Cheeko & Blanka : « Il y a une culture de la non-culture »

lundi 22 février 2016, par SURL. .

Marre des attitudes de poseurs du rap français ? Ça tombe bien, les deux mecs les plus cools du moment s’apprêtent à sortir un EP. Cheeko (Phases Cachées) et Blanka (La Fine Équipe) ont décidé de s’unir autour d’un projet qu’ils ont présenté en live le 1er février dernier. Juste avant qu’ils montent sur scène, nous sommes allés leur poser quelques questions.

Blanka s’est fait connaître avec La Fine Équipe et a longtemps œuvré sur des chemins parallèles à ceux du rap français. Artisan à la frontière de l’électro et d’un hip-hop instrumental teinté d’influences j-dillesques, son collectif s’est notamment illustré par le succès de la série La Boulangerie. Cheeko, lui, a écumé de nombreuses scènes avec son crew Phases Cachées, tout en se faisant un nom dans le milieu hexagonal du freestyle.

Après un son balancé à la fin de l’été sur un air de blues, ils ont choisi la Saint-Valentin pour sortir le clip de « Trop cool », frais comme un bon milk-shake, le tout dans une esthétique funky-rétro assez drôle. Ceci avant la sortie d’un EP éponyme  téléchargeable gratuitement sur le site de Cheeko, le 7 mars prochain. À la limite de l’expérimentation, Blanka est sorti de son carcan de beatmaker pour proposer à son alter-ego de kicker sur les sons à l’état brut, sans boucle ni programmation. Entre une version d’un titre funky de Billy Preston, ethio-jazz et rock progressif néerlandais, le projet s’affirme déjà comme un pied-de-nez à tous les sectaires et prisonniers de la tendance (ou de la tendance d’il y a 20 ans). Un état d’esprit qu’on retrouve en live, que les deux compères assurent en short de bain du plus bel effet et qui laisse espérer que le duo défriche encore de nouveaux territoires. Juste avant leur première partie parisienne de Chali 2Na (Jurassic Five) le 1er février dernier, on évoque avec eux leur projet et son originalité.

SURL : Finalement, est-ce que « Trop cool », c’est pas un message d’amour face à la culture du beef dans le rap français ?

Cheeko : Ouais c’est vrai, j’aime pas trop les clashs. Enfin, je respecte la discipline, mais c’est pas un truc qui m’attire, parce que j’avoue, je dois être un hippie au fond de moi.

Pourtant, tu t’es fait connaître pas mal dans le milieu de l’impro, aussi.

Cheeko : C’est vrai que sur les freestyles je flambe un peu.
Blanka : « End of the weak », je trouve que c’est pas des clashs à proprement parler.
Cheeko : Non, « End of the weak », c’est la compétition mais c’est pas « je suis plus fort que toi », c’est différent. Mais oui, l’amour carrément, en plus on sort le clip le 14 février. On s’est dit « vas-y, on va envoyer de l’amour, c’est cool ». Je crois que les gens ont besoin de ça, franchement, le monde est violent mec.

Comment est née votre envie de collaborer ?

Blanka : On s’est connus par l’intermédiaire de Guts, parce que j’ai produit Les Fines Bouches avec lui. Du coup, Guts voulait refaire un morceau qu’il avait fait déjà à l’époque, mais avec Swift Guad, et il a pensé à Cheeko. On enregistrait chez moi, Cheeko est venu à la maison, ça s’est plutôt bien passé, et il m’a dit « c’est ouf mon studio il est à 100 mètres de chez toi, à Alfortville ». Du coup, il a commencé à venir une fois par semaine, il venait, on écoutait de la musique tranquillou. Je lui faisais écouter des trucs à l’ancienne qu’il ne connaissait pas forcément.

 

« Les gens ne connaissent pas beaucoup de choses, et ils sont fiers de ne pas les connaître »

 

Comme quoi, par exemple ? Parce que y a presque dix ans de différence entre vous, non ?

