Murder to Excellence: Comment l’image du hip-hop s’est transformée

mardi 11 octobre 2011, par SURL.

Lorsqu’au printemps 2007, les deux mégastars du hip-hop, 50 Cent et Kanye West ont la bonne idée de lancer un concours aussi égocentrique que futile du style « à qui vendra le plus d’albums », la communauté hip-hop est partagée. Entre les quelques naïfs persuadés de revivre une passe d’arme façon Nas vs Jay-Z et la majorité observatrice qui se gausse d’un concours d’égo à la limite de l’enfantin, chacun y est allé de son petit pari. A l’époque 50 Cent est toujours le patron en terme de vente d’albums, Kanye l’outsider génial au style un brin décalé. Le second nommé en sortira vainqueur, à la grande surprise de nombreux amateurs.

Plus de 6 ans maintenant que ce buzz anecdotique est rangé au placard. A la limite du « temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître », cette époque apparait désormais comme révolue. Alors pourquoi remettre sur le tapis cet épisode promotionnel en apparence sans grande valeur ? Et si ce 11 septembre 2007 (date de sortie de Curtis et de Graduation) avait marqué une nouvelle ère pour le hip-hop ?

Kanye West – Homecoming
[audio:http://www.surlmag.fr/wp-content/uploads/2011/10/Kanye-West-Homecoming-feat.-Chris-Martin.mp3|titles=Kanye West – Homecoming (feat. Chris Martin)]

50 Cent – I Get Money
[audio:http://www.surlmag.fr/wp-content/uploads/2011/10/50-Cent-I-Get-Money.mp3|titles=50 Cent – I Get Money]

En vérité, lorsque Kanye West prend l’ascendant sur le leader du G-Unit, le symbolique dépasse le réel. Le gangster des bas fonds du Queens est relégué au second plan par le gamin barré des classes moyennes. Ce qui aujourd’hui sonne comme une évidence à la vision des charts hip-hop ressemble à une révolution à une époque encore largement marquée par une fascination prononcée du public pour l’univers Gangsta raconté et glorifié par une bonne partie du Hip-Hop. Des premiers disques tapageurs et sans limite de NWA aux « street stories » sombres et envoutantes de Mobb Deep en passant par le glamour de Tupac Shakur, plus de 20 ans de Gangsta Rap allaient être rangés au musée.

L’élection d’Obama a suscité une vague d’espoir et de réussite pour la communauté noire. En tant que culture afro-américaine pleine de vivacité, le hip-hop US s’en est probablement galvanisé rangeant au placard la figure de l’adolescent noir terrifiant remplacé par un jeune homme urbain créatif, artiste pluridisciplinaire préférant les galeries d’art de Manhattan aux caves du Bronx, plutôt excité par un duo avec Coldplay que par l’occasion de caser tous ses potes de galère sur six minutes de son album en major. Comme si la cible marketing du « white teenager » adepte de sensation forte avait dérivée vers celle du jeune cadre urbain.

L’évolution de la carrière de Jay-Z correspond à cette transformation. Toujours à la page, l’enfant de Marcy était le premier à glorifier son passé de dealer à Bedstuy. Aujourd’hui millionnaire accompli, l’ancien gangster a laissé place à l’entrepreneur respectable, époux glamour d’une star de la chanson, référence de la mode urbaine, homme de goût prononcé qui, sans le cacher, a rangé son passé aux oubliettes ( » I’m riding dirty, Trying to get filthy /Pabalo Picasso, Rothkos, Rilkes / Graduated to the MOMA / And I did all of this, Without a diploma / Graduated from the corner / Yall can play me For a mother***in fool if you wanna »).

