Hamza : « Il y a clairement une remise en question »

mardi 11 octobre 2016, par Camille Perez. .

Le paradoxe Hamza. Avec la sortie de son nouveau projet New Casanova, le rappeur belge préféré de tes rappeurs préférés veut tirer les enseignements de Zombie Life. Comment transformer un succès d’estime en succès populaire ? Comment être en vogue tout en s’inscrivant sur la durée ? Le bien nommé Saucegod est loin de camper sur ses positions et se dit prêt à retourner aux fourneaux pour adapter sa cuisine à un public qu’il peine encore à convertir. Entretien.

Innover, innover, innover. Dans le contexte actuel où l’amateur de rap est submergé chaque semaine de dizaines de nouveaux projets, il est nécessaire pour tout artiste de proposer sans cesse une réinvention de son personnage et de sa musique. C’est ce à quoi s’essaye le turbulent Hamza, qui sort dans les prochains jours New Casanova, une mixtape aux accents dancehall bienvenus en cette saison frileuse. De passage à Paris, le Bruxellois a fait le point avec nous. Six mois après la sortie de Zombie Life, un projet paradoxal car salué par la critique mais au faible succès commercial, il nous fallait éclaircir certaines interrogations. C’est donc un Saucegod tout en retenue et en humilité qui nous a avoué les limites de sa démarche, et donné des clés précieuses pour comprendre la relation complexe qu’entretient aujourd’hui le rap avec ses publics. Rencontre avec l’antithèse Hamza, rappeur qui fascine sans convaincre.

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SURL : Quand tu sors Zombie Life en juin 2016, à quoi t’attends-tu ?

Hamza : Je ne m’attendais pas à un retour de dingue, car je savais que c’était un projet assez pointu. Il faut quand même être averti pour comprendre ce genre de musique. C’est de la musique un peu recherchée, un peu osée. Je voulais montrer une certaine facette de moi-même, en tant qu’artiste. J’étais vraiment content des retours que j’ai eu, au final. C’est pas les mêmes que H24 certes, mais j’étais content. Je pense que H24 était plus facile à se prendre que Zombie Life, dans le sens où il y avait plus de hits dedans. Zombie Life, c’est un projet pas forcément très accessible pour un public français. Un mec qui écoute du Rohff, du Jul ou des trucs comme ça, ne va rien y comprendre. Donc je ne m’attendais pas à une réception unanimement positive.

Qu’est ce qui était à comprendre et qui n’a pas été compris ?

La musique, en général. Que ce soit au niveau des références, des lyrics, des prods… Il y a beaucoup de trucs que tu n’entends pas généralement dans le paysage du rap français. Un céfran qui écoute du Travis Scott ou du Future tous les jours, il va capter plus facilement le délire de Zombie Life. Mais un mec qui écoute d’autres trucs pas vraiment raccrochés à ce que je fais va avoir plus de mal.

Il y a un paradoxe assez étonnant : tu remplis les salles de concert, il y a une vraie émulation autour de ta musique mais derrière, tu ne vends pas autant que d’autres. En gros, on va danser sur du turn up, mais on ne va pas l’acheter. Comment expliques-tu ce phénomène ?

Ce que j’en comprends, c’est que ce créneau n’est pas très bien installé en France. Si tu regardes les mecs qui m’écoutent et qui se déplacent à mes concerts, ce n’est pas forcément des acheteurs. Ils ont l’habitude de consommer vite, ils téléchargent, ils kiffent, ils viennent turn up et ça s’arrête là. Il n’y a pas forcément d’appui derrière.

 

« Il faut apprendre de ses erreurs »

 

Du coup, après ce constat et en regardant tes chiffres de vente, est-ce que tu te dis qu’il faut que tu t’adaptes au public français ?

