Booba et Christine sont sur une Merco

jeudi 11 février 2016, par SURL. .

Avec « Here » leur collaboration – a priori – contre-nature, Le Duc de Boulogne et la Reine de la pop hexagonale ont réveillé le Kraaken. Si les fans de Booba semblent avoir plutôt bien reçu le morceau, les aficionados de Christine and the Queens semblent plus circonspects. Interrogations et déceptions dans le meilleur des cas, réflexions puristes voire franchement intolérantes dans le pire. Parce qu’on s’est bien poilé en lisant le florilège de commentaires sur le net, on revient sur ce morceau transgénique qui fait tant flipper.

Autant l’avouer, quand il y’a quelques semaines Booba et Christine and the Queens ont commencé à teaser leur collaboration, on a esquissé un sourire. Les deux artistes, sur une plage déserte de Normandie, tous deux posés sur une Mercedes Benz SLK. Plus arty tu meurs.

Les crossovers rap/pop ayant donné naissance en France au mieux à des morceaux corrects (attendez on cherche) au pire à d’infâmes bouses (là c’est facile : Calogero & Passi), le duo Christine’zer & B2O se voulait donc alléchant et intriguant, tant les deux univers très marqués semblent opposés et ne sentent pas le réchauffé façon rock-varièt vs rappeur-à-l’eau-sur-le-retour. La greffe entre l’intello-sophistiquée humaniste et le sombre ratpi nihiliste allait-elle prendre ? Que venait foutre le Duc dans un clip qu’auraient pu signer les Frères Dardenne ? Autant de questions vite balayées par d’autres à l’arrivée du clip en question.

Non mais sérieux, Pourquoi Booba ?

Si Le Figaro, jamais en retard pour tirer au bazooka sur des ambulances, file la métaphore et parle de « naufrage », les fans de la chanteuse, eux, peinent à retrouver leur souffle. « Quoi ? Mais comment, mais c’est pas possible ! Pas ce rappeur vulgaire vendu au capitalisme, macho et homophobe ! » Pas besoin de lire toutes les réactions pour comprendre ce qui secoue les mélomanes bien pensants. Deux-trois suffisent. D’ailleurs, elles ne sont pas loin de tout ce qu’on peut lire sur Booba dans le milieu du rap où la guerre n’en finit plus entre défenseurs du « vrai rap » (appellation d’origine contrôlée dans leurs rêves les plus fous) et les progressistes qui voient plus large. Rien de très nouveau finalement, mais l’outrage est amusant.

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Pourtant, Booba a depuis longtemps piqué ici et là quelques samples à la chanson française (Renaud sur « Pitbull », Alain Souchon sur « Mon Pays ») et Christine a depuis longtemps clamé son amour du rap, allant jusqu’à animer une émission de radio spéciale avec Nekfeu suite aux attentats de novembre dernier. Alors quand lui vient l’idée de se payer un featuring, quoi de mieux alors que d’aller chercher celui qui auto-proclame avoir « fait du game une dictature » ? Celui qui influence directement le rap d’ici en digérant les influences du rap de là bas. Le plus controversé, le plus rugueux, le sale king, l’icône. Le choix est on ne peut plus logique en réalité. Pour que la collaboration soit intéressante, il fallait jouer ce contraste entre une frêle Christine toute en sensibilité et la violence d’un Duc non filtrée. Alors oui on peut lire ici et là des « ah, mais y avait Oxmo par exemple ». Là encore, malgré un élémentaire respect pour l’œuvre du Black Jacques Brel, il n’est plus dans la course. Son rap est devenu beaucoup trop positif et gentillet pour coller au délire parfois torturé de la chanteuse. Son flow trop linéaire, trop simple, trop scolaire désormais, trop chanson française, sans souplesse ni folie.

« Je suis venue vers Booba avec cette chanson, qui est comme je l’ai dit, une chanson de survivant », déclare Chrichri sur sa page Facebook, un peu obligée de se justifier dans le maelström un peu fou de ses fans courroucés. « Nos trajectoires se croisent, car il y a effectivement un recoupement très important : la colère, le verbe, nous sommes tous les deux dedans. C’est une féministe qui a écouté Temps Mort, c’est un rappeur qui a sorti un titre zouk l’année dernière. » Tu croyais toucher la Reine ? La Reine s’en bat les reins.

Et le morceau sinon, Ça donne quoi? 

Ne soyons pas dupes, ce feat est aussi (surtout ?) une opération marketing bien sentie, mais c’est le résultat seul ici qui est apprécié et non la genèse puisqu’on ne la connaît pas. Sur la forme, « Here » est un tantinet KanyeWestien, autre figure créative que Christine apprécie particulièrement. La production rythmique et nappée rappelle l’époque  808s & Heartbreaks, sans compter les petits « iziiiii » autotunés du rappeur de Boulogne qui viennent renforcer la filiation.