Blanka : Ouais, justement, je lui faisais écouter des albums de hip-hop qu’il connaissait pas forcément. Par exemple The Unseen de Quasimoto.
Cheeko : Ouais, j’ai redécouvert des trucs. The Unseen est devenu un de mes albums favoris, il n’y a pas une semaine où je l’écoute pas.
Blanka : C’est parti de ce délire-là, il venait chez moi, on écoutait du son, il rappait un peu sur tout, et puis d’un seul coup je lui ai dit : « Vas-y, pourquoi on fait pas ça ? » (rires) C’est pas anti-moderne, mais c’est pas dans la modernité, c’est plus pour faire redécouvrir aux gens des morceaux qu’on aime vraiment. Parce que j’ai l’impression aussi qu’il y a un peu une culture de la non-culture, en ce moment. Les gens ne connaissent pas beaucoup de choses, et ils sont fiers de pas les connaître, tu vois. Du coup, c’est un truc un petit peu pour revenir aux bases, des morceaux qui sont super musicaux, que nous on kiffe, pour montrer qu’il y a peut-être autre chose que la musique électronique, même si je kiffe la musique électro.
Cheeko : Tu écouterais ce qu’il fait en ce moment, mon ami, c’est la musique de l’enfer. (rires)
Blanka : En tout cas, moi et Cheeko, on aime tout.

Votre projet est un peu inclassable musicalement, non ?

Blanka : C’est ce qui nous plaît. C’est aussi que Cheeko vient d’un truc qui est très hip-hop à la base, il a l’habitude de rapper sur des trucs à 90 bpm. Du coup c’est assez intéressant, ça le fait rapper sur des bpm sur lesquels il a pas du tout l’habitude de rapper. Mais vu que c’est pas du hip-hop, il les envisage différemment.

C’est plutôt des bpm plus rapides, dans l’ensemble ?

Cheeko : Plus rapides ou plus lents mais en fait, c’est surtout au niveau des structures, ça me force à écrire des trucs qui n’ont rien à voir avec un couplet de rap. T’as un couplet, il va faire dix mesures, t’as un pont de deux, hop, t’as un refrain qui revient, après t’as à nouveau un break, c’est un peu chelou comment c’est construit. Moi je suis obligé de suivre le truc, puisque notre parti pris, c’est de dire : « On prend le son, on laisse défiler, et on y va. » On a juste fait un petit edit sur un truc, mais à part ça on a rien modifié, et ça change un peu le truc. J’ai eu la chance que Blanka m’ouvre les portes de son studio, je n’aurais pas pu le faire tout seul ou avec quelqu’un d’autre. Parce que même s’il ne produit pas, il m’a dit : « Je veux que tu rappes là-dessus, parce que je sais que là-dessus, je vais sortir ça de toi. »
Blanka : Je l’ai amené vers des trucs où au début, il m’a dit : « Mais non, ça jamais. » Et en fait, en réfléchissant, il me disait : « Ah ouais, je vais faire ça. » Le morceau qui s’appelle « C’est très dangereux », par exemple, sur un son de Focus, « Hocus Pocus », au début il m’a dit : « Non, jamais. » Et en fait il a fait un truc chanmé. Je le kiffe ce morceau.
Cheeko : C’est ton morceau. (rires)

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Perso, j’ai bien kiffé « Hypnose ».

Cheeko : En fait, c’est un son super récent, sorti en 2014. C’est un groupe belge qui fait du jazz éthiopien. J’aimais bien le délire et je suis tombé là-dessus via Oh No, l’album Dr. No’s Ethiopium. Le son en question, c’est « Upwards » de Black Flower.

Il n’y a pas eu de souci de crédits, parce que c’est un projet gratuit ?

Blanka : C’est un groupe qui vient de sortir un morceau, donc forcément, on les a contactés.
Cheeko : Les mecs ils ont kiffé, ils ont été super lourds
Blanka : La première réponse qu’on a eu, c’est quand même : « Oh c’est cool votre morceau. »
Cheeko : Après, il y a certains trucs qu’on va taire, parce que je ne peux pas aller chercher des cainris, des trucs comme ça, sinon on va se faire boycotter le projet. Après en théorie, on sort pas de thunes avec ça, si ce n’est qu’on fait quelques scènes pour s’amuser, mais c’est gratuit quoi, c’est de l’amour !

