Jarod : « En France, les gens ont peur de perdre »

vendredi 30 octobre 2015, par Ken Fernandez. .

Jarod le Caméléon traîne ses qualités d’adaptation depuis plus d’une décennie dans le rap français. Une période passée tour à tour aux côtés de la Sexion d’Assaut, puis Wati B avec son groupe L’Institut, avant de reprendre son indépendance. Ses différents changements n’ont pas impacté le rappeur à la trilogie « frappe » – Feinte de frappe (2011), En attendant la frappe (2012) et Frappe préventive (2014) – dont le lieu de chasse privilégié reste le freestyle. À quelques semaines de la sortie de son album Caméléon, rencontre avec le kickeur.

Les balances sont terminées à la Marquise. La fin d’une après-midi lyonnaise chargée dont Jarod a l’habitude. Après avoir passé une partie de son dimanche à freestyler place Bellecour avec son public Gones et à quelques heures de son concert, organisé par les amis de New Castle, Jarod se pose quelques minutes, scotch sans glace à la main sur la terrasse de la péniche. L’occasion de retracer une décennie caméléonienne au sein du rap hexagonal : de ses fréquentations, à ses styles et surtout sa musique, Jarod a érigé un point d’honneur à toujours surprendre et étonner. Le Caméléon a choisi son amour du rap comme terrain de jeu à ses transformations. Et on ne s’en plaindra pas.

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SURL : Ce dimanche tu joues à Lyon. Chez SURL, le dimanche c’est sacré (voir ceci, ceci mais aussi ceci). Alors c’est quoi le jour du seigneur type pour Jarod ?

Parfois je suis en concert ou alors c’est des lendemains de dates parce que souvent elles tombent le samedi. En général tu te réveilles, il est 11 heures, tu es éclaté, mais tu vas manger. Même si je suis à l’autre bout de la terre, j’irai trouver un endroit pour manger. C’est important pour moi de me taper une bonne graillance le dimanche midi. Souvent, je me lève vers dix heures, si je suis chaud pour le p’tit déj, je m’y mets ou sinon c’est brunch direct à onze heures ou midi. On se trouve un petit endroit calme, on y reste jusqu’à 16h, on mange, on boit des coups, voilà, c’est ça le trip. Sinon, quand j’ai la chance d’être à Paris, le dimanche je vais boire un verre avec des potes et je travaille. Et oui, il m’arrive même de travailler le dimanche. Ça dépend, au final c’est assez varié.

Et visiblement, le dimanche c’est aussi un jour de freestyle comme les autres pour toi. Comment s’est passé le Freestyle Tour de cet après-midi, place Bellecour ? Plus largement, peux-tu nous expliquer ce que tu recherches avec ce concept ?

À la base, je sais pas, ça m’est venu comme ça. J’ai sorti mon premier projet, Feinte de Frappe à Paris, à l’époque où j’étais encore chez Wati B. On a organisé un gros freestyle à Châtelet pour la sortie et grave du monde est venu. Après ça, on s’est dit naturellement : pourquoi ne pas le faire de partout ? Parce que les gens ça les fait kiffer, toi tu viens, tu rappes, tu peux vendre tes tee-shirts, tes CDs, tout ça. C’est un moment de partage, c’est une bonne ambiance. Maintenant, dès qu’on va dans une ville où l’on est invité pour un concert ou quoi que ce soit, le jour même, on organise sur la place principale un Freestyle Tour en plein air, où tous les kickeurs de la région sont invités. Il y a parfois des gens qui viennent de très loin lorsqu’ils savent qu’on vient dans leur région. Ils se déplacent et viennent kicker. Le moment est filmé par Diez31diez et on fait une compilation avec les meilleurs que l’on met sur ma chaîne YouTube.

Et quel est le retour des gens que tu rencontres ?

L’accueil est génial. Déjà, ça te permet de fidéliser ton public parce que tu le rencontres ; il y a des gens qui viennent pour faire des photos ou des dédicaces. Et les kickeurs, ça leur donne une occasion de se faire connaître. Parce que j’ai la chance d’être exposé, Dieu merci, un peu plus que d’autres artistes, donc c’est une occasion pour les mecs d’ailleurs d’avoir leur petit créneau. Parce que c’est vrai que c’est pas facile quand tu es en province. On n’a pas fait que de la province d’ailleurs, on est aussi allé en en Suisse, en Belgique, au Canada. Quand tu n’es pas de Paris, c’est difficile de faire du rap français. J’oublie Marseille aussi. Mais c’est donner une occasion à des gens. Perso, en tant que rappeur, j’aurais kiffé à l’époque qu’on vienne me voir et qu’on me dise « vas-y, tu as l’occasion de rapper et de te faire voir par la France ou même au delà pour ce que tu fais ». Pour moi, c’est l’esprit hip-hop. C’est vraiment ça que je veux, l’esprit hip-hop.

