le salle gosse de Nashville avec les actrices Disney et l’hyper cool James Franco ? « Je voulais m’approprier des images que tout le monde connaît tout en essayant de les transformer, c’est-à-dire en montrant ce que ces images évoquent pour moi », explique-t-il. Là encore, il écrira la scénario en 10 jours, enfermé en Floride dans une chambre en plein Spring Break. James Franco apparaît le premier dans le cast pour interpréter un personnage aux croisées de Riff Raff, sorte de SwagMan white trash ultra ricain et de Dangeruss, un rappeur local. Le casting posé, que reste-t-il des ambitions de Spring Breakers ?

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Réalisé la même année que le pourtant délirant court-métrage autour de Val Kilmer « The Fourth Dimension », Spring Breakers fait table rase sur le passé du réalisateur. « C’est peut-être bien le film le plus bizarre de Korine, dans le simple fait qu’il est le plus éloigné de tout ce qu’il a déjà réalisé auparavant » , nous prévenait IndieWire. Dès les premières images, on comprend bien une chose : exit le super 8, bonjour Hollywood. Ce qui, au premier abord, n’est pas dérangeant : gros plans sur les culottes des filles sous une chaleur suffocante, caméra plus que subjectives dans l’entrejambe et tequilas pour tout le monde. Mais rapidement, Korine commence à faiblir, et à l’inverse marque quelques points là où l’on en attendant pas forcément. Le pitch, pour rappel : Quatre ados super gaulées braquent un fast food pour se payer leur Spring Break, ça fonctionne, elles partent, s’amusent, passent une nuit au poste, sont libérées par un mystérieux rappeur local.

La première partie du film, résolument manichéen dans sa structure, en est la face positive : l’exploitation des corps, même dans le cadre du Spring Break, demeure d’une poésie sensible mais convenue, adolescente, en rien gênante. Aperçues dans le trailer, les jambes entremêlées des quatre nymphes sur le mur prennent toutes leur symbolique alignées dans le couloir de la fac dans lequel elles dépérissent, créatures d’une jeunesse et d’un érotisme qui s’ignore, comme un défi au reste du monde. L’arrivée en Floride, elle, ressemble davantage à un video clip pas très inspiré. De la bière qui ruisselle sur les corps inertes ? La coke, les mecs vulgaires, les filles ivres qui montrent leurs seins ? Come on, Harmony. Heureusement, la caméra mobile, exaltée, s’amusant de manière permanente à déstructurer tout ce qu’elle peut via des flash-back/forwards réussit tant bien que mal à faire vivre cette trop longue première partie du film et les premiers jours de liberté des adolescentes en Floride, et vient contrebalancer avec verve et intelligence les partis pris un peu faciles du regard parfois presque naïf de Korine sur le Spring Break. On pardonne alors les légers égarements, on sait qu’il n’en est rien. Après tout, n’est-ce pas simplement cela la liberté, ces incessantes allées et venues dans la vie, sans ordre ni but ?

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Mais en dépit de tout cela, le film peine à trouver son âme et à démarrer. Selena Gomez, qui aurait pu briller par sa jeunesse presque déroutante, n’en fait rien : absente les 3/4 du films, la splendeur de son corps d’enfant, frêle, chrysalidien, d’une innocence que l’on rêvait de voir mis à l’épreuve est à peine exploité, à aucun moment malmené. C’est la première déception du film. Dès cet instant, deux écoles : son départ, qui amorce la face noire du film, marque le début d’une longue descente aux enfers qui n’en sera même pas une, grillée par le traitement des couleurs criard où la magie ne trouve pas sa place, sans cesse freinée par une saturation permanente qui en devient gênante, et qui ne parvient même pas à déshumaniser complètement un film où chacun se promène plutôt qu’il ne se balade, vit plutôt qu’il ne survit. Korine se perd dans un délire fluo mal assumé qui nous arrache progressivement au fantasme de pureté sale. Passée l’heure de film, la déception prend le dessus.

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La seconde, celle que vivront probablement à la fois les novices et les fans éperdus de Korine : dans cette phrase sombre vont se déchainer successivement, et parfois même en même temps tous les démons, tous les désirs, et toutes les images que Korine a gardé en tête. Car en dépit de ses défauts, il n’en demeure pas moins que viscéralement excitant, tordu et sans morale, Spring Breakers, s’il ne surprend guère, séduit néanmoins à de nombreuses reprises. Quelques sublimes scènes isolées commencent à s’enchainer, le traitement des corps, autrefois fasciné, tend progressivement vers une perversion discrète (la scène des pistolets dans la bouche résonne comme un sombre écho à celle du début du film, pendant laquelle une jeune étudiante simule une éjaculation faciale avec un pistolet à eau), la caméra vogue alors, presque en roue libre, de souvenirs en malaise, de détresses en visages cagoulés…

Et c’est alors que de son principal défaut, Korine va faire jaillir de ses cendres un phoenix qu’on espérait plus. L’omniprésence du rose (Lors de l’avant-première, Korine filmera d’ailleurs l’arrivée des 4 filles sur le tapis rouge avec un iphone rose) se transforme sur la dernière partie du film en une symbolique poussée, où l’on sent Korine presque mal à l’aise, sinon moqueur, de s’être attaqué à ce monde insensoriel et excessif, lui le génie du rien. Le film prend alors des allures de farce, de pichenette à Hollywood qu’il ne peut s’empêcher de mépriser, même du coin de l’oeil. La revisite des codes s’emballe dans un quart d’heure ahurissant qui est à la fois la clé et l’aboutissement du film, celui dans lequel va venir se concentrer tout le génie.

Les cheveux roses de Rachel Korine, alias Cotty, qui jusqu’alors ne relevaient que du phénomène de mode, ancrage de l’héroïne dans la génération MTV et dans une certaine forme de modernité, vont se voir couvrir d’une cagoule, rose elle aussi. Dès cet instant, le rose deviendra le symbole d’une dégénérescence à toute vitesse; des cagoules comme pour masquer, intérioriser le démon de l’apparence aux dépens d’une introspection violente, et surtout sans but. S’en suivent un festival de scènes brillantes, juste qu’à l’apothéose d’un « Everytime » chanté au piano au bord de la piscine, constellé d’images fantasmées, rêvées, presque inexistantes, dans un temps désormais complètement déconstruit, dans lesquelles les mots échappent à tous, se répètent machinalement, pourtant sans obsession. Korine relâche alors, la voix de Britney Spears perce l’univers intra-diégétique, et vient alors avec brio matérialiser son désir initial de fusion des genres.

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Tout prend soudain sens : le fast food, la fac, les néons, Selena Gomez, enfant catholique qui s’appelle Faith, les appels aux parents, la bonté du personnage d’Alien, ses égarements, les clichés qui n’en sont pas, son obsession pour Scarface, Britney – qui de mieux qu’elle, l’enfant starifiée puis piétinée jusqu’à en devenir une marginale, le clin d’oeil appuyé à Gummo dans la piscine… Et c’est dans ce tourbillon d’émotions que s’achève le film, dont la dernière scène vient sans aucun état d’âme brusquer toutes les rêveries.

Harmony for ever.

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