Interview // Vicelow

mardi 15 mai 2012, par Julie Green.

On vous en parlait pour la première fois ici : Le Rap, c’était mieux avant ? Depuis, Shurikn, 1995Youssoupha, et bien d’autres ont à leur tour accepté d’y répondre avec nous. Alors quand les mecs de MPC Prod nous ont proposé une interview de Vicelow, on a sauté sur l’occasion. Rencontré dans un après midi d’avril dans un café du XXème arrondissement, Vicelow nous parle de son excellent nouvel album, BT 2.0, de ses racines, mais aussi de sa pause dans le rap game et de son amour pour la danse. Authentique, calme et toujours pertinent, Vicelow nous ramène aux questions de l’enthousiasme et des valeurs qui l’ont conduit à la musique, et qui nous permettent de le retrouver aujourd’hui, au service d’un hip hop qu’il souhaite universel. Entretien.

Hello Vicelow ! Alors, quoi de neuf depuis la fin du Saïan ? Tu peux nous résumer brièvement ton parcours disons, allez, sur les dix dernières années ?
Ouais, mais non ! Déjà, la fin du Saïan, elle date de 2007. Donc voilà, le groupe s’est dissout, chacun est allé dans sa direction. Moi, à cette époque, quand le groupe s’est terminé, j’ai lancé mon label pour justement produire mon premier projet solo : la Blue Tape 1. C’est à ce moment là j’ai rencontré So Fly, qui a produit tous les sons de la BT1 et donc voilà. Donc à l’époque je voulais déjà faire un album, mais avant cet album je voulais sortir un projet un peu officieux et tout, la Blue Tape donc. Et puis finalement cet album je ne l’ai pas sorti. J’ai voulu prendre un peu du recul par rapport au monde du rap et toutes ces choses là. J’ai quand même continué à être actif en live, en défendant le projet Blue Tape sur scène avec mes danseurs, et à partir de ce moment là j’ai un peu laché le rap pour commencer à vraiment devenir actif dans la danse. Et voilà.

Justement, j’allais y venir. Tu peux nous parler de cette époque où tu as décidé d’arrêter le rap et monté le Blue Tape Show ?
En gros, j’ai pas réellement arrêté le rap, j’ai pris du recul. Mais j’ai vraiment continué  à rapper en live, à faire mes concerts, ici, à l’étranger. Et comme j’avais des amis danseurs et que je suis dans la danse depuis aussi longtemps que dans le rap, j’ai fait un show pour les pré-selections d’un évènement qui s’appelle Juste Debout à Paris, en février 2008, et c’est à ce moment que le Blue Tape Show est né. Parce que voilà, c’était le concept, rap, danse…et moi c’était, comment dire…pas un rêve d’enfant mais presque ! J’ai toujours kiffé la danse et j’ai jamais pu vraiment l’exploiter auparavant. Même avec le Saïan, on était dans le délire mais on était pas danseurs. Donc on a pas mal fait de scènes avec mes danseurs, qui entre temps sont devenus champions du monde à Las Vegas,  et puis j’ai fait travaillé So Fly sur pas mal de projets danse, j’ai connecté ces deux là, par la suite j’ai monté un site internet…donc j’ai eu d’autres casquettes ! La casquette du créateur du site Ilovethisdance,  qui parle de danse, mais aussi de street culture et de musique. J’ai réuni des passionnés et on l’a lancé. Et puis il y a l’évènement Ilovethisdance aussi. On a fait la première en 2009 au Comedy Club, et l’année dernière on s’est retrouvé à la Cigale !

Quelle a été ta motivation pour finalement remettre aujourd’hui les deux pieds dans le rap ?
Ma motivation…En fait quand tu prends du recul, un jour tu te dis « allez, c’est reparti ». Mais ma motivation elle était aussi due au fait que j’ai pas mal évolué dans le réseau danse, un réseau ou le public comprenait ma musique, ma direction musicale…c’est pas du tout le même public que des gens qui n’écoutent que du rap ! Les danseurs, par rapport à leur discipline, ils écoutent un certain type de musique. L’outil… Y’a un vrai délire hip hop que j’ai retrouvé dans la communauté danse, dans des soirées, des fêtes, des évènements, des battles. Et c’est ça les sons que je kiffe, les sons sur lesquels ils dansent. Donc ils m’ont motivés. Ils m’ont soutenu, ils ont toujours été présents. Et quand tu te sens compris artistiquement, t’as plus de confiance et tu vas au bout. C’est là où j’ai décidé de faire le second volet de la BT2. Et ensuite, quand le projet a évolué, y’a un moment où tout s’est calmé, et là je me suis enfin retrouvé en tant que Vicelow, 100% culture rappeur. Il y a quelques morceaux dans le projets, les deux trois derniers que j’ai écris, qui sont pas du tout dans un délire danse, qui sont dans un délire beaucoup plus textes, profonds, personnels. Donc j’étais content parce que je retrouvais un équilibre, quelque chose qui s’accordait vraiment avec mon état d’esprit du moment. J’aime le mouvement, j’aime danser, mais j’aime aussi les trucs un peu plus posés.