 

« Le jour où un mec arrive, vient et me dégomme en freestyle ou bien si j’en refuse un, c’est que je suis fini. Je prends ma retraite »

 

Tu as fait des rencontres marquantes au cours de ces freestyles ? Cela a déjà mené à des collaborations ?

Bien sûr. Franchement, j’ai fait des vraies rencontres avec de vrais gens. Et parfois des mecs super forts. Et dès que j’en ai l’occasion, que je vois que le mec est très fort, j’y dis ben viens en studio, on pose, comme avec Chris Karjack, avec qui j’ai fait un morceau qui s’appelle « Highlands ». Chris Karjack, c’est un mec que j’ai rencontré au Freestyle Tour d’Avignon, il est aussi venu à Marseille, il a aussi fait le freestyle avec nous sur Skyrock et il risque aussi d’être là ce soir à Lyon. Il se déplace tout le temps quand il sait que je suis là pour kicker et kiffer avec nous. Avec le temps, c’est même devenu un pote à force de le voir sur les dates, un bon pote. On fait des bêtes de rencontres et surtout on se rend compte que beaucoup de mecs ont du niveau. Alors parfois tu rentres chez toi et t’écris un texte, parce que tu te dis qu’il ne faut pas se laisser aller. (sourire)

Comme tu l’as toi même dit, le freestyle, c’est l’essence même du rap. Pourtant, il a perdu un peu de sa superbe en France ou aujourd’hui, freestyler c’est vu comme un risque. Comment tu l’expliques ?

Oui, je sais. Déjà, je pense que c’est une mentalité française, parce que quand tu regardes le hip-hop aux États-Unis, même les gros, si tu les appelles en freestyle ils viennent. Parce que là bas, c’est la base même. C’est comme un match de boxe, il y a un mec qui arrive et qui te dit, je te cogne. Comment toi, parce que tu as grossi, tu vas lui dire non ? Tu n’as pas les couilles de freestyler avec lui, même si c’est un petit ? Et justement, si c’est un petit, ben montre lui que tu es un grand. Mais je crois que les gens en France ont peur de perdre quelque chose, ils ne sont pas sûrs d’eux.

Mais moi, je prends vraiment le rap comme un sport. Parfois ça arrive, tu peux te prendre une volée comme ça par des mecs sans t’y attendre… Mais je me bats. Je me bats et en général je me démerde. Ça fait des années que je freestyle, donc je commence un peu à connaître le truc, mais je ne veux pas me relâcher là dessus, parce que pour moi, c’est la base. Le jour où un mec arrive, vient et me dégomme en freestyle ou bien si j’en refuse un, c’est que je suis fini. Je prends ma retraite. Je ne comprends pas que l’on puisse refuser ça. Un mec t’appelle et te dit « viens en tête à tête, toi et moi », tu es obligé d’accepter. C’est ton honneur, c’est ta fierté de rappeur.

En tant que fervent défenseur du freestyle, si tu devais constituer un top français et US, qui y figurerait ?

Alors, je vais te faire les deux. Top 3 US, en freestyle, je mets Kendrick, qui est un freestyler de fou. Ensuite, je mets un mec dont tu as peut être jamais entendu parler, Young Hot car il n’a pas percé, mais qui faisait des freestyles de fou. C’est un mec de Philadelphie, un furieux, tapez ça sur YouTube, vous allez devenir fou. Et en troisième, c’est dur parce qu’il y en a quand même beaucoup, mais pour changer d’univers, je dirais Cam’ron. Ensuite c’est dur, parce que Lil Wayne, ou Snoop aussi ce sont des fous en freestyle. Eux, ils ont gardé ce truc là. En Français, freestylers, je te mets Chris Karjack déjà, il est dedans, franchement c’est un des meilleurs freestyleurs en France. Hayce Lemsi, c’est un très bon freestyler aussi. Et ensuite, un mec qui déboite en freestyle… c’est compliqué mais je vais te mettre Tanshe, un mec que j’ai recontré au cours du Freestyle Tour de Paname, proche de Hayce Lemsi.

Tu parlais tout à l’heure du Canada. Comment s’est passé ton voyage au pays de Drake et Céline Dion ?

