Interview – Triptik

jeudi 16 août 2012, par Julie Green.

Un peu en retard rue Durantin, je m’empresse d’aller rejoindre les garçons de Triptik chez QHuit, leur QG. Pas d’angoisse, visiblement, prendre leur temps, c’est leur crédo. On discute une bon quart d’heure en attendant Greg alias Black Boul’. De musique, de vacances (mois de juillet oblige…), de leurs coups de coeur du moment. Puis on installe des bancs dans la rue, et c’est parti pour une demi-heure d’échanges sur leur retour, mais leur regard sur la nouvelle scène rap, leurs souvenirs et surtout le plaisir  et la fierté qu’ils éprouvent à être toujours là après 15 ans. Cette demi-heure durera finalement près d’une heure, pile ce qu’il fallait pour que l’on termine dans les règles avec Black Boul’. Urbains mais pas trop, déconneurs mais conscients, l’alchimie évidente entre les trois trentenaires fait plaisir à voir, l’album porte définitivement bien son nom. Entretien post-sortie sous le soleil entre kiffeurs « jamais dans le mainstream, jamais porteurs, jamais à la traîne ».

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Alors, ça fait vraiment plaisir de revenir ? Comment ça s’amorce un retour après presque 10 ans ? On y retourne naturellement, on est super motivés, ou on a un peu peur ? Concrètement, comment ça s’est passé dans vos têtes ce retour ?
Dabaaz :
De l’excitation, ouais, de la peur, non pas vraiment. C’est une question à laquelle on a beaucoup répondu au moment de sortir, mais là ça fait déjà un mois, donc on commence à s’y faire. Peu de temps avant de sortir, on a décidé de faire une sortie physique, avec une édition CD-Vinyl alors qu’au départ on voulait juste faire du digital. Du coup c’est vrai que quand on m’a dit qu’on allait mettre le disque dans les bacs, j’ai eu une petite appréhension que j’avais pas ressentie depuis quelques années. Mais en tant que mecs super attachés au format physique, on était super contents. On a sorti beaucoup de références sous ces formats pendant la première partie de notre carrière, donc oui, là, même si c’est pas un album, c’est un peu plus court, c’était cool de sortir ce projet un peu quand même un peu plus officiel que des clips.  Et puis grâce à Florent (ndlr : leur attaché de presse) et au fait que les gens ne nous aient pas tant oublié que ça, on a eu une bonne couverture de la presse et des blogs, on s’est senti soutenus et c’est agréable.
Drixxxé : Pour revenir au début de ta question, le fait d’être tous les trois… Le morceau « Ca Fait Plaisir « a découlé de ça. C’est le premier qu’on a fait.
Dabaaz : Non non c’est le deuxième !
Drixxxé : Ah oui exact, le premier, c’était « En Haut ». On a commencé à faire « En Haut », moi j’ai commencé à refaire des sons pour Triptik et hyper vite l’alchimie s’est remise en marche, tous les automatismes se sont remis en place et en fait Ca Fait Plaisir c’est le deuxième titre. Greg est arrivé avec le refrain, ça reflétait vraiment ce dans quoi on était à ce moment là : kiffer, et faire des trucs ensemble.C’était super naturel, comme avant.
Dabaaz : 90% des prods ont été faites dans le même jet, et à chaque fois on accrochait tout de suite, on était pas obligés d’en faire 15 pour finalement n’en choisir que 10. On était même surpris de s’apercevoir que tout en ayant évolué, on avait gardé cet esprit Triptik.
Drixxxé : C’était une vraie volonté de ma part. Repartir de là où on s’était arrêté après 303. Au niveau du son ça reste assez proche. J’avais pas envie de faire autre chose.
Dabaaz : De toute façon quand chacun ramène ses goûts et ses influences, en général, ça donne à peu près ce genre de…ce que fait Drixxxé avec nous, il le fait pas pour des autres mecs. On parle toujours de ce qu’on aime donc il sait à peu près ce qu’on veut.