Au début, l’on pense dommage que Booba ne se renouvelle pas pour l’occasion. Mais avec les écoutes et le recul, on réalise qu’il a fait ce qu’il fallait faire. Déjà parce que le texte reste bien écrit et plus malin qu’il n’y paraît – « Quand Dieu a créé la vie, il fumait une clope« , what else ? Certes, B2O aligne les punchlines sans grande cohérence entre elles, comme il le fait à son habitude. C’est précisément pour ça qu’il est à sa place ici. Noir seigneur, riche, puissant et indigne. Le nègre en pleine réussite qui ne s’en excuse pas et qui effraie la bourgeoisie ou classe moyenne blanche peu familière des codes du rap. Ce public qui, du coup, ne comprend plus rien et laisse poindre le désarroi.

C’est là que B2O est intéressant et qu’il est cohérent, depuis toujours. C’est là que, non content de feater une des grosses vendeuses de disque du moment – qui en sus est loin d’être une vendeuse de yaourt à la con – il s’applique à ne pas se travestir pour faire plaisir, il n’édulcore rien. Il éructe ses haïkus avec le plaisir palpable qu’on lui connaît, tout en complétant l’univers de son hôte sans forcer d’une pointe de tristesse dans le ton. Le défaut de son couplet reste malgré tout qu’il est un peu interchangeable ; c’est l’inconvénient de ne pas s’éloigner de sa zone de confort. Celui qui parle de Lamborghini à longueur de couplets finissant échoué sur le toit d’une vieille Benz. Finalement, la métaphore du Figaro n’est pas si incongrue, mais pourrait s’étendre plutôt à l’ensemble du monde moderne.

Nan mais j’aime bien le rap, mais quand même…

Wait, n’y aurait-il pas là un petit peu de racisme social, finalement ? Les fans de Christine qui s’insurgent depuis 48 heures ont, pour certains d’entre-eux, de gentilles petites œillères et suffisamment peu de culture pour n’être toujours pas capable d’appréhender le rap dans l’immensité de son spectre, la variété de ses codes, les méandres de ses subtilités. Les plus chanceux-ses écoutent ce qu’on pourrait nommer « du rap pour les gens qui n’aiment pas le rap ». En gros : un truc ultra accessible et balisé, un terrain connu qui leur fait oublier que c’est du rap. Ils-elles parlent de ce fameux « vrai rap » qui se réclame d’origines pseudo nobles que sont le jazz, la soul, la funk. Mais ils oublient que toutes ces fameuses musiques noires sont jalonnées depuis le tréfond de leurs histoires de crack, de coke, d’héroïne, de misère, de sexe, de gros mots, de sales types puants coursant le dollar et les culs suants et de toutes ces choses qui leurs font un peu peur parce qu’elles viennent bousculer confort et certitudes faciles. Et que Christine and the Queens, en artiste complète et penchée sur le monde, se revendique de toutes les contradictions.

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Si la diatribe est permise, il est également permis de penser que le rap n’a pas à être compris – dans sa complexe richesse – du plus grand nombre, après tout. Sauf qu’il est partout maintenant, à la faveur de quelques têtes d’affiche trompeuses et d’interventions médiatiques malmenées, et que le plus grand nombre croit pouvoir s’en faire l’expert. Notons enfin que dans le camp du Duc de Boulogne, les avis sont également partagés même si beaucoup saluent la prise de risque, certains jouent encore la carte du « ah mais qu’est-ce qu’il fout dans la variétoche ». On croise aussi quelques jugements purement artistiques « ah mais là on dirait il est hors beat » et autres considérations avisées. Sans oublier bien sûr les ratpitropbressom survalidés jusqu’à la moelle qui crient au génie, forcément.

Alors, qu’ils aillent au diable les amateurs de ChriChri choqué(e)s par ce choix car ignorant tout du rap. Tous ces rappeurs qu’ils/elles citent comme de meilleurs prétendants à leur Reine les rassurent dans leur vision élitiste et bien pensante de que devrait être le rap. Une musique qu’ils font semblant d’aimer quand le basané qui le leur sert n’est pas trop méchant, pas trop menaçant, pas trop grossier, surtout. Quand il est tout gentil, tout lisse, tout bien éduqué, qu’il n’étale pas trop son pognon, qu’il ne leur rappelle pas trop la banlieue où ils ont peur d’aller. Quand il la leur rend douce cette banlieue, inoffensive, quand il leur montre finalement avec sa petite poésie sympa qu’il est comme eux, hein quand même, qu’il a réussi à bien s’intégrer lui, et qu’il porte les mêmes Stan Smith et qu’il bouffe bio. Pour le reste, on sait gré à Booba et Christine d’avoir provoqué ce mini tsunami. Et on leur souhaite de continuer à savoir nager en eaux troubles.

 

Article rédigé par Moïse The Dude, édité par Olivier Cheravola

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