Bonjour rap français, vous n’avez pas honte ?

mercredi 8 avril 2015, par Jean-Pierre Elkalash.

Bonjour mon cher rap français,

En ce mois d’avril timide qui voit l’espérance de vie du PS se raccourcir de façon aussi exponentielle que les jupes des filles au printemps, je suis perplexe quant à l’avenir de la création musicale en France. Nous fêterons pourtant bientôt tes 30 ans d’existence, cher rap français. Un peu comme on fêterait les 30 ans du petit Grégory : on célèbre l’anniversaire d’un truc qui est mort à dix ans et qu’on a jeté dans la flotte dans un bel emballage. Enfin j’en rajoute, tu me connais. À la base, je n’ai rien contre toi bien au contraire. Je te trouve même une certaine utilité. Un peu comme les parfums d’intérieur Nature & Découvertes ou les bombes à chiottes : une dose d’authencité boisée n’a jamais fait de mal dans un monde pollué par les effluves sonores de Kenji Girac. Mais à force de t’observer ces derniers temps, les lance-flammes du doute ont fondu sur moi comme des badauds sur un accidenté de la route. Laisse moi te faire part de ces doutes, mon grand : j’ai le sentiment que cette culture hip-hop qu’on croyait rebelle et engagée se révèle sur la ligne de finish plus soumise qu’une milf de banlieue gang banguée dans l’arrière-boutique d’une station Esso dans un épisode de Jacquie & Michel. Ne le prends pas mal, je cherche juste à comprendre.

Tu sais, récemment j’ai même pris ta défense quand ce résidu de brosse à cheveux qu’est Alain Finkielkraut s’en est pris à toi. Mais reconnais que si Maître Gims se prenait une balle dans la tête, elle ne toucherait aucun organe vital, et que l’écoute de la discographie de Mister You donne presque envie de s’encarter à vie à l’UMP. En parlant de cette droite réac’ que tu conchies à longueur de punchlines, ne partages-tu pas avec elle certains traits de caractères quand tu fais preuve d’humour sexiste et rétrograde ? Et quand tu parles de « lourdeur » comme d’un argument qualitatif ultime, n’est-ce pas une façon d’avouer que tu envies le coté lourdingue des hérauts de la culture beauf de droite ? Serait-ce là un souhait, mon cher rap français, de devenir calife à la place du calife ?

J’étais l’autre jour en compagnie de mon petit-fils de 16 ans, qui est avec Pierre Rabhi et Gianna Michaels une des rares personnes qui me donne encore espoir en l’humanité. Nous dissertions philosophie, quand soudain, avec l’innocence de ceux qui n’ont pas encore connu l’amour, mon neveu m’asséna un « T’aimes bien Booba ? ». Sentant poindre la peur de finir vieux con déconnecté je me suis senti obligé de répondre « Mmmh… oui… enfin pas tout », ce qui eut pour conséquence immédiate de faire naître chez moi une certaine inquiétude quant aux valeurs transmises à ma descendance.

 

« Reconnais que l’écoute de la discographie de Mister You donne presque envie de s’encarter à vie à l’UMP »

 

Il est vrai qu’au pays d’Alain Souchon et des Droits de l’Homme, Booba fait des ravages chez les individus pubères à l’âge (ingrat) où leurs seins poussent et leurs dentitions se parent de métal, leur conférant un air mutin de rails de chemin de fer. Mais le teen n’est pas le seul exposé à contamination. On passera outre une presse musicale qui lui mange dans la main, certains journalistes allant jusqu’à qualifier le duc de Boulogne « de magicien ». Il est vrai que dans l’art de faire disparaître la subtilité ou les notes de musique, Booba s’impose comme une sorte de Sylvain Mirouf version 92i. Le fait que cette grande trompette toute en muscles et tatouages nous invite à s’introduire un deux roues dans l’orifice anal démontre, il est vrai, une volonté louable de palier aux problèmes de stationnement à Paris. Mais qu’il s’attaque à la candeur de mon petit-fils n’est pas plus tolérable qu’un discours d’Alain Soral. Je pense, mon cher rap français, que tu comprendras que je préfère encore lire mon contrat d’assurance qu’écouter ces élucubrations sous vocodeur à côté desquelles Faudel passerait pour un chanteur de métal suédois.

À bientôt 30 balais, il serait peut être temps de t’assumer comme tu es. Tu cours tellement après la reconnaissance qu’on dirait une bloggeuse mode, parfois. Bon, ceci dit, je ne vais pas t’accabler. Tu dois l’être bien assez comme ça en voyant tes bijoux de famille et tes 30 ans de carrière se faire pétrir par les mains trayeuses des fournisseurs de guimauve de l’industrie musicale. Et puis, on me reproche suffisamment de tirer sur des ambulances pour que j’évite de sortir ma kalash pour un corbillard. Je comprends que tu aies des griefs contre cette République. Après tout, n’est-ce pas elle qui tire souvent la première ? Le monde part en cyber cacahuète, mon cher rap français, et tu as sans doute raison de jouer les prophètes de mauvais augure. Brasser l’air du temps sans forcément en aimer l’odeur, c’est plutôt salutaire et ça nous aérera peut-être le cerveau.

En parlant de tirer… Sois sympa, essaie de mettre ta fascination pour les armes russes de côté. Ça devient gênant. Toi et moi on sait très bien c’est qui qui domine en terme de maniement d’armes lourdes.

Sur ce je te laisse, je dois bosser sur l’écriture du prochain stand-up de Nadine Morano.

Bisous, tendresse & headshots. Et à bientôt

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