 

[highlight]Quand tu te sens compris artistiquement, t’as plus de confiance, et tu vas au bout.[/highlight]

 

Heureux ?
Ca va ouais. Pas malheureux en tout cas. C’est cool.

Bon on va parler un peu plus profondément de l’album. Dans Saturn, tu t’en prends un peu au rap intello. Tu dis « le rap  à les poches trouées », « le game c’est pas pour moi j’suis hyper sensible », « putain de pays littéraire », « trouvez moi la porte de sortie que j’me casse d’ici »…
C’est pas le rap intello attention.

Justement, je me posais un peu la question, parce qu’à coté de ça t’as des textes comme sur Nouvel Automne qui sont magnifiques ! Du coup c’est quoi, tu te positionnes un peu comme un outsider en revenant dans le rap game ? Face à des mecs comme Youssoupha, qui ont vachement intellectualisé le rap, avec des albums hyper beaux mais auxquels on pourrait peut-être reprocher de manquer un peu d’âme, d’être un peu académiques…
Ouais non. En gros, par rapport aux extraits du disques que t’as sorti, quand je dis « putain de pays littéraire »,  c’est vraiment dans un sens général, dans un état d’esprit typiquement français. En France on a une culture de l’écriture. On a une culture littéraire. Et à coté… Tu vois, j’aime bien les rappeurs qui écrivent bien, qui soignent leur écriture, j’ai vraiment pas de souci avec ça. Mais hey, on fait de la musique aussi ! Donc il y a une sensibilité que les gens ont en regardant les Etats Unis, ils se disent « Wa! C’est mortel ! ». Mais eux les Etats-Unis ils ont cette culture musicale. Nous, on a une culture d’écriture. Donc voilà, ça c’est vraiment les deux particularités, et des fois ça me saoule, parce que je donne autant d’importance à  l’aspect musical qu’à la rédaction des textes. Et l’écriture, après on peut aussi la mettre dans différentes catégories. L’écriture, aujourd’hui, par exemple c’est un peu la mode des punchlines. C’est un style qui a toujours existé, et qui aujourd’hui est beaucoup à la mode. A coté, t’as les gens qui sont eux mêmes des univers, qui développent des concepts dans leurs morceaux…

Oxmo ?
Ouais Oxmo. Et des mecs comme ça j’en trouve de moins en moins. Et quand tu regardes à l’époque dans le rap, le rap c’était des voix, c’était des personnalités, aujourd’hui, t’as pas un Joey Starr, t’as pas un Kool Shen. Aujourd’hui tu peux plus trouver des groupes comme ça. Chacun reste dans son truc et pour le coup, je me dis que à l’époque…

…à l’époque, c’était les débuts du rap en France aussi ! 
Ouais c’était la naissance du rap mais justement ! Il y avait énormément d’influences des Etats-Unis, tout venait de là bas. Et en même temps, on faisait quand même du rap français. Les gens étaient militants, ils avaient leurs discours. Alors je sépare en deux ceux qui aujourd’hui ont un discours, et ceux qui veulent être dans les punchlines. Pour le coup, pour revenir au délire « putain de pays littéraire », c’est vraiment dans le sens où…y’a des artistes qui rappent pas bien, et ils sont mis sur un piédestal parce qu’ils écrivent bien. Je trouve pas ça normal.