Oui, clairement, t’es obligé à un moment. Tu te dis que t’as fait une erreur, et il faut apprendre de ses erreurs. Il faut se remettre en question d’office, et repartir directement. Mais le but, c’est de garder son authenticité, en faisant juste en sorte d’être un petit peu plus large.

Tu exploses quasiment au même moment que PNL, autour de l’été 2015, qui eux ont réussi aujourd’hui à conjuguer succès d’estime et succès populaire. Comment expliques-tu que cela ne soit pas encore le cas pour toi ?

PNL, j’aime bien ce qu’ils font, ils ont vraiment un délire. Mais on est très différents musicalement, on ne fait vraiment pas la même chose. Se prendre PNL, c’est plus facile que se prendre Hamza. Il faut être beaucoup plus US, beaucoup plus averti dans ce genre de délire pour pouvoir me comprendre. PNL, je pense que c’est un délire que tu peux capter beaucoup plus facilement.

Ne penses-tu pas qu’en France les gens sont, mine de rien, très attachés au fond et que ta musique, à l’inverse, est très axée sur la forme ?

Oui, c’est vrai aussi.

Ça t’embête qu’on n’accorde pas la même valeur à ton travail ?

Non, car mon truc, c’est vraiment de divertir. « La Sauce », un morceau qui a bien marché, tu n’as pas besoin d’étudier les paroles. Ce sont deux manières différentes de travailler.

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Tu voudrais continuer dans cette démarche de turn up ? Tu n’as pas peur de tourner en rond ?

Je ne vais bien sûr pas finir ma carrière en ne faisant que ça. C’est important pour moi d’apporter de nouvelles choses, et d’autres facettes de ce que je suis en tant qu’artiste. On connaît un peu Hamza dans une certaine couleur, mais j’ai envie de montrer ce que je sais faire d’autre. Et c’est ce que je vais faire. Il y a d’autres projets sur lesquels je travaille, des trucs que je n’ai pas encore sortis. Des trucs très profonds, très écrits, avec des histoires… Je ne les ai pas encore sortis mais ils me tiennent à cœur. J’ai envie de les sortir de la bonne manière.

Et quand seras-tu prêt à les sortir ?

C’est une question de timing. En fait, j’aimerais bien sortir un bel album. Pour l’instant tout ce que je sors c’est de la mixtape, c’est du fast food… J’aimerais bien sortir un beau projet, un truc très épuré, avec moins de titres.

Comme pour New Casanova, qui n’en comporte que cinq ?

Exactement. Je me suis dit qu’après avoir sorti deux projets avec une vingtaine de titres, ce serait cool de sortir un petit truc compact, pour changer.

Tu penses que tu as encore du mal à faire un choix entre les morceaux ?

Je fais peut-être parfois les mauvais choix, je n’ai pas assez de recul… Mais maintenant je commence à apprendre, à me dire « ça c’est mauvais, ça c’est meilleur, ça tel public ne va pas capter ». J’essaye de demander à des avis extérieurs aussi, c’est important. Je pense que le public français est prêt pour ma musique en soi, mais sur Zombie Life, j’ai peut être poussé le délire un petit peu trop loin. Le truc, c’est que je suis tous les jours au studio. Je sais que parfois, je n’ai pas assez de recul sur ma musique. J’aime tout le temps innover, constamment, et parfois je me perds dans mon truc. L’important, c’est d’avoir du recul sur ce que tu fais, c’est comme ça que tu vois si c’est réellement bien ou pas.

 

« Le personnage est toujours le même, c’est Hamza »

 

Du coup, le Hamza qu’on a aujourd’hui en face de nous est-il le même que celui pré-sortie de Zombie Life ?

Il y a clairement une remise en question, une envie de démarrer sur autre chose. J’essayais trop d’innover, j’allais un peu trop loin musicalement. Le personnage est toujours le même, c’est Hamza. Mais c’est clair que j’ai envie de revenir un peu sur mes pas. On a mal fait le travail de promotion sur Zombie Life. On est une équipe indépendante, donc on était serrés sur la promo, et on a sorti le projet trop vite. Tout ça plus le fait que la musique était trop recherchée… C’était un tout. Après, tu te rends compte avec l’expérience que ce n’est pas comme ça qu’on sort un projet en 2016.