 

[highlight]Il s’est passé assez de temps pour avoir cette nostalgie des années 90.[/highlight]

 

Ou pensez vous vous situer sur la nouvelle scène rap française ?  Pensez vous être de l’ancienne ou de la nouvelle école ?
Ensemble: Par la force des choses plutôt de l’ancienne ! (rires).
Dabaaz : Par contre on fait parti de ces anciens très connectés avec la nouvelle génération. Après 2005, le fait que nous on ait un peu freiné le rythme, les endroits où on croisait les gens,  les émissions de radios,  donc Cut Killer, Joey Starr, Generations… Donc du coup on a eu une période chacun de son coté, et puis on a vu la nouvelle génération prendre le relai, être très présente. D’abord sur internet, et puis vu qu’on est à Paris, qu’on a cette boutique (ndlr : QHuit, 39 rue durantin, Paris 18eme) et qu’on bouge pas mal, on a commencé à croiser tout le monde et c’est vrai qu’on a accroché avec des gens qui ont 15 ans de moins que nous, artistiquement, et même humainement. Un mec comme Deen ou comme 3010 qui sont sur notre EP, on bosse aussi avec MPC… C’est des relations de boulots, mais aussi d’affinités. Et puis on est des vieux qui sommes restés assez jeunes, alors que les mecs qui arrivent à 20 ans sont eux super matures ! Ca colle parfaitement. Au même titre qu’on s’est mis à revoir Oxmo avec qui on avait fait une tournée à la fin de Triptik. Ca s’est donc fait naturellement, mais aussi étape par étape, parce qu’on ne pouvait pas savoir quand on a commencé à faire des scènes et à se revoir qu’il y allait avoir un tel engouement autour du rap ! Les Contenders, les 1995… Ca a été hyper positif. Pour le rap français, déjà, mais ça a aussi motivé un nouveau public plus jeune à s’intéresser au truc, à redécouvrir les classiques, dont on faisait apparemment parti parce que justement des jeunes comme 1995 nous citaient : nous on était assez content de voir qu’on nous avait pas oublié ! Ils repassent le flambeau.
Drixxxé : Il s’est passé assez de temps pour avoir cette nostalgie des années 90. Nous on a vraiment un pied dans cette période-là, mais aussi un en 2012 : le fait de faire les soirées depuis 4 ans, la boutique … On a jamais autant été au coeur de ce qui se passe culturellement et artistiquement à Paris. On retrouve cet esprit qu’il y avait fin 90, cette émulation. A l’époque, c’était un peu un autre rythme mais on arrêtait pas d’aller dans des opens-mics, des radios, tout ça. Et ce qui motive un mouvement c’est quand ça se croise. Ca s’était un peu perdu après 2005, et là on le retrouve.

 

[highlight]Triptik, c’est un peu le monospace familial dans lequel se permet des fantaisies ![/highlight]

 

Dans « Ca Fait Plaisir », vous dites « la zik entre potes, ça fait plaisir » Avez vous des ambitions particulières concernant le rap ? Le faire évoluer vous tient-il à cœur, ou faites vous simplement ça par plaisir ?
Dabaaz :
Plutôt apporter sa touche que le faire évoluer. Surtout que tu sais, on est trois, c’est un peu plus consensuel…(il se reprend) Consensuel c’est peut-être un peu péjoratif, mais on fait notre rap, Triptik, c’est un peu le monospace familial dans lequel se permet des fantaisies ! Après, on s’intéresse à ce qui se fait, on est pas bloqué sur notre passé.
Drixxxé : On a pas de mission particulière. On veut kiffer, si on fait kiffer les gens tant mieux, mais c’est avant tout un truc égoïste, comme la musique en général de toute façon, tu en fais d’abord pour toi. C’est un truc qui m’a toujours un peu fait chier : le concept du « vrai hip hop », les valeurs, tout ça on s’en fout, on fait de la bonne musique, point. Des mecs qui ont révolutionné le rap, aux Etats-Unis je veux bien, il y a toujours eu des gros courants, mais en France…Enfin si…Les pionniers bien sûr. Et puis Time Bomb qui a changé la façon d’écrire de toute une génération. Si tous les 5 ans il y a un truc, mais nous on a jamais été dans tout ça. Jamais dans le mainstream, jamais porteurs, jamais à la traîne. En 98 on était toujours un peu en marge mais on avait toujours notre place dans ce qui se faisait, en 2003 pareil, et là en 2012 toujours pareil.