Orelsan ?
Non non, Orelsan, c’est encore autre chose. C’est un concept. Orelsan il a son univers, c’est pas des mecs comme lui auxquels je pense. Mais oui, je trouve qu’il y a énormément de rappeurs qui n’ont pas l’amour du truc. Ils vont poser sur une instru à la mode, y’a pas de recherche avec ces artistes là…Et ça ça me dérange. Ca me dérange parce qu’aujourd’hui y’a des rappeurs qui peuvent se faire encenser juste parce qu’ils écrivent bien. Enfin, entre guillemets. Et je pense que la prise de risque elle est certes dans l’écriture, mais elle est aussi dans tes orientations musicales, la direction que tu prends est importante. On va plus mettre en avant des mecs qui sont dans le texte que..Tu vois la BT2 par exemple, je me suis énormément investi musicalement, et cet album, c’est So Fly et moi, c’est notre album en commun. Cette démarche là, c’est quelque chose qui se fait pas trop en France. De développer le coté musical, mettre en avant les artistes, les choeurs. Après, « le rap a les poches trouées », ça c’était plus dans le rap game, pour dire qu’on était pas vraiment organisés. On croit qu’on est au top mais il y a encore du boulot. Donc le rap intello, pour moi ça veut tout et rien dire. Ce que je voulais toucher, c’est cet état d’esprit français, cette idée qu’on a de pouvoir changer les choses avec un texte… Moi je me sens pas artiste avec un seul texte. Et comme avec le Saïan on a pas mal voyagé, j’ai vu le hip hop dans le monde. Et j’ai pas de barrière. La France, ça ne me suffit pas. J’ai des retours de gens d’Allemagne, des Etats-Unis, et ils comprennent ma musique, ils comprennent ma démarche.   C’est aussi important qu’un mec qui va me dire « ouais, Nouvel Automne, j’ai kiffé, c’est super beau ». Aussi important, l’un ne va pas sans l’autre.

 

[highlight]Y’a des artistes qui ne rappent pas bien, et ils sont mis sur un piédestal parce qu’ils écrivent bien. Je trouve pas ça normal.[/highlight]

 

Du coup, tu réponds un peu à ma prochaine question. T’as beaucoup bossé les prods sur l’album, et puis il y a toute une démarche. Ca chante en anglais sur les  refrains, t’as des interludes, en écoutant Beat Sale et même Saturn, tu dis : « la plupart s’en foutent des rythmes », même sur Nouvel Automne, Nemir dit : « j’fume la prod comme une drogue indispensable ». Et c’est surtout un peu l’histoire de Mets ça Haut, « you think you’re on the top of the game… »… tu rêves d’un hip hop à l’américaine ? 
Ouais, après, pas forcément. Je rêve d’un rap complet. Y’a des choses bien, mais aussi des moins bien aux Etats Unis. Ce qui me touche là-bas… Bon, à un moment donné déjà le rap il vient de là-bas. Leur force aux US, c’est que t’as des artistes mainstream qui prennent encore des risques et qui font des choix artistiques. Ils sont toujours précurseurs. Ici… Booba était comme ça à une époque. Il avait pris une direction musicale qui n’était pas dans le délire français. Et tout le monde le suivait. Y’avait peu d’artistes comme lui. Après, non, je rêve pas d’un hip hop à l’US, je rêve d’un hip hop universel. La barrière de la langue ne doit pas être un frein. Il faut rapper en Chine, au Japon, que les gens hochent la tête. Ca, la tête, c’est un langage universel! C’est pour ça que c’est aussi important.

J’ai une question un peu délicate. La fin de l’album est plus sombre. T’as ce morceau, Martin Luther, pour le coup là clairement engagé. C’est assez dur, tu dis : « ma couleur a causé ma perte », et c’est là que j’ai été interpellée par un détail, tu parles d’un truc à mon sens assez tabou : tu parles de l’odeur des noirs. Et c’est pas la première fois, déjà dans La Preuve Par Trois (extrait de Saïan Supa Crew – KLR – 1999), je crois même que c’était ton couplet…ça met vachement mal à l’aise l’auditeur. C’est une vision super dégradante, presque douloureuse du racisme. Alors faire du rap, c’était quoi, une évidence, ou y’avait ce truc inconscient de faire du rap parce que c’était un « truc de blacks » ?
Bah j’ai voulu faire du rap d’abord parce que j’aimais écrire. C’était un truc d’évasion. Après…je sais pas, c’est vraiment quelque chose de naturel. Pour le coté noir, c’est sûr, c’est un des thèmes que je peux me permettre d’aborder, je reste un noir. Ce morceau il faut l’écouter, il a deux messages. T’as la première partie où en gros, imagine, je marche dans la rue, je suis là, je sens les regards des gens. Et ça, ça attise de la colère, de la haine. Et tu penses à tous ces moments, tous ces clichés, ces stéréotypes…et ça remonte, ça remonte…Et là je m’énerve quoi ! Je commence limite à avoir un état d’esprit en mode Black Power, et puis après, bim! Je me rends compte que c’est pas ça la solution. Quand j’dis « putain merde j’divague, j’vois qu’mes pensées zigzaguent », c’est là que je me dis, « putain, du calme », et que je veux apaiser cette colère. Mais que pour ça il me faudrait une forme de reconnaissance. Il faudrait que la France admette certaines choses qu’elle ne veut pas admettre, je me sens un peu perdu… Moi dans mon cas, je suis entre Lomé et Pointe à Pitre aux Antilles, tes origines ont des conséquences sur des générations et des générations. Et bref, je termine en disant, voilà, moi au final je vais transmettre. Mes enfants sont métisses, leur maman est blanche. Moi-même, il faut que j’arrive à appréhender tous ces aspects négatifs du racisme pour pouvoir transmettre à mes enfants. Pour que eux mêmes, qui vont avoir d’autres problèmes, puissent gérer. Moi je suis entre Gwada et Togo, eux ils sont entre blancs et noirs. Donc ils vont devoir trancher, se confronter sur des choses que moi je ne connais pas. Il faut que je puisse leur donner du contenu s’ils se retrouvent dans une situation similaire. Je termine avec une touche d’espoir, en mode sagesse. C’est ça que je veux montrer à mes enfants. Après, quand je parle de l’odeur des noirs… C’est des clichés…

