‘Coloring Book’ : Chance The Rapper réussit là où Kanye échoue

vendredi 27 mai 2016, par Sagittarius. .

Une année sans mixtape de Chance The Rapper, c’est un peu comme un hiver sans neige pour un moniteur de ski. Plus suave qu’un chocolat chaud au coin du feu, Coloring Book confirme les attentes autour du Chicagoan qui revient sous les feux de la rampe avec autant de swag qu’un Grospiron sous EPO. Au risque de coiffer au poteau son ainé Kanye West et son TLOP, bien trop occupé à coudre des sweats trop grands au coin du feu.

Hallelujah, mes chères ouailles. Prosternez car voici venue la nouvelle offrande du kid de Chicago. Et je ne parle pas du chanteur soul BJ, mais d’un garçon surdoué qui, sans avoir publié un seul album à proprement parler (Surf étant officiellement l’album de Donnie Trumpet & The Social Experiment), a démontré qu’il n’était pas là par un hasard du destin. Quitte à en vexer certains, admettons-le : aujourd’hui Chance The Rapper est l’un des artistes rap indépendants les plus influents. Preuve en est, Coloring Book (Chance 3), qui succède à l’acclamée Acid Rap, a défié les prédictions probabilistes en devenant la première mixtape à figurer dans le Billboard américain uniquement grâce au streaming sur Apple Music, qui en détenait l’exclusivité. Du jamais-vu. Et voilà qu’après des dizaines de millions d’écoutes plus tard, des commentateurs avisés confrontent cette troisième mixtape du rappeur chanceux avec The Life of Pablo de Kanye West. Au-delà des points communs stylistiques avec le portrait inachevé du pape Kanye, et si la comparaison était finalement plus pertinente qu’elle n’en a l’air ?

Constat de base : Chance et Kanye ont grandi à Chicago et font du rap, au détail près qu’une génération les sépare et qu’ils n’ont pas connu la même trajectoire dans l’industrie. Mr West a débuté comme beatmaker autour des années 2000, avant de se lancer dans une carrière de rappeur en contrat avec Roc A Fella Records, label qu’il a fait briller de plus belle au profit de son mentor Jay Z jusqu’en 2007, à peu près, et ce tout en gérant sa structure G.O.O.D. Music. La suite, on la connaît. À l’inverse d’un Chance The Rapper, issu d’une génération de têtes brûlées du South Side de la Windy Cuty qui a su utiliser les outils technologiques actuels, les réseaux sociaux et le home-studio pour se faire un nom en étant qu’auto-entrepreneur de la musique. Chancelor Bennett, de son vrai nom, se permet même de rerefuser tout contrat de label, notamment une offre de… G.O.O.D. Music. C’est ainsi qu’il a pu se développer artistiquement en étant son propre modèle économique, le produit de son époque, avec cette philosophie qu’il récite sur son single « Blessings » : « I don’t make songs for free, I make them for freedom / Don’t believe in kings, believe in the kingdom. » Toutefois, sur le plan musical, il est indéniable que Chance a des atomes crochus avec Kanye : Coloring Book est un projet qui fait la part belle au gospel avec des éléments sonores très actuels, presque trap par moment, tout comme The Life of Pablo. Mais en vachement mieux.

Si vous avez suivi les infernaux soliloques du mari de Kim Kardashian sur Twitter durant la conception de TLOP, vous avez peut-être pu deviner que Chance a eu une influence non-négligeable sur le projet. Ça ne s’est pas simplement limité à un couplet sur l’immense « Ultra Light Beam ». D’ailleurs, Kanye le bénit en retour sur le refrain de la première piste de Coloring Book, « All We Got », renforcé par des chœurs d’enfants pour un finish formidable. Les nombreux convives de cette mixtape figurent sur The Life of Pablo (Kirk Franklyn, Young Thug, Ty Dolla $ign, voire Future à travers sa copie discount Desiigner), ou auraient pu très bien pu y figurer. On pense à Lil Wayne, 2 Chainz, Jeremih ou carrément Justin Bieber et le rare Jay Electronica. Le tableau ne serait pas aussi magnifique sans les nombreuses personnes non-créditées et tout aussi prestigieuses venues prêter leurs voix, tels que Jamila Woods, Raury, Anderson .Paak, BJ The Chicago Kid, Elle Varner et la chorale d’enfants de Chicago bien entendu. On croirait lire les crédits d’un album de Kanye ou Kendrick, non ? Plus modeste en personnel, la production est principalement laissée entre les mains des saltimbanques de The Social Experiment qui apportent une cohérence et musicalité unique, une fusion idéale entre beats rap, soul, gospel et r&b, dont on a pu se délecter sur le superbe album Surf avec Donnie Trumpet paru l’an dernier.

Résultat des courses, les chansons gospel (« All We Got », « Summer Friends » sublimé par Francis & The Lights, « How Great » et « Finish Line/Drown ») sonnent plus naturelles et rafraîchissent l’esprit telle une eau purificatrice. Même un morceau trap comme « Mixtape » (feat Young Thug & Lil Yachty) ou encore l’avertissement aux maisons de disques « No Problems » (avec 2 Chainz et Weezy) y ont parfaitement leur place. Ce fut loin d’être le cas de TLOP qui, hormis quelques coups d’éclats, ressemble à un collage inhomogène et imparfait. Mais cela n’explique pas forcément ces similarités, ni comment l’élève à surpassé le maître. Ce lien existe, en effet, parce que le premier album qu’a acheté Chance dans sa jeune vie était The College Dropout. Le jeune Chancelor s’est nourri du rap de Kanye, quand celui-ci était encore considéré comme le messie du jeu, avant qu’il dépasse le cap des 33 ans et prenne ce rôle christique trop à cœur. Jusqu’à Graduation, ses albums transpiraient la soul et le gospel, étaient vertueux et prônaient des valeurs importantes et positives : la spiritualité, la poursuite de ses rêves… Ce que l’on retrouve sous une forme actualisée sur Coloring Book. En d’autres termes, Chance a repris le chemin délaissé par Kanye West après Graduation. Avec d’autres thèmes, bien sûr, comme le fait de distribuer gratuitement sa musique, à l’opposé d’un Kanye bipolaire qui aujourd’hui mélange belles paroles et incompréhensibles crachats pour alimenter la polémique. À la différence de Yeezy, Chance n’a d’ailleurs pas non plus besoins d’artifices comme l’autotune pour transmettre des émotions dans son interprétation, lui étant doté d’une habilité à chantonner étonnante.

L’identité sonore de Chance The Rapper continue de se façonner à travers de beaux morceaux comme la douceur « Same Drugs », « Angels » et évidemment « Blessings ». Et plutôt d’avoir recours au sampling comme sur Acid Rap, il forge aujourd’hui sa musique avec son orchestre. Autres petites surprises, ses collaborations avec Kaytranada sur l’électro-funk « All Night » ou le slowmo-r&b « Juke Jam » avec Justin Bieber.

Autant d’arguments objectifs comme subjectifs qui permettent de penser que Chance The Rapper a ‘outKanye’ The Life of Pablo (pour reprendre l’expression de Stephen Colbert). Ses beats rythment le pouls de Chicago, sa voix et les choeurs reflètent l’âme de sa métropole. Et puis, comme le chantait De La Soul, le ‘trois’ est un numéro magique. Applaudissements mérités, le kid de Chicago a fait du « good ass job ».

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