On sent avec  Depuis  qu’on est dans un rap qui est un rap adulte, de « papa rappeur », qui parle justement de problèmes d’adultes, conscient, un peu parisien même parfois,  mais là je pense surtout à Dabaaz et à « Ca fait un bail », et puis bien sûr « Panam »… Du coup, on vous catalogue un peu de rappeurs « indés », polis, bobos… ça vous gêne un peu cette presse qui donne facilement des étiquettes, ou vous vous sentez à l’aise avec cette image ?
Drixxxé : Indés par la force des choses là encore, vu qu’on a toujours tout fait en indé.
Dabaaz : Non, mais c’est tu vois, comme le rap ghetto. Le rap bobo. Dans ces mots-là, tu sais pas trop ce qu’il y a.
Drixxxé : Et puis c’est absurde, c’est pas ça qui va définir notre musique.
Dabaaz : Vu l’âge qu’on a, vu le rap qu’on amène, ça m’étonne pas que par opposition à d’autres trucs on nous catalogue comme du rap bobo. Mais ouais on s’en fout.
Drixxxé : J’ai toujours trouvé ça débile cette histoire d’étiquette. A ce moment là y’a plein de trucs américains que j’adore, en ce moment Common, tout le monde est là « rap bobo », c’est absurde. On essaye jusque de faire une musique qu’on kiffe et qui nous corresponde, je pense pas qu’on soit plus bobos que des bobos, et puis c’est quoi un bobo ?
Dabaaz : Plein de keums imaginent qu’un groupe de rap ou un rappeur c’était un gars de banlieue ou un gros molosse qui fait peur. Après tout de suite dès que t’avais pas ce profil t’étais catalogué comme hyper spé chelou alors que des mecs comme Fuzati…(il soupire)
Drixxxé : Tout le monde a toujours voulu foutre des étiquettes ! A l’époque de Microphonarama, un mec, il pensait nous faire chier, et il nous avait décrit comme les Dilated People français. Mais moi j’avais trouvé ça plutôt cool, je les aimais bien ! Alors tu vois…
Dabaaz : Ce qui est cool comme on est un groupe plutôt positif, le coté bobo, ça peut insinuer qu’on est pas complètement dans la misère. C’est cool à notre âge de représenter ça. On est des gars qui arrivons à faire de la musique, on est pas complètement marginaux, on a des gamins, on fait des trucs à coté, on a une famille… Aux Etats Unis y’a toujours cette culture de la réussite qui est carrément inclue dans le rap, voir exacerbée, en France on a un peu du mal. Par rapport à plein de gars de notre âge qui ont été obligés d’abandonner, je trouve ça cool qu’on se maintienne et qu’on dégage un truc parisien pas trop en galère. Moi ça me va.

Vous êtes d’ailleurs assez loin des revendications premières et un peu clichées du rap, que ce soit le rap ghetto qui ne vit que pour les meufs et les bagnoles, mais loin aussi des conflits politiques et des histoires de quartiers… Pourquoi alors avoir choisi de faire du rap à l’époque?
Drixxxé : Parce que c’était la musique qui nous touchait le plus !
Dabaaz : Et en plus la plus facile à faire. Drixxxé jouait déjà du clavier depuis un moment, il était passé par d’autres formations, moi pareil, je m’appelle Dabaaz parce que je jouais de la basse. Et puis j’écoutais du rap, j’écrivais en anglais. Greg il faisait plus du sport. Il était basketteur, assez bon niveau, donc bien mélangé avec l’ambiance hip hop. Donc Drixxxé il avait ses claviers, pas encore de sampler, et on parlait tout le temps de rap. J’ai commencé à écrire, Greg pareil, et puis voilà, on s’est retrouvé à faire du rap.
Drixxxé : Encore une fois c’était évident. En plus à l’époque y’avait de la place. Y’avait pas vraiment cette scission rap hardcore, rap marrant… C’était super ouvert, y’avait tous les styles de rap qui cohabitaient bien. Nous on était au milieu de tout.  On a fait du rap conscient, on a fait un morceau qui s’appelait « J’observe », sur le FN.
Dabaaz : Et « Ma France avance » ! On faisait quand même notre petite rébellion !
Drixxxé : En même temps c’était des trucs qui nous touchaient. Maintenant, ça se résumait pas que à ça. T’es pas tous les jours vener, t’es pas tous les jours joyeux.
Dabaaz : On s’est surtout beaucoup fait remarquer par le coté festif parce qu’il n’y en avait pas beaucoup…

