Trois jours de rap

jeudi 4 juin 2015, par Antoine Laurent. .

L’orgie. Les 29-30 mai et 1er juin derniers, L’Original Festival reprenait ses droits à Lyon pour une douzième édition, malgré l’adversité. Nous y étions cette année encore, au coeur même de ce qui reste aujourd’hui l’un des meilleurs festivals hip-hop en France, au plus près des acteurs et artistes de cette grande fiesta. Premier retour sur 72 heures de rimes, de sueur et de crowd surfing.

Bastien n’aime pas le rap.

Il lui arrive de se passer du Booba le matin, dans le bus, mais c’est surtout parce que ça le fait rire. En soirée, il aime singer les gestuelles des clips qu’il regarde au boulot, entre deux coups de fil. L’alcool l’aide à rentrer dans le personnage, à se décomplexer et à faire marrer ses copains quand il se prend pour O.T. Genasis. D’ailleurs, il connait les couplets de « Coco » par coeur, à force de l’écouter pour rigoler. Mais non, Bastien n’aime pas le rap.

Pourtant, Bastien va aller faire un tour au Transbordeur vendredi soir, à Lyon, où Vald, Apollo Brown, Ras Kass, Rapper Big Pooh et Lino lancent la première soirée de L’Original Festival. Il ne sait pas vraiment pourquoi il y va à vrai dire, il accompagne juste l’un de ses rares potes adeptes de ce genre de musique. Il le fait pour être sympa. Il faut dire que Bastien a déjà entendu certains de ses collègues de travail, en pause clope, décrire « un concert de hip-hop » dans lequel ils s’étaient aventurés. Et franchement, ça ne lui donnait pas trop envie. « Deux gars plantés comme des piquets sur scène qui crachent dans un micro, et un mec derrière qui s’amuse avec des platines. » Son pote, de son côté, lui certifiait qu’il n’y avait rien de comparable à l’énergie d’un concert de rap. Mouais. Bastien se dit qu’au pire y’aura peut-être des meufs.

Bastien commande une pinte au bar au moment où Vald arrive sur scène. « J’baise le monde comme un autiste. » Tout le monde saute, Bastien sourit. Pris dans un mouvement de foule – naturellement, il s’était rapproché de l’épicentre de cette masse humaine agitée -, il renverse quelques centilitres de sa bière. Il grogne, d’abord, avant de réaliser qu’il l’avait de toute façon presque finie, sans s’en rendre compte. L’homme responsable de la poussette le prend par l’épaule et lui paie une nouvelle pinte, pour s’excuser. Bastien se dit qu’au final, il s’en sort bien. Puis il réalise que le son a changé, que les samples soulful d’Apollo Brown ont remplacé les beats d’I.N.C.H et que le mec qui s’est emparé du micro de Vald rappe désormais en américain. C’est Big Pooh. « C’est passé vite« , se dit-il alors. Il se redira la même chose à l’arrivée de Ras Kass, puis de nouveau quand Lino et ses deux frères quitteront la scène en fin de soirée. « T’as aimé ? », lui demande son pote. « C’était marrant », répond Bastien.

Rebelote le samedi. Bastien accompagne une nouvelle fois son ami, « pour ne pas le laisser seul », et fait l’impasse sur une soirée électro minimal où il avait pourtant gagné son nom sur liste des invités. Mais la soirée d’hier l’a titillé. La salle du Transbo lui est déjà plus familière, il s’y sent mieux. Il ne s’y sentait pas mal la veille, loin de là, mais il a cette fois l’impression de ne plus y être étranger. Il se permet un sérieux hochement de tête sur les rafales d’M8HS,  et se prend à leur habile jeu de scène. Bastien apprécie même la bonhomie d’un Dosseh qui, seul sur scène avec son DJ, Lord Issa, fait le boulot avec métier. « Oh, on est à Lyon ici ou à Clermont-Ferrand ?! » Bastien explose de rire et se permet un petit « ouais ouais ouais ! », le premier du week-end. À l’arrivée de Gradur, il en oublie qu’il est venu avec son pote. D’ailleurs, il l’a perdu dans la foule et se retrouve seul, le bras en l’air, à se demander pourquoi il n’a pas fait davantage de pompes et de tractions dans sa vie. Quand le rappeur de Roubaix sort son téléphone pour faire une vidéo Instagram, il se joint à l’excitation collective, et gueule un grand coup avec le monde amassé. Grisé par l’alcool et se demande si ça l’ennuiera le lendemain que ses amis, les autres, voient la dite publication. Tant pis.

Le dimanche, Bastien se réveille trop tard et rate le brunch/projection au ciné Comédia. « C’est con, c’était bien », lui répond par sms le pote qui l’avait trainé aux deux soirées, avant de lui proposer une dernière salve le lundi soir. « Joey Mauvaiscul, mec. Ca se rate pas !!! » Bastien répond : « Vazy on se retrouve à la salle. J’ai oublié ma dignité là bas samedi soir. » Il rajoute un smiley au sms et passe la journée du dimanche à regarder des vidéos du jeune prodige new-yorkais.

Lundi soir, donc, c’est avec un entrain qui l’étonne lui-même que Bastien déboule cette fois dans la grande salle du Transbo, pour le finish de L’Original. En attendant son pote, il s’installe devant la scène pour ne rien rater du set d’Everydayz. C’est marrant, se dit-il, ce mec qui se permet de faire des grands écarts musicaux en passant du reggae à la trap. Little Simz, la jeune Anglaise, le surprendra bien plus. Quand son pote le rejoint finalement, c’est pour trouver un Bastien quasi en transe, conquis par l’énergie incroyable de la frêle gazelle londonienne. Apres un intermède du vétéran DJ Duke, ils sont rejoints par une horde de filles qui semblent vouloir en découdre avec la star de la soirée. Ils ricaneront quand le héraut du renouveau boom bap new yorkais les fera monter sur scène pour entamer un cours de danse à sa façon. Bastien finit le concert au milieu de la foule, transporté par ce mec sec comme une trique, débordant d’un charisme animal. Pourtant, le bruit courait que le mec était malade ce soir là et que sa gorge en pâtissait. Mais son heure et quart de show (bien tapée), ses jumps à la Kriss Kross et ses deux sauts de punk dans la foule ont démontré le contraire.

« Bah alors, ça y est t’es converti ? », rigole l’ami en voyant Bastien essuyer la sueur sur son front. « Oh tu me connais, répond Bastien, tu sais bien que j’aime pas le rap. »

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