Brûlez-vous avec ‘Molotov’, la collab de feu de Saga et Thelonious Martin

jeudi 23 février 2017, par Sagittarius.

Dans un esprit similaire à Run The Jewels sur le fond et musicalement différent sur la forme, le projet Molotov a gagné notre attention. Dès lors, une présentation des deux protagonistes Saga et Thelonious Martin s’imposait, avec un focus sur ce chouette projet.

Au début des années 2000, les albums collaboratifs étaient des œuvres épisodiques voire exceptionnelles, à double titre. Voyant l’engouement croissant d’une frange du public rap pour ce type d’albums, les « collab LPs » (ou « joint albums ») se sont multipliés puis démocratisés des années plus tard jusque dans le mainstream (souviens toi de Watch The Throne de Jay-Z et Kanye, Distant Relatives de Nas et Damian Marley). Mais c’est toujours dans le hip-hop indie qu’on y trouva les meilleurs projets. Le succès de Run The Jewels, improbable mais ô combien explosive combinaison de Killer Mike et El-P, n’en est qu’une preuve supplémentaire.

Saga et Thelonious Martin se sont à leur tour associés sur le projet Molotov, un album qui nous a donné beaucoup envie de discuter avec ses auteurs. Afin d’améliorer l’expérience du lecteur, cette interview n’a pas du tout été réalisée en réalité augmentée. Non, simplement, après avoir laissé la parole aux concepteurs de Molotov (par l’intermédiaire de leur directeur artistique, Maxime Robin), un complément s’est ajouté sous la forme d’une petite chronique afin d’illustrer les propos de nos deux gaillards recueillis pour cet entretien.

SURL : Au-delà de vos statuts respectifs de MC originaire de Brooklyn (Saga) et producteur basé à Chicago (Thelonious Martin), pouvez-vous chacun vous présenter par un résumé de votre CV, avec vos références ?

Thelo : Je suis Lord International aussi connu sous le nom de Thelo aka Thelonious Martin. Je suis un producteur de sons originaire des contrées de Chicago. J’ai fourni des sons pour Mac Miller, Chance the Rapper, Joey Badass, Smoke DZA, Cam’Ron, Action Bronson, A$AP Rocky, Mos Def (Yasiin Bey), Joey Purp, Michael Christmas, … Merde je suis peut-être en train d’oublier tout un tas de personnes, j’oublie une longue liste de gens (en effet il oublie par exemple Curren$y, ndlr). Après ce projet-ci, on pourra ajouter Fashawn, Freddie Gibbs, et bien sûr Saga.

Saga : Je suis Saga, le Pistol Pete de Brooklyn, le Thinker Hatfield des terrains de rap. Sur le plan des productions, j’ai travaillé avec Nottz, Marco Polo, Exile, 20syl, Apollo Brown, Ayatollah et là bien sûr Thelo Martins. Sur celui des emcees, j’ai bossé avec Roc Marciano, Blu, Talib Kweli, Asher Roth et pour ce projet Freddie Gibbs, Big Pooh, The Mind et Fashawn.

Quels ont été les points d’accroche de votre collaboration et les objectifs que vous vous êtes fixés ensemble ou séparément ?

Saga : Personnellement, je ne voulais pas que ce soit tributaire d’un agenda. J’éprouvais le besoin de dire ce qu’en fait je ressentais sur le moment et en fonction de comment le morceau m’inspirait. Habituellement je laisse la musique influencer mon message et le débit. Je pense que nous avons utilisé près de trois lots de beats d’où j’ai sélectionné des morceaux qui permettaient de coopérer naturellement et s’accommodaient bien avec les autres. Aussi, je préfère les sons soulful et jazzy contrastés avec d’autres morceaux plus punchy, lourds, plus motivants qui te donnent la patate. Sur pas mal de collabs LP, les rimes prennent le dessus sur les beats ou les beats éclipsent les raps. La ligne directrice commune était de donner le meilleur de soi et de se compléter, pas d’entrer en compétition, et faire en sorte qu’on se complimente l’un l’autre.

Thelo : Je pense qu’on voulait simplement mettre la barre haute et fournir de la qualité. C’est important de rappeler aux gens comment sonne la qualité, je pense personnellement que le niveau a baissé dernièrement. D’un point de vue prod et lyrics, ce projet envoie la balle plus loin, j’ai hâte que les gens l’écoutent.

Comment s’est déroulé votre processus de travail, au niveau du choix des thèmes et/ou des samples ?

Thelo : Ça dépend de ce que j’ai mangé au p’tit de’j. J’envoie un lot de beats à Saga et il pioche un ensemble cohérent de morceaux pour en faire ce projet extraordinaire.