Oh, il y avait Alliance Ethnik.
Drixxxé :
ouais mais Alliance Ethnik, c’était déjà un peu has been ! Ca a tellement tourné dans tous les campings… Attention, il y avait de très bons morceaux, sinon ça n’aurait pas aussi bien marché, mais bon.
Dabaaz : On a toujours bien mélangé. On mélange le sérieux et le festif.
Drixxxé : Déjà à l’époque, les gens avaient du mal à nous cataloguer en fait. On a pas l’image du rappeur français cliché, et ouais, le style… Moi j’ai toujours aimé prendre le contre-pied, essayer de pas toujours faire les mêmes prods, brouiller les pistes…
Dabaaz : C’est plus en solo qu’on s’est éloigné. Greg a fait des trucs vraiment différents, beaucoup plus chantés, avec des prods plus loin du rap, moi j’étais parti dans un délire plus électro avec Para One. Mais avec Triptik, on fait du rap, et c’est assez classique.

(Greg/Black Boul’, un peu en retard, arrive enfin au rendez-vous, tout sourire)

Avec la résurgence du rap maintenant, l’intérêt grandissant des médias, mais aussi la naissance d’une certaine méfiance des anciens, on a comme tout le monde vu ce débat du « rap, c’était mieux avant » arriver… Ce débat, on le trouvait très stérile et gênant, du coup on a décidé d’y répondre à notre manière, en laissant la parole aux artistes pour qu’ils puissent rétablir leur vérité. Alors, pour vous, le rap, c’était mieux avant ? Enfin, plus précisément, vous vous sentez mieux maintenant ou il y a 10 ans ?
Dabaaz : Le rap c’est mieux pendant ! A chaque fois on était bien dans notre époque. J’avoue que juste après Triptik, c’était un peu chacun dans son coin, mais c’était aussi un choix. Je suis aussi graphiste, j’en ai fait pas mal à cette période, en freelance, bloqué chez moi. Moins d’évènements, on croisait moins de rappeurs, c’était l’époque de la French Touch !
Drixxxé : Ouais y’avait moins de trucs excitants. Y’a toujours eu des cycles comme ça, des périodes où il y a un mouvement, plein de groupes, et puis après rien. Ca arrive tous les 5 ans. C’est un peu absurde. Le rap il est bien tout le temps ! Y’aura toujours des trucs nuls qui sortiront, ou qu’on n’aime pas. Le rock aussi on peut dire que c’était mieux avant. Sauf qu’il y a toujours des trucs bien maintenant.Tout le monde sera toujours nostalgique du passé de toute façon. Pour la musique, pour l’architecture, pour tout ce que tu veux.
Dabaaz : La première période, on a appris à faire de la musique, à monter un label, à produire un disque. On a vraiment essuyé plein de plâtres, on était là pendant une période un peu plus lourde. Maintenant, tu peux te servir d’internet, des homes studios, des mp3. On a commencé à l’ancienne, et là maintenant on apprécie l’époque pour ce qu’elle offre. Maintenant on jouit pleinement du web, de la promo gratuite, de faire tourner son son en vidéo. On s’adapte. Mais j’avoue que là, de pas mettre tous nos oeufs dans le même panier, d’avoir des prods un peu moins onéreuses, de pas avoir un label… On est un peu plus détendus. Donc cette période est plus sereine.
Black Boul’ : Plus propice à la création aussi.
Dabaaz : Et puis c’est plus simple. Les révolutions technologiques, là on commence à bien profiter.