Kanye West & Jay-Z – Otis
[audio:http://www.surlmag.fr/wp-content/uploads/2011/10/Jay-Z-Kanye-West-Feat-Otis-Redding-Otis-Explicit-Edit.mp3|titles=Jay-Z & Kanye West Feat Otis Redding – Otis (Explicit Edit)]

Que dire également des têtes d’affiches actuelles du top 50 de MTV Base ? Alors que l’arrivée du californien The Game en 2005 résonnait comme une version West Coast de 50 Cent avec l’historique (fusillades, appartenance à un gang) et les références (Dr Dre, Eazy E) qui vont avec, les nouvelles figures de prou que constituent Big Sean ou encore Drake défendent l’image de jeunes ambitieux, respectables, bien éloignés des embrouilles de quartier façon Menace 2 Society. Même les plus excentriques d’entre eux comme Lil Wayne et Wiz Khalifa apparaissent avant tout comme des fêtards à la limite du junkie plutôt que comme de dangereux membres de mafias locales.

Quelle place donc pour le Gangsta Rap aujourd’hui ? Si la plupart des gangsta MC’s sont rentrés dans le rang à l’image de 50 Cent, il serait bien anticipé (et surtout bien erroné) de parler de disparition pure et dure d’un genre. Si l’image de la partie émergée de l’iceberg hip-hop a muté, le mouvement gangsta représente un des arts majeurs de la musique hip-hop et l’un des rares à encore témoigner de la rudesse des banlieues américaines.

La nouvelle génération de rappeurs nés au milieu des années 80, en pleine épidémie de crack (la « Ronald Reagan Era » comme l’explique Kendrick Lamar) ne manque pas de le rappeler et de faire perdurer l’héritage des légendes du « Street-hop ». Jay Rock, le gamin de Compton, en est l’exemple parfait. Mais autant que le hip-hop conscient des années 90 n’était plébiscité que par une minorité d’intellos, la vibe actuelle cantonne désormais les thugs MC’s à un public d’initiés et de nostalgiques.

Jay Rock & Ab-Soul – No Joke
[audio:http://www.surlmag.fr/wp-content/uploads/2011/10/04-jay_rock-no_joke_feat._ab-soul.mp3|titles=04-jay_rock-no_joke_(feat._ab-soul)]

Avec cette nouvelle donne, le hip-hop a-t-il basculé vers un establishment culturel confortable lâchant au passage sa tradition de contre-culture provocatrice ? Pas totalement non plus. Malgré ses changements d’image, nombre des protagonistes actuels restent des rockstars imprévisibles, égocentriques et pour certains jamais bien loin de la case prison (TI, Lil Wayne). Plus encore, la diversité des profils et des personnages au sein du rap assure la présence de têtes brûlées complètement hors système. Sorte de « Eminem de Los Angeles », Tyler the Creator s’inscrit en porte à faux par rapport à toute cette opulence de réussite, de célébration et d’intégration dans le cercle fermé des « fashion MC’s ». Plus terre à terre, il n’hésite pas à moquer les « rappeurs de 40 piges qui se la racontent en Gucci » et n’a visiblement pas l’intention de se joindre aux albums de ses collègues « aseptisés ».

Tyler the Creator – Yonkers
[audio:http://www.surlmag.fr/wp-content/uploads/2011/10/02-Yonkers.mp3|titles=02 Yonkers]

Et si Kanye West célèbre aujourd’hui sa place bien au chaud sur le trône aux côtés de son mentor Shawn Carter, vainqueur toutes catégories confondues, les plus impatients parient déjà sur celui qui doublera le « Louis Vuitton Don » au nombre d’albums vendus. L’histoire du hip-hop, cet éternel recommencement, comme dirait Youssoupha …

Par Thomas Holzer

Article recommandés

Ce que le hip-hop doit à David Bowie
À la base, cet article ne devait pas être un hommage. Quand notre journaliste entame sa réflexion sur l’influence de David Bowie sur le mouvement hip-hop, l’artiste est encore physiquement…
Best of 2013 : quinze clips que t’as encore sur la rétine
S’il y a bien une chose qu’il faut reconnaître en cette fin d’année 2013, c’est que regarder un clip n’est plus aussi barbant qu’avant. C’est presqu’aussi captivant que de matter…

les plus populaires