 

« Je reste beaucoup chez moi, je ne vis que pour la musique »

 

La recette d’un morceau entre Cheeko et Blanka, c’est écouter beaucoup de son ensemble?

Blanka : C’est du kiff en fait, et puis essayer des trucs un peu différents.
Cheeko : Avec une direction artistique de Blanka. Après, il n’y a pas de recettes, il pense à des trucs pour moi. Et maintenant qu’on a fait ça, je pense qu’on peut carrément aller vers d’autres trucs, et c’est ça l’idée.
Blanka : D’ailleurs, il y a déjà des remix qui ont été faits, et c’est ça qu’on a trouvé drôle, de proposer à des producteurs vraiment différents de faire des remix de ces morceaux-là. C’est pas évident parce que comme tu t’imagines, sur des vieux morceaux, les mecs jouent pas forcément en rythme tout le temps. (rires) Moi j’ai fait le remix de « C’est très dangereux », et du coup je me suis mis en danger, comme Cheeko s’est mis en danger, j’ai pas fait un truc hip-hop du tout, j’ai fait un truc presque drum and bass. Après, on a demandé à d’autres producteurs : on a demandé à Tigerz, qui a fait un truc plutôt trap, à S.O.A.P. qui a fait un truc eighties… Souvent on joue une partie du morceau dans le show. Il y a tout un boulot avant de faire le remix. Et c’est intéressant de faire ça aussi, parce que ça donne lieu à un tout autre univers, mais tout aussi déjanté, qui part à l’Ouest. Parce que les morceaux de base ne permettent pas de faire des trucs « conventionnels ».

Blanka, tu as sorti la série La Boulangerie avec La Fine Équipe. Si on devait comparer, ce serait quoi comme pâtisserie votre projet ?

Cheeko : Maintenant il y a la clim’ dans le four, mec. (rires) En plus l’avantage c’est aussi la spontanéité, parce que vu qu’on se voit souvent maintenant, j’arrive avec un texte en disant : « Vas-y, on l’enregistre. » Avec lui le lendemain, c’est mixé, presque masterisé. Ça va vite.

Blanka, c’est ton premier projet avec un rappeur français sur l’ensemble des sons ?

B : Non, j’ai déjà réalisé l’an dernier l’album de Phases Cachées sur lequel j’ai fait la moitié des prods et l’album d’Hippocampe Fou, sur lequel j’en ai fait trois. Tout ça, c’est par l’intermédiaire de Guts. Je te le dis honnêtement, j’avais déjà travaillé avec des rappeurs français avant, et ça s’était pas ultra bien passé, dans le sens où c’était des gens qu’il fallait pousser un peu. Je trouve que la nouvelle scène, en tout cas tous les gens que j’ai rencontrés, dont je m’occupe des projets, c’est un plus de travailler avec eux. Tous seuls ils apportent déjà quelque chose. Et avec Cheeko, je ressens ça, il s’occupe de plein de trucs que je ne connais pas et dont j’ai pas le temps de m’occuper. Parce que moi je vais pas dire que je suis un autiste…
Cheeko : Non, mais t’es un ermite en tout cas.
Blanka : Je reste beaucoup chez moi, je ne vis que pour la musique, mais tout ce qu’il y a autour c’est pas forcément ma spécialité. Moi je m’occupe plus de la partie mastering, du mix, et puis à côté, j’ai un mec qui prend l’initiative pour tout le reste du truc.
Cheeko : En plus, ce qui est cool, c’est qu’on a vraiment fait ça en petite équipe interne. Le mec qui a fait la pochette, c’est celui qui réalise le clip, Monsieur Tok (avec aussi mon cousin, Adrian, qui fait partie du collectif Vairon).
Blanka : Et on a aussi tous les gens qui s’occupent de Phases Cachées qui nous aident : Louis, Birdman…
Cheeko : C’est cool, ça me fait kiffer pour Blanka – qui est un mec de studio – de me dire : « On sort, on s’amuse. » Petite équipe sympa, on est en deal avec personne, on se booke tous seuls, on se finance tous seuls.