Est-on trop focalisés sur les ventes pour arriver à voir qu’il y a une économie parallèle qui est tout aussi viable, à base de sponsoring, de lives et autres ?

Bien sûr, c’est cool que je puisse faire des concerts et vivre de ça. Mais en tant qu’artiste, ça fait toujours plaisir de voir qu’il y a un public qui vient acheter ta musique. C’est la base. Le premier marché qui m’est destiné, c’est la France. C’est pas à New-York que je vais taper des 15 000 ventes. Alors je suis obligé de m’adapter à un moment, pour que les gens acceptent le truc.

Quelle est l’échéance pour un prochain album ? Tu te sens prêt ?

Je suis prêt, c’est juste que j’attends. Là je sors New Casanova, je suis sur pas mal d’albums de rappeurs français [notamment celui de Seth Gueko, ndlr], j’ai fait plein de feats, de clips… On fait chauffer un peu le truc, et quand ce sera le moment, je viendrai avec un album. Je travaille déjà dessus, j’ai beaucoup de morceaux.

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En ce moment, on sent qu’il y a une vraie solidarité entre les artistes belges. Tu semblais un peu en dehors de tout ça jusqu’à présent. Tu n’as pas envie de participer davantage à cet élan collectif ?

C’est ce qu’on est en train de faire en ce moment. Caballero et tout le monde, on a des morceaux ensemble, on travaille ensemble. C’est juste que chacun a ses projets et il faut voir comment on va sortir ça. Mais sinon on se catch tous en studio, c’est cool. En fait, on se connaissait tous avant mais on était chacun dans notre coin. Et depuis qu’il y a cet engouement, on commence à travailler ensemble, parce qu’il y a clairement un truc à faire. Là, Damso va sortir Bruxelles Vie, une mixtape dans laquelle il y a un peu tout le monde. On est tous des artistes, et quand on se retrouve en studio, on fait de la musique. C’est le plus important.

Damso nous a d’ailleurs raconté votre rencontre, menottes aux poignets pendant un contrôle de police…

Ouais, on s’était fait une session. On enregistrait « Slow », notre collaboration sur Zombie Life. On était au studio, on fumait tous de la weed, le son était à fond, et les keufs ont débarqué avec les chiens et tout… Moi j’étais défoncé, ils m’ont mis la pression, ils ont sorti tout le monde… Et voilà, après on s’est fait d’autres sessions, ça s’est bien passé, mais ça c’était la première session (rires). C’était marrant. C’est un bon souvenir pour nous deux, c’était cool.

On sait que tu es passé sur OVO Sound Radio et que ton son plaît outre-Atlantique. La voie internationale, c’est le futur à long terme pour Hamza ?

Quand Virgil Abloh et Oliver El Khatib jouent ton son sur OVO Sound Radio, ça veut dire quelque chose. Les mecs ne comprennent pas forcément le truc mais kiffent la vibe. Il y a des trucs qui se font, oui. L’ambition internationale, elle est présente. Mais après c’est toujours flou, il y a des approches, des contacts, mais souvent pour que cela marche vraiment il faut qu’il y ait un morceau qui tape, comme Stromae avec « Alors On Danse ». « La Sauce » a un peu fait ça, tout comme « Lever du Soleil », qui a été partagée sur Pitchfork. C’est cool, ça veut dire quelque chose. Mais c’est un peu flou. Pour l’instant je continue à faire ce que je fais, en me remettant un peu en question et en m’adaptant au marché le plus important pour moi pour l’instant : le marché français. Il faut que je persévère : quand t’as une sauce, le but c’est de rester sur ta sauce.

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