J’y étais déjà allé une fois et c’était fou. Mais là, j’y suis allé pour trois dates, une mini tournée, donc j’ai fait Montréal, Trois-Rivières et Quebec. C’était dingue, vraiment dingue. C’est autre chose le Canada, c’est comme les Etats-Unis, ça kick et l’ambiance est américaine. Là bas, les mecs viennent, écoutent, même s’ils ne connaissent pas. Ils voient que tu envoies, ils s’arrêtent, ils achètent des tee-shirts. C’est le partage direct, c’est culturel. Ils sont à deux heures de New-York en même temps donc ils sont vraiment dans le hip-hop. Ils savent ce que ça veut dire et ils connaissent. Vraiment, pour moi le Canada c’est un kiff, parce que je sais qu’il n’y a pas beaucoup d’artistes qui vont y faire des tournées, même chez les gros. J’ai vraiment beaucoup de chances, je suis content, et je big up tous les gens que j’ai rencontré au Canada, même pour des collaborations. J’ai rencontré grave des beatmakers, des réalisateurs qui ont déjà fait des trucs à moi. Le clip de « Comme d’hab » c’est fait par un mec de Montréal, la prod de « Merdier » aussi, y aura aussi un feat sur l’album… Voilà, là bas, c’est effervescent, niveau hip-hop, ça bouge à mort. Tous les gens qui peuvent aller au Canada, je leur conseille parce que ça t’ouvre grave l’esprit.

En parlant d’ouverture d’esprit : tu es un ancien de Wati B, est-ce que tu ne regrettes pas d’avoir raté la BO du film Aladin avec Kev Adams ?

(rire) Black M c’est mon gars, je l’aime bien. On s’est encore croisé y a quelques mois. C’est mon gars, mais voilà, ce n’est pas ma direction artistique.

Justement, tu as encore des contacts avec les mecs de Wati B ? Quel regard portes-tu sur leur évolution ?

Certains oui, certains non. Personnellement, en tant qu’auditeur et critique, si je peux me permettre, j’aurais aimé les voir dans un créneau, je vais pas dire puriste, mais plus poussé au niveau de l’écriture. Parce qu’ils sont capables de le faire. Ce sont des gens qui ont beaucoup de talent mais ils sont partis, je pense, uniquement dans le but de vendre, vendre, vendre. Mais vendre, à un moment c’est bien, mais fais kiffer tes auditeurs de base : les mecs qui écoutent le rap et qui aiment ça. Parce qu’aujourd’hui, je ne pense pas que les bousillés de rap écoutent encore Sexion d’Assaut, malheureusement. Alors qu’au début, c’était le cas, ils mettaient tout le monde d’accord. C’est dommage, j’aurais aimé, parce que je sais qu’ils ont le potentiel, entendre des trucs forts d’eux, dans ce style là. Après, leur musique elle est forte, à plus grande échelle on va dire, mais c’est pas ce qui va nous plaire à nous en tant que musiciens.

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C’est d’ailleurs Maître Gims qui t’a donné ton blaze de Caméléon. Et si, au final, c’était pas lui, le « Roi des caméléons » ?

Oui oui, c’est lui qui m’a donné mon nom. Et oui aussi, il est caméléon. Il a suivi ce créneau de base. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré dans mes débuts, mais je pense qu’il s’est limité quand même. Il n’est pas aussi caméléon que moi. Il y a des sons sur lesquels tu ne peux pas l’entendre Gims, c’est pas possible. Mais il est très large et c’est de lui dont je me suis inspiré pour l’ouverture musicale. À l’époque, je ne connaissais pas trop la musique et j’ai beaucoup appris avec la Sexion et Gims m’a grave inspiré. Aujourd’hui, et c’est le but, je pense que je suis allé plus loin que lui dans l’ouverture. Dans le rap français, je suis le seul vrai caméléon ! Si tu prends un panel de tous mes projets et que tu regardes tous les styles sur lesquels j’ai posé, je pense être le seul. Je pense aussi qu’il n’y a que moi en France qui recherche autant musicalement. Attention, il y en a qui font de la recherche, je ne veux pas dénigrer, mais je ne me mets aucune limite. Mets moi une instru reggeaton et je poserai dessus.

Attention, avec « Validée », Booba se met au zouk…

C’est vrai. Booba ose des trucs nouveaux. J’aimerais bien justement que le rap français soit plus caméléon, on kifferait plus le truc. C’est en train d’arriver j’ai l’impression, mais en tout cas c’est ce que j’essaie d’apporter.

Tu fais référence à l’amitié de façon assez désenchantée dans tes textes : « J’ai de moins en moins d’amis ok, y’en a plus pour oim », dans « Rayonnons » ou « j’ai eu des amis décevants m’empêchant d’a-cé-van », dans « Seul ». Le rap français, c’est plus le partage à la Gradur ?