 

[highlight]L’ego trip, c’est la base ![/highlight]

 

Votre rap est assez arrogant. Mais cette arrogance qu’on aime bien dans le rap, très bonne vibe, c’est un peu l’arrogance du mec le plus beau du lycée… Les exemples sont infinis « Y’a pas trop de cadavres dans ma discographie », mais aussi « Bande de Followers », « Ca Fait Plaisir »… Et déjà dans « Bouge tes Cheveux », vous disiez « quand j’rappe tes oreilles pissent le sang »… On sent que vous prenez plaisir à être là, à faire le job, à être dans la punchine… Faire du rap, c’est un moyen de toujours restez jeune ?
Drixxxé : L’ego trip, c’est la base ! Nous on a toujours kiffé la punchline. C’est l’essence même du rap !
Black Boul’ : C’est un truc de branleurs de toute façon… Mais y’a pas que ça ! Et puis on le pratique pas plus que d’autres. Y’a pas de prise au sérieux. Tu tu fais rien, personne ne t’attend, donc il faut se motiver soi-même. Donc ça fait parti de l’auto-motivation. C’est pas de la pure masturbation cérébrale.
Drixxxé : C’est un héritage du rap américain !
Dabaaz : On vient pas de l’impro, on vient pas des battles, en général les mecs qui viennent de cette école-là sont vraiment à la quintessence de cette arrogance dont tu parles, mais nous on l’a développé à notre manière dans nos morceaux, et ouais, on aime bien.
Drixxxé : C’est pas parce qu’on est dans un rap festif qu’on est benêts et naïfs pour autant, donc ouais, un peu de piquant, pourquoi pas.
Black Boul’ : Puis dans l’absolu, mieux vaut ça que parler mal sur les autres. Nous on parle pas mal d’autres personnes, on parle bien de nous.

Je comprends que ma question a été mal interprétée. Je reformule donc. Après un mini-débat sur la définition de l’arrogance, Kanye West et l’ego trip; l’interview redémarre de plus belle.

Drixxxé : C’est vrai que l’arrogance, moi c’est un truc que je peux vraiment prendre du bon coté. J’aime bien chez un artiste…
Black Boul’ : …et on aime bien se dire qu’on déchire ! Mais ouais, y’a aussi beaucoup d’auto-motivation dans le délire égotrip. Ca fait parti du truc. Personne ne fera à ta place ce que tu dois faire.

C’est quoi, le plus kiffant dans le fait d’être un rappeur et d’en vivre ?
Drixxxé :
D’avoir des baskets gratuites !
Dabaaz : L’épanouissement de tout être, c’est de vivre de ce que tu aimes faire. Donc oui. Le rap, pas que, on fait aussi un peu de créations.
Black Boul’ : Si on faisait que Triptik, on en vivrait pas. On l’a fait, on l’a vécu, on a essuyé les plâtres et on peut pas attendre qu’après ça.
Drixxxé : C’est à la fois hyper satisfaisant. Mais y’a aussi une part de stress, parce que tout repose sur toi. C’est assez dur à tenir, faut être bien accroché pour te dire que tu vas faire ça toute ta vie !

Et vous vous dites que c’est la classe ?
Black Boul’ : Ouais ! Mais on pondère. Comme on a vécu des heures un peu plus sombres, on se dit plus qu’on a de la chance d’avoir notre tribune, notre rayonnement, pas important mais suffisant pour tenir et que les gens nous suivent.

Dabaaz : On se rend compte aussi qu’on a pas trimé pour rien, et que 15 ans d’activisme, même si on est pas totalement confortables, on est là. On a essayé d’autres formules, Greg a été pion, vendeur chez Gap, moi j’ai été graphiste freelance, c’est beaucoup de frustration et beaucoup de souffrance. Même si on fait pas que Triptik, on reste dans le truc. On fait de la musique pour d’autres gens, on fait des fringues…
Black Boul’ : Tout participe du même procédé. Ici, c’est le point de chute, quand je viens, ça se recentre.
Dabaaz : Y’a plus la scission « je mets un costard pour aller faire des petits dejs dans un hôtel pourri et le soir je vais au studio ».
Black Boul’ : Une fois que la journée est terminée, après fallait encore trouver la niaque pour aller passer la soirée au studio, ou même tout simplement écrire.