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Blanka, tu multiplies les collaborations avec des rappeurs, c’est lié aussi au fait qu’il y ait moins de barrières entre l’électro et le rap aujourd’hui ?

Blanka : Non, je pense que c’est surtout le fait que maintenant, tu as besoin d’être plus qu’un rappeur. Tu as besoin de savoir faire plein de trucs, et les gens qui ne sont pas motivés pour faire de la musique, ils arrêtent vite. Et ceux qui restent, ce sont des gens qui sont motivés.

Cheeko, se retrouver seul sur scène, ça change beaucoup de choses ?

Cheeko : Bien sûr. Et c’est pas comme si j’avais fait peu de scènes avec Phases Cachées, on a fait 300 dates au moins. J’ai toujours eu deux mecs avec qui on bossait les backs, les phrases, dès le début, donc forcément ça change.

 

« c’est qui Q-Tip ? est-ce qu’il a fait un feat avec Jul ? »

 

Mais tu as eu cette expérience dans les concours de freestyle, non ?

Cheeko : C’est différent, tu performes cinq minutes. Là, c’est un concert. En plus j’ai l’habitude des concerts plutôt bien préparés avec Phases Cachées, donc j’ai aussi envie d’apporter un truc à ce niveau là. Avec Blanka, on est tellement dans un trip « vas-y, c’est cool » qu’on arrive sur scène en short de bain, on a des chorés, on a des petites machines bizarres, c’est rigolo.
Blanka : Moi je le vois presque comme si tu allais au théâtre. Il faut qu’il se passe un truc. Sinon tu restes chez toi et tu écoutes de la musique. Il y a des mecs que je trouve super bons en studio et en live, je me dis : « Waw, c’est dommage. »

Sur le projet Kisskissbankbank pour soutenir le clip de « Trop cool », il y avait parmi les contreparties un concert à domicile. Ça s’est fait ? 

Cheeko : Non, ça n’a pas été pris. Par contre, je suis allé faire la cuisine chez des gars. Un mec qui kiffe Phases Cachées, c’était son anniversaire, ses potes se sont cotisés pour me faire venir à leur réssoi. J’ai préparé de la bouffe vénézuelienne, vers Rouen. Le concert chez quelqu’un ça n’a pas marché, mais tant pis. On a essayé d’organiser ça, un concert sur le toit du tour-bus de Danakil, ça a pas marché, mais t’inquiètes, un jour je vais trouver un tour-bus sur lequel faire ça pour déconner.

Des artistes avec qui vous aimeriez collaborer ?

Blanka : Moi je dirais Q-Tip.
Cheeko : Moi, un beatmaker avec qui je kifferais de ouf, c’est Ant, de Atmosphère.
Blanka : Q-Tip c’est un bon beatmaker aussi.
Cheeko : Ouais. Si tu veux, on peut faire un truc, je sais pas combien il prend pour le feat…
Blanka : Q-Tip ? C’est 60.
Cheeko : 60 000 ? Putain…

 Un bon kisskissbankbank…

Cheeko : « Financez mon feat. avec Q-Tip. » Les jeunes ils font : « C’est qui Q-Tip ? Est-ce qu’il a fait un feat avec Jul ? » (rires)
Blanka : Moi je kiffe tellement, encore ce matin je m’écoutais un album de A Tribe Called Quest.

Est-ce que vous pouvez citer un artiste trop cool ?

C: Eddy Mitchell !
B : (rires) Je me casse. Eddy Mitchell je ne suis pas sûr qu’il soit si cool que ça dans la vraie vie. Je l’aime bien, mais Eddy Mitchell il est véner.
C : Alors, trop cool sur tous les points, un mec que je connais, Namaân. Mais quand même je garde Eddy Mitchell frère, parce que le boogie woogie, c’est tout.
C : Et moi Guts, il est trop cool.

 

Le projet « Cheeko & Blanka sont trop cool » sort le 7 mars. Release party le 31 mars au New Morning. Interview réalisée par Etienne Anthem.

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