Lorsque je fais le concept du Freestyle Tour, c’est vraiment pour ça. Je n’ai pas de barrière, je peux collaborer avec des gens, tant que j’aime bien, tant que je partage un truc je dis yes. J’ai vu que des mecs comme Lacrim ou Gradur étaient des rappeurs assez ouverts, c’est bien. Mais j’aimerais que ce le soit encore plus. Je suis vraiment dans cette vision. Sinon, qui est ce que je côtoie ? Lacrim justement, Sofiane beaucoup, Vald aussi et tous les mecs des étapes du Freestyle Tour que j’ai rencontrés. Il y en a d’autres dans le game, comme Hayce Lemsi ou Volts Face que j’avais invité sur mon précédent projet. Ce ne sont que des gens dont j’aime bien la démarche et avec qui on se comprend humainement et musicalement. Swift Guad m’a également invité sur son dernier projet, j’ai aussi côtoyé Soprano à une époque. Au final, j’ai rencontré beaucoup de rappeurs et à chaque fois, le feeling passe bien. Après, on n’a pas toujours forcément l’occasion, ni le temps de se poser en studio pour enregistrer les morceaux. Chacun a son planning, chacun a sa direction. Mais quand y a l’occasion, en général, je le fais. C’est bien de le dire, mais peu de gens le font encore dans le rap français. Il y a beaucoup de fermeture, d’a priori avant de connaître les gens. On a parfois l’impression qu’ils ont peur d’aller vers toi, de partager un truc avec toi. Je sais pas, c’est encore trop fermé. C’est ce que je reproche un peu au game français. Mais c’est en train de changer, en espérant que ça aille plus loin.

Ça s’inspire de quoi un caméléon ?

Tout. Mais vraiment tout. Ça va de la pop, en passant par le dancehall, du hip-hop old-school, de la musique africaine ou asiatique, de l’électro même de la deep, de tout. Absolument tout. Tant que c’est bon, je peux écouter et kiffer. Et du coup, c’est vrai que ça se ressent dans mes albums et c’est ce que je recherche.

Comment est-ce que tu sélectionnes, tries puis bosses à partir de ça ?

Parfois, c’est dans ma tête, ça vient très naturellement comme ça. D’autres fois c’est des gens que je vais rencontrer, avec qui je vais bosser, comme des réals, des DJs. Je travaille beaucoup avec eux. On écoute du son ensemble, on se fait des propositions. La base de tout est de rester ouvert. Parfois, le DJ ou le beatmaker avec lequel je bosse a une autre approche et va me faire essayer quelque chose de nouveau. Tu réalises alors que tu n’y avais jamais pensé mais qu’il y a un vrai truc dessous. Ça te permet de partir sur quelque chose d’original, de toi même. Et comme ça tu peux toucher à plein de styles différents, en t’ouvrant. En essayant, tu finis par trouver.

 

« j’aurais continué ce que j’ai toujours fait, braquer, dealer, ce genre de trucs. Le rap m’a aidé à sortir de mon milieu »

 

Ça t’oblige à être dans un constant renouvellement, en quêtes de nouvelles choses ?

Je veux vraiment que les gens ne s’attendent pas au prochain morceau que je vais sortir. Et ce prochain son va vous surprendre, parce que ce n’a rien à voir avec ce dont vous vous attendiez. C’est mon but. C’est ce que je kiffe chez les artistes, j’aime bien qu’ils me surprennent. Lorsque j’ai écouté un artiste et qu’il revient un an après, j’ai envie qu’il vienne avec un nouveau style et qu’il me choque. C’est ça que je veux donner à mon public. Souvent je reçois des « refais un son comme ça », mais ma réponse c’est non, car je l’ai déjà fait. Je vais toucher à autre chose, j’essaie toujours de toucher à autres choses. C’est complexe, mais c’est intéressant. Tu mets du temps, tu essaies, tu te loupes aussi parfois, mais quand tu y arrives, tu es satisfait, tu as exploré un nouveau truc et ça te fait acquérir beaucoup d’expérience. Tu dois d’abord réfléchir, il faut que ton truc soit abouti, il ne suffit pas d’essayer. Si le son n’est pas bon, tu jettes et je peux te dire que j’en ai jeté un paquet. Et parfois, tu n’es pas prêt, donc tu te remets au travail.

Impossible de deviner la couleur de ton nouvel album, Caméléon ?