Quelles sont vos influences majeures ?
Ensemble: La vie.
Drixxxé : Beaucoup de rap. Beaucoup de soul et de funk, années 70, Stevie Wonder, les Stones, George Clinton. Beaucoup de rap hyper différent. Maintenant y’a tous les trucs nouveaux, mais mes grosses références, c’est Outkast, les Neptunes en général, Tribe Called Quest, De la Soul. Plus De La Soul que Tribe ouais même. Mais je suis un gros gros fan de tout ce qu’a fait Q-Tip après tout seul. Toute la nouvelle école, les Cool Kids. Un peu sur les traces de Pharrell. Plein de trucs de rock, Led Zep…
Black Boul’ : Le rock des années 70, le rythm’n’blues folâtré avec le rock.
Drixxxé : Moi comme je suis basé sur le sampling, je suis obligé d’aller chercher un peu partout.
Dabaaz : La question c’est peut-être « qu’est ce qui ne nous influence pas ? « .
Drixxxé : Surtout réunis tous les trois. Idem dans la vie, les trucs biens, les trucs chiants, on s’inspire de tout.
Black Boul’ : De toute façon, faire du peura c’est un prétexte pour faire de la musique. T’as juste besoin de son, un microphone, deux platines et c’est parti. Je parle peut-être pour Drixxxé mais toutes les musiques sont susceptibles de devenir du rap ! A partir du moment où la base c’est la sampling. Dans mon cas de figure après pour l’écriture, je suis français, donc j’écoute beaucoup de chanson française, Brel, Brassens, Nougaro, Gainsbourg, même la musique française des années 30. J’ai eu un bon passage musique des années folles, Arletty, Maurice Chevalier.
Dabaaz : Le rap, hors de la partie influencée direct par les States, en terme d’écriture, la chanson française… Moi j’ai un truc qui me surprend régulièrement : mes parents avaient Canal+ au tout début, donc j’ai bouffé du top 50 ! Et je me rends compte que tu vois, je l’aurais jamais cité comme une influence, mais trop de variet’ française de ces années là, vraiment pour le texte, j’arrête pas d’y revenir !

Il y avait une manière d’écrire …
Dabaaz :Y’a des formules, des trucs. Sur le morceau Papa, je cite Mylène Farmer, et…merde, comment il s’appelle (il chante « je le sais… »)…Julien Clerc ! Tu vois, j’ai toujours des références variet’ française de base.
Black Boul’ : on est vraiment la génération qui a pris le top 50 plein fer. On est des petits clous !
Dabaaz : Même si ça a mal vieilli ou que c’étaient pas forcément des bons morceaux, vu que c’est du texte en français, bah t’as des petites formules, des phrases, des mots…Et ça ressort dans des textes de rap ! Je trouve ça plus fun aussi, de picorer là dedans, de balancer des refs ici que dans le rap. Le problème d’un rappeur français, c’est de pas trop écouter de rap français justement pour pas trop être tenté de reproduire et de pomper. On utilise tellement le même vocabulaire que c’est compliqué. Faut toujours faire des allers retours. Chez les américains, j’essaye pas trop de comprendre, je chope juste la musicalité et le rythme. Après j’écoute les bons rappeurs français, pas tant que ça mais y’a 5, 6 gars que j’aime écouter; mais ouais, on fait gaffe. Tous les faux Booba, les faux Sinik, les fausses Diams qui sont sortis… Tu peux vite pomper sans t’en rendre compte.

