Interview – Patrice, la renaissance du père

vendredi 13 septembre 2013, par Julie Green.

Bientôt 15 ans que Patrice sortait Lions, premier EP brûlant qui annonçaient une longue série de succès et de tournées à travers le monde. Après une dernière performance à Rock En Seine, nous avons eu l’occasion de l’interviewer la semaine dernière dans les jardins de Because Music. Je le retrouve assis sur un banc sous le soleil de plomb. « C’est un belle journée pour parler de cet album, non ? », me lance-t-il en guise de bonjour,  avec cette même casquette orange qu’il aime tellement qu’il refusera de l’échanger avec la mienne pour la photo souvenir, tout sourire et à peine affecté par la longue série d’interviews que je m’apprête à boucler. 15 années qui ont visiblement glissées sur un Patrice dont l’enthousiasme et l’évidente pureté demeurent intactes. Entretien salvateur et ô combien rafraîchissant entre deux sushis avec le plus cool des veggies du monde.

SURL : Salut Patrice. C’est ton septième album.
Patrice :
Hum ouais, six ou sept.

C’est bon signe si tu ne t’en souviens pas !
Ahah non, mais tu sais, il y en a un que les gens ne comptent pas forcément parce qu’il ressemble davantage à un projet, mais pour moi ça reste un album : Silly Walks Meets.

Maintenant que tu es à l’apogée de ta carrière, avec une fanbase de plus en plus conséquente, comment est-ce que tu perçois les choses ?
Pour moi, c’est toujours un challenge. Je me dis jamais quand je sors un nouvel album, « ok regardez les gars, je suis là ». Je prends jamais les choses comme acquises. Je n’attends pas des gens qu’ils soient là. J’essaye de faire au mieux, de rester excité par ce que je fais. C’est toujours une nouvelle expérience. Chaque album est toujours un peu comme le premier, surtout celui-ci. J’avais vraiment l’impression de n’avoir rien fait avant. J’ai mis de coté le passé et j’ai pensé à ça comme un nouvel épisode. Et puis j’ai une très mauvaise mémoire ! Si vraiment je voulais me souvenir des choses, si vraiment j’y mettais de l’énergie, je pense que je pourrais m’en souvenir. Mais ce qui arrive, c’est que consciemment je n’enregistre pas les choses. Je ne veux pas remplir mon esprit avec parce que ça me retiendrait trop dans le passé. J’essaye de rester dans le moment. C’est toujours vers la nouveauté que je me retrouve. C’est ce qui me donne le goût du challenge. Je suis très humble quant il s’agit de la musique. Je me dis jamais  « ok, je sais, je suis bon pour ça ». Je n’y pense pas. Je suis plus à me dire « ok, j’essaye de faire au mieux, et je vais voir si j’y parviens ». Donc ouais, c’est comme ça que je me sens. Le challenge, c’est super important. Egalement, quand tu as déjà fait pas mal d’albums, c’est super dur d’arriver avec quelque chose de nouveau, de frais…

1

C’est peut-être l’excitation qui est la clé alors, tu as raison.
Ouais. Et si je n’avais rien de nouveau et de frais à offrir, je ne ferais rien. Jamais. Vraiment, je n’ai pas besoin de faire de la musique. Enfin, de sortir des disques j’entends. Je pourrais me contenter de faire de la musique pour moi, avec ma guitare tranquille chez moi. Mais si je n’avais pas la sensation d’avoir quelque chose à dire où à ajouter, vraiment je ne le ferais pas.

Il y a tellement de choses maintenant qui sortent que l’on se retrouve dans un système où l’inflation fait la loi. La musique n’a plus la même valeur à cause de ça.

Ouais, donc ça pourrait prendre dix ans, tu ferais rien quand même ?
C’est certain. J’essaye vraiment d’être enthousiaste et de tout faire avec passion. Et c’est pas que je suis un mec bien, c’est juste que je n’en suis pas capable. Si je ne le sens pas, ça ne marchera pas. Je suis très limité d’une certaine façon. Si je ne le sens pas, je vais faire un truc mauvais. Je vais rien faire. Il faut vraiment que je le sente. Personne ne veut entendre un projet bâclé, pas sincère. Et puis aussi, si tu ne fais pas un meilleur album que ton précédent, les gens le ressentent et te le disent. Même s’il est aussi bon en réalité, mais s’il n’y a rien de nouveau… Donc il faut constamment regarder de l’avant.

Ouais, pour qu’au mieux, même s’il n’est pas aussi bon, qu’il soit différent.
Oui. Enfin, les gens se font parfois de fausses idées de ce qui est différent. Chacun a sa notion. Tu peux faire un album différent, mais du mauvais coté !