Il n’est même pas encore terminé, il reste quelques titres à rajouter et à peaufiner un peu. D’ici un mois, il devrait être fini. On va le sortir pour janvier, je le pense et je l’espère. Il y a déjà le premier extrait, « Rayonnons », qui est sorti et ça va encore être un album large et surprenant. Ce premier titre ne donne pas la couleur de l’album parce qu’il est grave éclectique. Je me surprends moi même : « Comment tu as pu faire ce son alors que deux ans plus tôt tu n’avais jamais écouté ce style ? » Mais j’essaie de toucher à des sonorités très larges. Je fais de la recherche musicale, si on peut me définir comme ça.

Et ce sera le premier album sans « frappe » dans le titre… Tu n’es plus fan de Roberto Carlos ?

(rire) Oula non, attention, Roberto Carlos en frappe c’est du costaud. Y avait Juninho aussi. Mais non, ça y est, on a tourné la page, on a fait une trilogie et on a clôturé ce chapitre. Pourquoi « frappe » ? Parce que dans mon coin, on le dit souvent et quand tu as de la frappe, c’est que tu as du bon tos-ma. Nous on essaie de ramener du bon matos pour les gens et les faire kiffer. Ils peuvent dire « c’est de la frappe », « j’écoute de la frappe » et c’est ce qu’on entend quand on arrive en concert ou sur les réseaux sociaux de la part de l’équipe. Voila, maintenant la trilogie est bouclée et on passe à autre chose.

Aujourd’hui, tu es indépendant après avoir connu les labels. C’est plus dur ?

Pas plus dur que d’autres jobs. Y a des mecs qui se lèvent tous les matins pour aller vendre des téléphones, ou pour aller encaisser des consommations, ce n’est pas facile non plus. Je fais un travail d’indépendant, c’est difficile, mais j’ai la chance de faire ce que j’aime. Tous les matins, mon cœur bat pour ce que je vais faire pendant ma journée. C’est un énorme kiff de pouvoir vivre de la musique, même si c’est difficile, que tu dois structurer ton équipe, que tu dois charbonner et charbonner. Rien lâcher. Tu as toujours le cerveau en ébullition, parce que tu peux pas laisser ton entreprise couler donc forcément c’est pas facile. Mais Dieu merci, ça se passe bien.

Ça fait plus de dix ans que tu es dans le rap, c’est quelque chose que tu te vois faire indéfiniment ?

Quoi qu’il arrive, ça fait partie de moi. Je me suis construit avec le rap. Ça fait des années et des années, même avant de le faire professionnellement, que je rappais et que j’adorais ça. Et avant même de rapper, j’en écoutais à mort. C’est une immense partie de moi et forcément, le rap c’est à vie. Ensuite, je ne sais pas si je rapperais toute ma vie, parce que parfois elle est bizarre et on sait jamais quelle direction on va prendre. Mais j’en écouterais toujours, ça c’est sûr.

T’aurais fait quoi si tu n’avais pas été rappeur ?

Ah ça… Il n’y a que Dieu qui sait. Je me serais peut être lancé dans une entreprise, genre dans le textile ou autre chose. Ou bien j’aurais continué ce que j’ai toujours fait, braquer, dealer, ce genre de trucs. Le rap m’a aidé à sortir de mon milieu. J’y ai été plongé depuis très jeune et c’est la musique et le rap qui m’ont permis de bifurquer. Ensuite, il y a que Dieu qui sait. À un moment j’avais repris des études. Je m’étais réinscrit à la fac. Je n’ai pas eu le bac, je me suis arrêté en première L. Je voulais repasser mon bac, puis me lancer dans les études. Bon, j’ai vite arrêté parce que je me suis mis à la musique. C’est toujours la musique qui m’a fait bifurquer. C’est une bonne chose.

Tu n’as pensé à faire de la politique ? Être « caméléon », ce n’est pas le propre des politiques ?

En politique déjà, ce ne sont pas des caméléons dans le sens large du terme, ça reste des caméléons dans leur domaine. Pour moi un vrai caméléon, c’est quelqu’un qui peut passer de la politique à la vente de marrons chauds dans la rue et je ne pense pas qu’il y en ait qui fassent ça aujourd’hui. Ensuite si je dois te donner un caméléon en politique, ça va de suite sonner démago : un mec qui retourne sa veste vite. Or, pour moi ce n’est pas ça le concept. Le caméléon ne retourne pas sa veste, je ne change pas de discours, pas de personne profonde, mais je m’adapte. En politique, au final c’est tous des sortes de caméléons, un coup ils te disent ça, puis quand le vent tourne ils te disent autre chose. Y a plein d’exemples, mais c’est leur métier. Ils cherchent à récolter le maximum de voies. Leur but est donc de plaire, donc si c’est ça qui plaît aux gens, ils se transforment pour plaire. Mais c’est pas vraiment ça ma vision du caméléon.

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