Je peux vous demander une sélection de morceaux ? Votre morceau Rap FR préféré des années 1990 ?
Drixxxé : Rap Contact, de La Cliqua. En automatique là. Y’en a d’autres mais là comme ça, je dis lui. Freaky Flow Remix de Daddy Lord C aussi.
Dabaaz : Celui qui m’est venu tout de suite, c’est Chacun Son Camp, d’Oxmo.
Black Boul’ : Ah dur. Moi je vais dire Qu’est Ce Qui Fait Marcher les Sages. Cet album…
Dabaaz : Les Sages Po c’était plus un album. Si tu isoles un morceau… Même si ça reste efficace, c’est pas aussi bien que tout l’ensemble.
Drixxxé : Si on en sort un c’est Teknik dans la Peau. J’ai re-tour-né ce morceau. A cette époque là, y’avait vraiment un truc ça sortait dans tous les sens! Sérieux, y’avait TSN, y’avait Les Little aussi même avant!
Dabaaz : Y’avait déjà des mecs vraiment dans le fond, qui écrivaient bien, sérieux et tout, mais y’avait aussi toute une phase où c’était n’importe quoi ! Plein de forme, hyper créatif, que du flow, les mecs s’en battaient les couilles de la langue française. Souvent ça voulait rien dire, mais au moins y’avait cette liberté, comme dans la variet’ des années 80 où les paroles sont super loufoques…
Drixxxé : Mais toi t’es entre les deux générations ?

Ouais ! Mais quand j’écoutais du rap quand j’ai commencé, j’avais quoi, 13 ans ? Et c’était déjà… La Cliqua, Comme une Sarbacane par exemple, c’était déjà vieux. J’ai découvert La Cliqua avec Né Pour Ca. Doc Gynéco était sorti y’a 2 ans. Mais les Sages Po, tu vois c’était vieux pour moi. Mais on écoutait tout. C’est comme si t’arrivais dans un grand magasin avec que du rap, et tu te contentais de dévorer. Y’avait pas l’idée de telle ou telle époque…
Dabaaz :
Quand j’avais 12-13 ans aussi c’était la même chose, le moment où le rap est arrivé. Y’avait le même phénomène avec le punk français. Genre les Béru et compagnie. Mais moi, j’étais un peu trop jeune pour avoir connu les débuts. A 12, 13 ans, je récupérais des albums qui avaient 5 ans, 10 ans, 2 ans, et je mélangeais tout, c’était juste l’esprit de ces mecs un peu rebelles. Mon beau frère qui a ton âge, il a bouffé le rap français pareil.

 

[highlight]Alpha Wann, c’est le Wikipédia du rap français![/highlight]

 

Mais même les plus jeunes, regarde 1995, les mecs sont hyper cultivés !
Drixxxé :
Non mais eux c’est des encyclopédies. Ils sont incroyables.
Black Boul’ : Surtout Alpha Wann. Il connait mieux le rap français que le rap américain, et sur une période de 25 ans. C’est le Wikipédia du rap français.
Dabaaaz : Mais ces mecs là, que ce soit 3010, Deen, une partie de l’Entourage ou des mecs de Cool Connexion, c’est pas pour rien qu’ils sont là. C’est un peu des surdoués. C’est des mecs qui sont arrivés dans un désert, ils se sont fait eux-mêmes, et c’est des mecs qui ont une énorme culture rap au moment où c’était pas vraiment de leur âge, et qui ont su l’assimiler et qui commencent maintenant à sortir.
Black Boul’ : 3010 il faisait du son à 14 ans!
Drixxxé : Et la fusion du mouvement qui revient avec tous ces mecs là, ça donne là où le rap en est aujourd’hui.

Et puis ça a donné envie à tous les anciens de revenir!
Drixxxé :
Grave. Mais c’était latent en fait. Y’a eu le même phénomène aux Etats-Unis avec ce retour aux samples, ce retour à un son plus 90s. Le truc est passé en France mais c’est clair que c’était parfait pour toute notre génération. Je pense qu’on a de belles années devant nous.

 

Ce qui serait cool, c’est qu’un truc émerge vraiment.