Saga : Un peu de tout, de l’égotrip, de la réflexion personnelle, de la frustration et des observations de gens et de mon environnement…

Dans ce processus de collab LP, comment se fait le choix des featurings ? Freddie Gibbs, Fashawn, etc…

Saga : Je travaille toujours avec des artistes que je kiffe mais de préférence ceux avec qui je sonne naturel.

Thelo : Ce n’est pas une question de nom mais à propos de qui est capable de compléter le morceau.

Beaucoup de « collab albums » sont sortis ces dernières années, que pensez-vous avoir de différent par rapport à ceux qui sont sortis jusqu’à maintenant ?

Thelo : Je suis invaincu. N’importe quel projet où je me suis occupé de la production – ou la majorité des productions – ça devient quelque chose de dingue. Polo Sporting Goods, The Temptations avec Evan Holt, mon EP avec Jabee, et même un projet comme The Drive-in Theater avec Curren$y. Tu me laisses mettre le « la » sur un projet et tu gagneras.

Saga : Juste le fait que nous sommes des personnes différentes des autres artistes et que faire une combinaison ensemble ajoute plein de variables. Je suis sûr que si on taffe sur un second projet ça sonnera différemment de Molotov. L’autre truc à prendre en compte est que nous sommes tous deux en adéquation en terme de qualité.

Pensez-vous que la musique rap va évoluer de manière plus radicale en réaction à la présidence de Donald Trump ?

Saga : Evoluer, régresser – au bout du compte, nul ne sait. Je suis certain que des chansons ici et là il y en aura des comme ça, mais j’irai prêcher à la chorale et si des artistes s’enferment eux-mêmes sur le thème, ça risque d’être vite ennuyeux. Les humains ont été reconnus pour leur longue capacité d’attention récemment ! J’ai toujours été dans des sujets musicaux anti-establishment, peu importe qui est au pouvoir.

Thelo : Des instants drastiques appellent à des mesures drastiques, ces moments vont nous contraindre à faire une musique qui sera la bande-son d’une révolution. Cela va être intéressant ces quatre prochaines années.

Maintenant si vous le permettez, on va se pencher un peu plus sur le contenu de Molotov, et je vous le dis, il n’y a pas de vapeurs de vodka à l’intérieur. Tenez, exemple d’un beat qui a inspiré à Saga le nom du morceau : la seconde piste très smooth « Mongolian Cashmere« . Cette métaphore n’a l’air de rien de prime abord mais elle souligne d’entrée le champ lexical large du MC, capable de jeux de mots relativement complexes niveau PhD (sacrée démonstration sur « Out There« ) avec un flow précis qui slalomme entre les caisses de Thelonious Martin. Imaginez un Termanology en nettement moins lisse et plus alambiqué, voilà. Ce qu’il observe dans sa vie de tous les jours est une authentique source d’inspiration, une réalité pure et simple comme il le décrit sur le single « Yesterday« , avec un couplet très dur de Fashawn qui a trop bien connu la pauvreté. Ou bien « Where We Live (Brooklyn)«  qui s’inspire de Roy Ayers pour le refrain et use d’un sample que l’on connaît bien en France puisque c’est le même que « Tout N’est Pas Si Facile«  des NTM (à savoir « It’s Your Love » de Ethel Beaty).

Et effectivement, on alterne entre des titres au miel de soul music à souhait et d’autres plus percutants comme « Karma«  avec le tueur en série Freddie Gibbs ou encore « Not Today« . Le sample est le cœur des instrumentaux de Thelo Martin, qu’il peut user à la manière d’un Apollo Brown (« Yesterday« ), Just Blaze en mode soulful (« All I Know » avec Rapper Big Pooh) ou J Dilla période The Ummah avec un « They Don’t Know«  plein de vibes positives. Leur combinaison ne rappelle Run The Jewels que dans le texte, mais un peu Blu & Exile au niveau de l’association prods/emceeing. Pour reprendre un terme usuel Outre-Atlantique pour qualifier leur cocktail : LIT.

Article recommandés

‘All-Amerikkkan Badass’, l’arme de paix de Joey Badass
Les seconds albums sont souvent des tournants décisifs dans les jeunes carrières car ils permettent véritablement d’évaluer la stature, la trajectoire artistique et le talent d’un artiste. Après avoir démarré en…
Flynt nous raconte « J’éclaire ma ville »
En seulement deux albums, Flynt s’est imposé comme l’un des rappeurs qui a le mieux incarné la réalité des artistes indépendants. Presque dix ans passés après la sortie de J’éclaire ma…

les plus populaires