C’est quoi alors, la formule magique ? Parce que bien qu’ils soient différents, on retrouve cependant toujours dans tes albums ce style très particulier qui est le tient ?
J’essaye vraiment de… (il réfléchit) c’est simple, je vais t’expliquer. Si j’aime quelque chose, n’importe quoi, je le laisse entrer en moi. Je m’y ouvre. Et quand j’ai besoin de le ressortir, il ressort naturellement. Je m’intéresse à pas mal de vieux genres musicaux. Et entre eux j’essaye de trouver une base commune. Tu sais, là où j’ai grandis, ce que je représente en terme de culture. J’ai l’habitude de chercher des aspects communs entre les choses. J’essaye de combiner toutes les choses que j’aime et de les transformer en quelque chose qui n’est pas un mix, mais plutôt une construction naturelle, et quand je me dis « ouais, allez, c’est ça », et bien j’y vais.

Si je comprends bien, tu t’arrêtes quand ton instinct valide ?
Ouais voilà, c’est l’instinct. Je suis très instinctif.

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On était à ton concert l’année dernière à Clermont-Ferrand. C’est ici que l’on a découvert Selah Sue. Comment est-ce que l’on se sent quand on découvre une artiste comme ça, le sentiment de la couver, de suivre l’évolution de sa carrière et de la voir exploser ? Est-ce que c’est une étape que tu voulais franchir dans ta carrière ?
J’ai été aidé quand j’étais jeune, certaines personnes m’ont prises sous leur aile quand je commençais ma carrière. Donc, je trouve ça plutôt naturel. Si je vois quelque chose qui me plaît, je me sens un peu responsable. Si c’est bon, il faut que je le supporte. Parce que j’en ai la possibilité et que le résultat va offrir quelque chose de bon et de sain pour la musique en général. Il y a tellement de choses maintenant qui sortent que l’on se retrouve dans un système où l’inflation fait la loi. La musique n’a plus la même valeur à cause de ça. Donc si moi je peux y ajouter une certaine valeur, ça va d’une certaine manière rehausser le niveau global et peser sur la balance. Je suis très fier de Selah Sue. Elle a fait un super premier album et maintenant elle est libre de faire ce qu’elle veut. C’est déjà beaucoup. Ce qui est encore plus important, c’est que ça ait marché alors qu’il n’y a pas vraiment de single radio dedans. Ca veut dire que tu peux avoir un album qui fonctionne sans single à l’intérieur. Je trouve ça génial, très sain, parce que maintenant elle a toutes les options qui s’offrent à elle.

On t’a aussi vu à Rock en Seine. Tu as une énergie incroyable sur scène ! On sait que toute ce genre de performances ne serait pas possible sans tous les musiciens qui t’accompagnent. Comment tu les choisis ?
J’ai ceux qui restent tout le temps, et qui sont un peu mes indispensables. Mon claviériste est un génie. Et ensuite, on cherche parfois de jeunes batteurs, et on les entraîne. On est très très disciplinés. Pas de la mauvaise manière, on fait tous ça par amour de la musique…mais on recherche vraiment l’excellence. Donc ces mecs là… Ils nous suivent en tournée, et à la fin, ça devient des batteurs incroyables ! On les choisit très jeunes, on est très dur pendant toute la tournée, et à la fin, je te jure, ils sont extraordinaires. Un de mes batteurs, Joshua McKenzie, c’est un génie. Et bien maintenant, imagine toi qu’il a même sorti son propre disque. Je dis pas que c’est bien hein (un peu gêné, il sourit), enfin, c’est de la batterie quoi. Mais bon, tu te rends compte, avoir son propre disque pour un batteur de ce que ça représente. Enfin ce que je veux dire, c’est qu’il est tellement bon qu’un mec a pris le risque de lui signer un disque avec uniquement de la batterie dessus ! Enfin, ouais, on essaye de tous se pousser vers l’excellence. Un de mes musiciens, Kwame Yeboah, joue pour Cat Stevens, il a joué pour MJ, Stevie Wonder. Il vient du Ghana, donc il comprend aussi l’afrobeat, c’est vraiment le musicien idéal ! Et tu vois, il est absolument  passionné. C’est une combinaison parfaite entre le super pro et le mec vraiment rookie. Il a tout compris, il essaye toujours de faire le meilleur job. On choisit aussi les ingé-sons,  pour que ça sonne parfaitement. L’excellence que l’on recherche nous tire tous vers le haut. On va la chercher au plus profond de nous. Et je recherche toujours des nouveaux talents. Par exemple quand on a fait les Super Sunday, on a casté les groupes sur internet ! J’ai fait le line-up d’abord, on avait Cody Chesnutt, Youssoupha, à la Maroquinerie, avec des expos, plein de trucs. C’était juste annoncé sur Facebook. Et là je me dis « mais merde les gars ! On a oublié le groupe ! ». Donc on s’est lancé dans une série d’auditions. Du coup on s’est retrouvé avec des petits jeunes sur scène qui étaient fous de pouvoir jouer avec Cody ! Ces moments là sont géniaux.

