Chronique // Butter Bullets – Peplum

jeudi 15 novembre 2012, par Joackim Le Goff.

Crédit photo : Juliette Villard pour abcdrduson

Grossièrement, le terme « peplum » désigne les films dont l’action se situe historiquement dans l’Antiquité. Un genre incontournable du cinéma. Un style « à la fois noble – il traite de l’histoire, de la religion, utilise des auteurs tels que Homère ou Flaubert – et vulgaire, car exploitant la violence et l’érotisme, voire le rire à ses propres dépens et l’invraisemblance », selon l’ami Wikipedia. Noble et vulgaire, soit les deux adjectifs qui me viennent à l’esprit lorsque j’évoque cet album de Butter Bullets, le duo bisontin composé de Sidi Sid au micro et Dela à la prod. Une illustration ? « J’aime péter dans la soie ». ( dans le morceau « Moins que zéro »).

On commence par le plus flagrant. La vulgarité, difficile de passer à côté. Tout au long du projet, Sidi Sid prend un malin plaisir à écumer le dictionnaire de l’argot français, à cherchant les métaphores les plus malicieuses, au propre comme au figuré. A la manière d’un Al Kapote, l’un de ses mentors qu’on retrouve logiquement sur l’album, les familles de France s’éclateraient les tympans au bout de 15 secondes d’écoute. Homophobie, misogynie, multiples incitations à la violence : les profanes pourraient brandir leurs épouvantails habituels, sans rien n’y comprendre au fond. Des propos potentiellement polémiques – comme le clip NSFW de « Seul à la maison » – au point qu’ils en deviennent volontairement comiques, noyés dans un matérialisme cartoonesque. L’esprit de Gucci Mane rôde. Du coup, la dureté des mots employés se court-circuite d’elle-même.

Une vulgarité non seulement au sens « grossier », mais qui admet aussi un côté trivial des thèmes, à l’opposé des envolées lyriques d’un Oxmo. Les gladiateurs fonçaient dans le tas pour s’étriper, sans débuter par une phase de négociation. Une arrogance naturelle qui donne donc envie à Sidi de taper sur tout ce qui bouge, pure respect de la tradition égotrip. Les rappeurs en prennent souvent pour leur grade, notamment dans « 2019 ». Il pousse parfois le vice à désigner ses cibles, « j’ai 1995 raisons d’te dire que c’est de la merde ». Bref, ces invraisemblables séquences  de bras d’honneur aux bien-pensants se consomment minimum au dixième degré. Plaisir coupable de le voir scalper la langue de Molière.

Vulgaire certes. Noble ? Sans aucun doute. Derrière cette indélicatesse assumée et un goût (trop) prononcé pour le name-dropping, se cache une écriture d’une technicité hors norme. « Titanic », pour ne citer que lui. s’écoute comme un pur exercice de style. Un ovni dans lequel les références explicites à Plastic Bertrand côtoient celles, implicites, à MC Solaar (jolie référence à la « Concubine de l’hémoglobine »). On comprend aussi que le champ lexical très familier doit autant s’entendre que s’écouter : une recherche constante de performance rythmique, de fluidité entre les mots. Sidi Sd l’insecticide exploite toutes les techniques de la poésie classique, mais dépasse largement les banales rimes plates. Rimes quasi serpentines (le foudroyant « Tous ces MC ne pensent qu’à sucer, c’est un raz de marée; ces mecs se mordent la queue comme les rats du marais », dans « Repose en paix »), les assonances étirées jusqu’à l’épuisement (les phases en « u » dans « Titanic »), ou les débordements (« tout en sirotant / un putain de 12 ans d’âge » dans « Peplum »). On prend un vrai cours d’alchimie rythmique. En y ajoutant les accélérations subites, notamment dans « 2019 », ou son jeu d’intonations (le saisissant « ferme ton clape- merde, tu mérite des claques serbes »), le résultat impressionne. « Ce n’est plus du rap, mais des mathématiques » répète-t-il au fil des tracks. Pas faux, au point qu’on pourrait considérer Sidi comme un nouveau membre de l’OuLiPo.

Tout ceci ne fonctionnerait pas aussi bien si les instrus ne suivaient pas. A l’inverse d’un Booba, comparaison aussi bancale qu’immédiate dés qu’on s’attaque à ce style dont il est la seule référence française « mainstream », les productions musicales surprennent par leur richesse. Un travail d’orfèvre signé à moitié par Dela, qui marie diverses influences rapologiques. Pas du vulgaire plagiat hein, une inspiration respectueuse et hyper soignée. On perçoit les vibes électro d’araabmuzik sur le cinématographique « Dernière séance » avec Seth Gueko ou « Nirvana »« Ralph’s flow », rappelle soit un ancien hit romantique gentiment devenu ringard, soit une bande-son de film porno italien. « Peplum » tape dans le banger sudiste classique, les samples grandiloquents de « Titanic » suintent presque le Kanye sous amphèt. Rigolo au premier abord, « Seul à la maison » enterre en 15 secondes 3/4 des hits rap-club. Le clou du spectacle ? Sans conteste l’aller-retour dans les bas-fonds de Memphis, une visite guidée par Project Pat himself, faites gaffe à ne pas finir avec « Une balle dans la tête ». La mort qui se pose d’ailleurs en thème récurrent des films peplum et du LP. Surtout qu’au milieu des « Repose en paix » ou « L’odeur de la mort », ce sujet capte des titres plus introspectifs, à la manière de « Nirvana ». Puis quoi de plus noble que se référer à l’un des meilleurs albums de l’histoire, aka Première consultation de Doc Gyneco ?

Si la plupart des peplum correspondent à des films un brin has-been, aux longueurs interminables, le Peplum de Butter Bullets toise le futur et ne comporte aucun temps mort. Ca faisait longtemps que j’avais pas autant tripé sur un album de rap français et pris mon pied à en parler. Bien entendu, ça se déguste plus à la manière d’une série B haut de gamme, sans prétention de révolutionner le mouvement. En même temps, il en coûte que 5 balles, même pas le prix d’une place de ciné. Au fait, c’est quand la dernière fois que vous avez écouté un album de quasiment 20 morceaux d’une seule traite ? Si vous ne souvenez plus, cliquez sur la pochette ci-dessous.

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