Occupy Wall Street

mercredi 12 octobre 2011, par SURL.

En reprenant à son compte les paroles fondatrices de Gil Scott Heron sur The Beautiful Struggle en 2005 (« I heard it’s said the revolution won’t be televised But in the land of milk and honey there’s a date you gotta sell it by »), Talib Kweli a peut-être fait preuve d’un brin de pessimisme.

La situation économique des Etats-Unis a radicalement changé depuis le début des années 2000. La crise des subprimes de 2008 est passée par là autant que la position de géant dominant du pays a clairement été remise en cause.
Ce qui pourrait s’apparenter à du flanc macro-économique pour le commun des mortels a pourtant bien eu une incidence réelle pour de nombreux américains laissés sur le carreau. Le choc et les faux espoirs passés, l’onde sociale se fait aujourd’hui ressentir et les laissés pour compte entendent bien faire valoir leur volonté de changement. Directement visés, les spéculateurs boursiers et autres nantis de la finance se retrouvent en ligne de mire dans l’antre du capitalisme moderne : à Wall Street.

Depuis quelques semaines maintenant, le quartier financier de New-York City se retrouve envahie de protestataires, tous plus différents les uns que les autres : des victimes directes de la crise aux utopistes rêvant de la chute d’un système consacrant financièrement une extrême minorité de la population aux risques et périls de la collectivité.
Mais plus qu’une simple manifestation lobbyiste, cette initiative tient d’une véritable dynamique anti-financière au sein des pays occidentaux largement endettés. De plus en plus de partis et d’hommes politiques trouvent aujourd’hui un terrain électoral fertile en proposant la mise à sac de l’anarchie financière actuelle (les résultats probants d’Arnaud Montebourg en sont la démonstration…). La progression du mouvement « Occupy Wall Street », qui se déplace vers de nombreuses autres villes américaines (Chicago, Washington, Boston ect…), le confirme.
Comme pour les grandes manifestations contre la Guerre du Viêt-Nam, « Occupy Wall Street » se renforce en prenant une dimension « artistique » au gré de la présence d’acteurs (Susan Sarandon), de cinéastes (Michael Moore) et autres musiciens. N’est ce pas là le rôle d’un artiste que d’anticiper et de représenter les aspirations profondes de la société ?

Il semble que certains MC’s aient pris cette fonction au pied de la lettre en marquant leur soutien aux manifestants. En premier lieu Talib Kweli. Connu pour sa conscience sociale mainte fois appréciée au sein des disques, le rappeur de Bedstuy a pourtant toujours refusé cette étiquette de « political rapper ». Encore une fois pourtant, il ne fait pas mentir cette réputation en se positionnant par sa présence. « Je ne soutiens personne politiquement ici. J’ai été subjugué en voyant la démocratie en action. Il faut voir comment ces gens créent une prise de conscience sociale et un moyen de se rassembler pour parler des problèmes, des inégalités dans notre pays », a-t-il déclaré.

Le ralliement de Lupe Fiasco mi-septembre ne tient pas vraiment de la surprise non plus. Connu pour ses opinions quasi altermondialistes à la marge du hip-hop américain, le natif de Chicago en a profité pour vivement critiquer la société de consommation : « On ne pourra pas changer l’idée du capitalisme. Il y aura toujours quelqu’un pour faire plus d’argent que celui d’en face. Mais on peut agir sur le consumérisme ! […] Il pourrait y avoir ce mec qui vit à Harlem et qui bosse sur Wall Street. On pourrait lui dire « hé mec, prend ton vélo ! ». Et il répondrait « Je ne peux pas prendre le vélo tous les jours. J’ai besoin d’une voiture. » Mais quand tu as une voiture, tu dois mettre de l’essence dedans, donc tu finances Exxon Mobile, tu finances Ford ou une autre marque. Tu paies la ville pour l’immatriculation, tu dois aussi payer les taxes. Donc tu finances le système et tu peux dire : « Hé, je ne veux pas me déplacer en vélo chaque jour car je vais être crevé à la fin de la journée… ».

Si ces soutiens au mouvement des indignés étaient presque attendus, ils pointent tout de même une certaine évolution en ce qui concerne l’implication sociale des rappeurs. Au cours des années 80, elle était surtout marquée par une prise de position communautaire (Public Enemy, KRS One). A ce moment, l’idée d’un Afro-américain président était encore impensable. Même au cours des années 90, les revendications du hip-hop tendaient à se focaliser sur les conditions de vies déplorables des ghettos noirs marqués entre autre par la violence policière et l’abandon gouvernemental. Talib Kweli lui-même a été un des artisans de ces revendications.
Mais la mutation économique et sociale américaine incite aujourd’hui à relativiser ces précédentes divisions ethniques. La crise de 2008 a touché plusieurs pans de l’Amérique. Les working-class blanches, noires et latinos l’ont subi de plein fouet sans distinction communautaire. Les rappeurs seraient-ils donc devenus les porte-parole de cette classe populaire en conflit ouvert avec le système financier. Deux lectures apparaissent.
La plus évidente apporte une réponse négative. Comment des apologistes de l’argent roi, des bijoux et du matérialisme pourraient se muer en porte parole d’une révolution sociale ?
Mais en cherchant à expliquer sociologiquement la logique de réussite des rappeurs, cette première conclusion se relativise facilement. A coup de bijoux, de clips salaces et d’égos surdimensionnés, ces nouveaux millionnaires des ghettos jubilent en narguant l’Amérique blanche bien pensante. En prenant comme modèle des gangsters et autres sportifs sulfureux, elle célèbre le succès à sa manière, loin des grandes universités qui mènent à emploi de trader du côté de Wall Street. Comme si deux Amériques de la réussite fonctionnaient en parallèle.

Dans ce sens, il parait plus évident d’expliquer la présence de Kanye West aux côtés des manifestants le temps d’un court instant. Connu pour son exubérance stylistique et son égo démesuré (qui l’amène à glorifier sa fortune), il est également bon de rappeler que le gamin de la classe moyenne chicagoane était au début de sa carrière connu pour ses prises de position sociales. Sans signe de richesse apparent, accompagné du créateur de Def Jam Russel Simmons (lui aussi multimillionnaire), c’est un Kanye façon « College Dropout » sur qui les manifestants ont pu compter. Artistiquement, l’authenticité du discours d’un premier album est souvent révélatrice. Malgré un nouveau statut évident, il s’en ressent que le jeune Kanye n’a pas grandi avec comme horizon les insipides salles de marché de Wall Street, comme le démontre ces quelques rimes tirées de We don’t care : « The second verse is for my dogs working 9 to 5 / That still hustle cause a nigga can’t shine off $6.55 / And everybody selling make-up, Jacobs / And bootleg tapes just to get they cake up ».

Alors que les manifestations se succèdent devant les résidences new-yorkaises de riches hommes d’affaires (Rupert Murdoch ou encore le PDG de JP Morgan Chase, Jamie Dimon), le mouvement des indignés américains semble s’intensifier. Et si les paroles de « Power » représentaient bien plus qu’un banal égotrip ?

« The system broken, the schools closed, the prisons open
We ain’t got nothin’ to lose, ma’f-cka, we rollin’
Huh? Ma’f-cka, we rollin’
With some light-skinned girls and some Kelly Rowlands
In this white man’s world, we the ones chosen
So goodnight, cruel world, I see you in the mornin’ »

Par Thomas Holzer

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