 

Ouais, 3, 4…
Black Boul’ : Plutôt 2 je pense. Ca va tellement vite. On sort de 10 années de rap dur..
Drixxxé : Ce qui serait cool, c’est qu’un truc émerge vraiment. Un truc issu du rap français mais qu’on a jamais vu. Pour l’instant on est un peu dans la revisite, on apporte des touches, on regarde aux States. Ce qui serait vraiment cool c’est qu’on voit des trucs un peu inédits. Pour l’instant y’a de la fraicheur, mais en terme de création, pas de folie furieuse. Nous a un moment c’était tout pourri à cause du business, tout le monde voulait signer, tu sortais rien si t’avais pas la garantie d’avoir un titre sur Sky…
Dabaaz : Ca a sonné creux. Après 2005 le rap ne vivait que par des grands médias, donc ils voulaient tous installer tel ou tel style; et il n’y avait plus de place pour les autres. Ce qui n’était pas le cas quand il y avait tous les fanzines avant ! Ca c’était relou, et énervant. Quand tout le monde voulait de la blague, du Kamini, après tout le monde du super violent…
Black Boul’ : Et puis on avait perdu l’idée de performance, du pur MC, et ça s’est revenu.
Drixxxé : Je me remémore un truc. Quand Busta Flex a sorti le maxi Kick avec Mes Nike et qu’il a fait son couplet sur avec une banane dans la bouche pour avoir un flow différent, ça c’était de la performance ! Et là ça revient.
Dabaaz : Puis tout le monde s’est fait connaître par des vidéos par très abouties, des freestyles, des faces B. Et du coup ça fait un an que ça dure, et là tout le monde essaye d’arriver avec ses vraies prods, son univers, son clip. On sait maintenant que plein de gens savent rapper, c’est plutôt de voir qui balance les meilleurs albums, les prods les plus lourdes, qui fait les plus gros concerts. 1995 ils ont bien transformé le truc, ils sont tout de suite partis dans des grosses tournées, ils ont engrainé tout le monde, ont sorti des vrais vinyls, des vrais CDs.

Puis du coup c’est à leur tour d’aller supporter des petits…
Ouais.

Vos morceaux préférés FR & US en ce moment ?
Drixxxé : J’y Pense de 3010. Tellement Mortel. En rap US : Grown Up de Danny Brown.
Dabaaz : Sur le projet de Jazzy Bazz, le morceau 3.14 avec Esso. A la base c’était un groupe et je les aime bien tous les deux. En rap US, celui que j’ai vraiment le plus écouté,  c’était Hiiipower de Kendrick Lamar : pour le sample, la voix, et son petit flow.
Black Boul’ : Fly Union. Pas celui de Gero. Avec la boucle énorme là! J’suis mauvais en titres c’est grave. Bref, Fly Union. Et en français …
Drixxxé : ce que t’écoutes dans ta caisse, que t’as écouté 100 fois!
Black Boul’ : C’est rare le rap français. 3010. J’ai vraiment retourné.

Faut que j’aille me pencher sur ce 3010 !
Dabaaz :
Ah ouais vraiment. Quand t’es vraiment dans le rap en plus, ça change tout d’avoir des affinités humaines avec une personne. Tu regardes la musique différemment. Mais 3010, pas besoin de le connaître pour apprécier.
Black Boul’ : Bon je sais toujours pas… (ils l’aident) Ah si ! Un morceau pas encore sorti. De Rimcash, Open Bar !

C’est quoi votre cantine préférée dans Paris ?
Black Boul’ :
Thu Thu le thailandais à Mairie du 18ème. Fabuleux.
Drixxxé : La Cave à Jojo, rue des Trois Frères. Le 16 Tholozé aussi.
Black Boul’ : Aux Bons Amis à Belleville.

Morceau Electro?
Drixxxé :
I Love You So de Cassius
Dabaaz : J’en écoute jamais. Un truc de Justice.
Black Boul’ : Sebastian, Motors. Juste pour la performance.

Et pour compléter le panel, morceau Rock ?
Dabaaz :
J’ai écouté par hasard Revolver. C’est un peu rock. Et c’est plutôt efficace. A la réecoute c’est des bons morceaux.
Drixxxé : People Let’s Stop the War.
Black Boul’ : Un truc de Ratatat qui m’avait bien calmé.

C’était un peu tentant, alors rien que pour vous, voici la playlist issue de l’Interview, en ligne ici : Playlist Interview Triptik x SURL.

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