Il nous reste un peu de temps pour aborder un dernier sujet. Tu as réalisé un court pour ton dernier album The Rising of The Son, que tu as tourné à Sierra Leone. On sent une forte présence de ce qu’on pourrait qualifier d' »esprit africain » sur cet album, l’amour, le combat pour la liberté, cette philosophie d’aller toujours vers l’avant tout en se contentant de ce qu’on a. Ca me semble fondamental dans la société actuelle de faire vivre ces valeurs-là. Est-ce que tu pourrais nous en dire davantage ?
Oh, tu sais, l’Afrique fait parti de moi et du monde. Ouais, j’ai passé pas mal de temps là bas. Pour le court, avec les mecs on a essayé d’explorer notre créativité sur place et de voir avec quoi on reviendrait. C’est une sorte d’échange. L’Afrique est tellement riche. Les ponts ne sont simplement pas établis. Alors j’essaye de fonctionner comme un pont justement. Plein de gens…Imagine, tu es photographe. Même si t’es pas bon, tu as juste à aller sur place, Cuba, l’Afrique, tu prends des photos, tu reviens et les gens vont tous te dire « mais qu’est ce que tu es bon! » Mais c’est pas le photographe, c’est le lieu ! Même toi tu peux le faire ! Tu as tous les composants idéaux pour faire une bonne photo sur place. Les couleurs, l’espace…Ce que je veux dire, c’est que les gens exploitent ces lieux depuis des décennies pour s’enrichir personnellement, il est temps que les personnes qui méritent le crédit l’obtiennent enfin. La créativité là bas doit être représentée. Le monde entier pourrait l’utiliser. Il y a tellement d’aspects de l’Afrique qui pourraient être mieux mis en valeur…

Oui parce qu’au final, ça s’apparente davantage à du vol pour le moment, à du sens unique…
Ouais ! Il faut échanger. On peut prendre, mais il faut rendre quelque chose. Il y a tellement de choses, je t’assure. Il faut juste parvenir à faire vivre cet échange. J’imagine que c’est dû au fait que la vie ici, tout est tellement vrai. Tu sais, la vie, la mort, toutes ses choses sont présentes. Ici, tu ne vois pas vraiment la mort. C’est mis à l’écart, on ne la voit pas. Les animaux que l’on mange… Moi, je suis végétarien, mais bon. Ici les animaux que tu manges sont proprement emballés sous cellophane dans les supermarchés, on ne voit pas la vraie cruauté. En Afrique, tu comprends vraiment, la réalité elle est sous tes yeux. Tu as un bœuf en face de toi, tu te dis, si je veux le manger, je dois tuer ce truc en face de moi. Ca change un peu. Les morts, ils sont à tes pieds. Un cadavre, c’est pas un mot dans un journal, c’est ce mec à tes pieds. Ce genre de choses. Aussi, la manière dont les gens gèrent leurs traumatismes… Certaines femmes en Afrique, elles traversent des épreuves qu’on ne peut même pas imaginer. Ici, je ne reproche rien à personne mais je sais pas, certaines personnes n’arrivent même pas à endurer le fait de se faire voler leur sac dans la rue, elles sont obligées de passer par un psychologue pour gérer leur traumatisme ! Quand tu vois ça, tu comprends un peu ce qu’on pourrait échanger avec des pays comme l’Afrique pour tous parvenir à s’enrichir humainement, psychologiquement. Il faut vraiment commencer à mettre ça en avant. Je veux montrer ce nouveau visage de l’Afrique qui n’est ni la famine ni la guerre mais aussi la force et la beauté. Et dans mon film, il n’y a pas de ça, c’est une fiction. C’est plus un truc de gangsters, parce que bon, je suis un mec et j’aime ça aussi (il rit), et c’est pas du tout pour l’éveil des consciences, là je reconnais. C’est l’amour, la peur, la manière dont on peut la faire s’éteindre et renaître…Le mec fuit ses peurs et elles sont représentées par ce gang qui le tue, il meurt, revient de la mort en un enfant innoncent, sans peur, et alors le procès s’inverse et alors qu’il devient une nouvelle personne, le gang perd sont pouvoir, l’enfant grandit au delà de l’ancienne personne et trouve une nouvelle lumière, et voilà, tu as « le rising son ».

Pas une particule de ce monde ne meurt, jamais. C’est une renaissance constante. C’est mon concept religieux, je crois en ça. Le sens de la vie, c’est justement d’être en vie.

C’est aussi toi ce Rising Son d’ailleurs, tu es né le jour de la mort de ton grand-père et ta famille t’a surnommé Babatunte…
C’est mon vrai nom en fait ! C’est sur mon passeport. Ca veut dire la renaissance du père. Pour moi, vraiment, la renaissance est présente partout. Dans la vie, partout. Ce nouvel album, c’est vraiment à propos de ça.

Il y a ce sentiment d’ailleurs de renaissance quand tu perds quelqu’un. Après avoir affronter la mort, avec les années, tu peux sentir sa présence en toi.
Complètement. La vie ne s’arrête jamais. Elle se transforme. Regarde autour de nous. Pas une particule de ce monde ne meurt, jamais. C’est une renaissance constante. C’est mon concept religieux, je crois en ça. Le sens de la vie, c’est justement d’être en vie. C’est aussi simple que ça. Et de faire comme la nature : grandis, sois créatif, exprime-toi.

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