 

[highlight]Je rêve d’un featuring avec le Saïan.[/highlight]

 

On va passer à des questions plus sympas : Le Saïan, reformation ?
(rires) Non…

Ta marque de fringues du moment ?
LRG.

Tu t’es déjà fait une Angela ?
Ouais !

Un featuring que tu rêverais de faire ? 
…avec le Saïan.

Ton morceau préféré en ce moment ?
The Weeknd.

Je remercie Vicelow et lui mentionne notre projet de dossier autour de l’axiome « Le Rap, c’était mieux avant ? » – il tient à prolonger l’entretien pour faire un point sur sa vision du rap.
Par rapport au morceau « Mets Ca Haut », à ma position dans le rap, des choses ont été mal comprises. Il y a ce premier couplet où je parle de la nouvelle génération, puis des anciens. Les gens captent pas ce morceau. Je dis, en gros « petit, tu penses ce que tu veux mais t’as encore du chemin ». Beaucoup de personnes, de jeunes MCs ne respectent pas les anciens. Je ne trouve pas ça normal. Moi je suis entre les deux, entre les nouveaux et les anciens. J’ai été plus jeune, j’ai fait parti de l’ancienne génération et j’avais un respect. Quand on était jeunes, les plus agés on les appelait les grands frères, maintenant, c’est « les anciens ». Je trouve ça péjoratif. C’est un problème qui s’accentue dans le rap. Dans le deuxième couplet je parle aux anciens, pour eux leur dire de pas se plaindre, on peut pas juste pointer du doigt. Si tu veux rester dans le game, il faut que tu sois compétitif! Et performant. C’est aussi à toi de te donner les moyens de pas te faire gicler par un petit. Et si tu tiens la route, « avec un beat qui tue, mets ça haut », et t’auras le respect de tout le monde. C’est pas juste un egotrip ce morceau.

 

[highlight]Si tu veux rester dans le game, il faut que tu sois compétitif ![/highlight]

 

Alors, finalement, le rap, c’était mieux avant ?
Y’a des choses qui étaient mieux avant. C’était différent. Y’a un esprit, y’avait une communauté, un truc fédérateur qu’aujourd’hui il y a moins. Ca commence à revenir. Mais avec moins de sincérité. Y’a la politique du buzz maintenant. Y’a un enthousiasme qui revient, mais les mecs se la racontent parce qu’ils ont 500 000 vues sur Youtube… Le rap, aujourd’hui, on le voit autant qu’on l’écoute. Certains artistes sont mis à un tel niveau de notoriété…ils ont fait 4 scènes! Ils se sont pas confrontés à un public qui ne connait pas leurs chansons. Dans « Saturn«  y’a un peu de cette génération. Pour moi, au final ça pose problème. Ca manque de crédibilité, de consistance. La réalité, c’est quoi : c’est tu viens devant quelqu’un que tu connais pas, tu rappes, si tu lui tapes dans l’oeil, il kiffe. Aujourd’hui les rappeurs ils font 4 vidéos, je sais pas…En même temps, faut quand même avoir un discours positif. Parce que quand tu regardes bien, ces 3, 4 dernières années, le rap ne représentait pas tous les courants. Et là, ça commence à arriver. On a du rap un peu ghetto, du rap hip hop, du rap plus spé…chaque mouvement commence à avoir son public. C’est une bonne nouvelle pour le rap. C’est à cause de ça que j’avais arrêté, et c’est grâce à ça que j’ai eu envie de revenir. Soudainement il y avait de la place. Je m’y retrouvais plus, j’allais pas me retourner vers le public du Saïan. Je serai pas revenu si j’avais pas senti qu’il se passait un truc. Là, les gens sont attentifs. Ils sont en demande.

 

Album digital, la BT2.0 : Sortie le 9 Avril (IDOL),
En concert le 23 Juin au Zénith, en 1ère partie de the Roots 
Crédits photo : Willam K

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