Ras Kass : « Les religions font toutes les mêmes erreurs »

jeudi 19 novembre 2015, par Olivier Cheravola.
Depuis « Soul on Ice » qui le vit faire ses premiers pas de lyriciste jusqu’à aujourd’hui, Ras Kass n’a eu de cesse d’aiguiser son écriture pour en faire le scalpel de son exploration de notre époque. Au centre de son oeuvre, une critique récurrente de la religion. Le temps d’une interview, à l’occasion de son passage à L’Original Festival 2015, on est allés à la rencontre de ce rappeur croyant, pourtant peu avare de blasphèmes.

Le temps passe vite. Quand on rencontre Ras Kass en juin dernier dans les coulisses de L’Original, à Lyon, la canicule commence à poindre timidement son nez. On est alors six mois après les attentats de Charlie Hebdo et l’hexagone se laisse envahir par une torpeur estivale bien méritée.

Deux semestres et une nouvelle attaque terroriste plus tard, on se dit — en réécoutant How To Kill God, son précédent opus en compagnie du mastodonte Apollo Brown, ou alors son dernier projet Semi Hendrix — que l’oeuvre de Ras Kass ne reflète pas l’image d’une société en pleine forme. Pourtant, quand on le rejoignait en coulisses, il s’était montré d’un naturel social, lui qui dresse pourtant dans ses disques le portrait d’une Amérique bigote en proie aux doutes et à la solitude. L’homme est affable, prompt à blaguer ou à répondre avec une certaine spontanéité de comptoir qui n’empêche ni la sincérité ni la profondeur. L’entretien devient vite un échange autour de la religion, ponctué de théories saugrenues et d’éclairs de lucidité, comme si il s’agissait de ne pas prendre trop au sérieux une œuvre née d’une réelle nécessité. Manière, peut-être, de ne pas se retrouver aux cotés de ces croyants dont il questionne les motivations. Salutaire.

ras kass blasphemy god interview 2015 2

SURL : Tu as écrit « How To Kill God » il y’a dix ans de cela. Quelles étaient tes motivations déjà à l’époque ?

Ras Kass : Tu sais, quelqu’un a un jour écrit les 10 commandements. Je ne veux pas manquer de respect aux religions, quelles qu’elles soient. L’islam, le christianisme ou le judaïsme viennent de l’Ancien Testament, même si ces religions ont des points de désaccord entre elles. Mais j’ai du mal à accepter que les gens utilisent la religion pour faire ce dont ils ont envie, que 10 personnes dirigeantes se bornent à tuer au nom de Dieu. J’ai fait ce disque en tant qu’américain descendant d’Afrique. J’ai du mal par exemple à comprendre comment on peut dépeindre Jésus sous les traits d’un européen. Pour moi, venant tous deux d’Afrique du Nord, il y’a de fortes chances que Jésus ou le prophète Mohammed aient pu être bronzés. Mais regarde dans le Coran, un de ses préceptes, que l’on retrouve dans l’Ancien Testament, est de n’autoriser aucune image.

Selon toi pourquoi ce souci avec l’image est si important dans la religion ?

Je crois que c’est lié à un problème d’identification chez les chrétiens et les juifs. Et honnêtement j’ai aussi le sentiment que les musulmans sont très attachés à ce précepte, qui selon moi devrait évoluer. Les religions se regardent en chien de faïence mais font toutes les mêmes erreurs. Regarde l’esclavage. Si tu étudies les textes religieux quels qu’ils soient, à aucun moment Dieu ne dit « tu devrais être un esclave ». Si ton Dieu, à travers ses propos retranscrits dans un livre saint, ose te dire « tu ne devrais pas être l’égal d’un autre humain », comment peux tu prétendre qu’il t’aime ? Je crois que les humains ont une part d’interprétation dans ce que Dieu a pu essayer de leur dire.

Tu connais l’adage, « un adorateur de Satan, un chrétien, un juif et un musulman se réveillent. Et le soleil brille de la même manière ». Je crois au fait que la religion soit une opinion personnelle. Mais les religions ont divisé et tué plus que n’importe quelle autre opinion. Les traditions ont crée les religions, mais tu ne peux les appliquer au monde moderne dans lequel on vit. Tu ne peux pas dire : « Il faut appliquer à la lettre les enseignements. » C’est lié à la façon dont les humains ont décrit leur Dieu, dans les textes saints. Personnellement je crois en Dieu, sans lui donner de forme ou d’appartenance religieuse. Si ma mère m’avait donné naissance sur une île où je n’aurais jamais eu connaissande du christianisme, du judaïsme, de l’Islam ou de l’hindouisme, j’ai le sentiment que j’aurais quand même connu Dieu.

 

« Il y’a des chances que mon Dieu soit une femme »

 

Donc c’est une question de spiritualité ?

Tout le monde a des perceptions qui viennent de l’éducation. Tu peux croire en ce que ta mère a cru, qui elle même croit en ce que sa propre mère croyait, tu vois ? Sauf, que beaucoup de femmes croient en ce que leurs maris disent et font. Les hommes contrôlent hélas encore les femmes. Les femmes ont de la compassion, elles sont la naissance de l’amour sur terre. Les hommes ont créé le concept d’états, de frontières, alors que les femmes diraient « hé bien, ma sœur habite ici ».  Les hommes créent les séparations. Et on a fini par engendrer des femmes qui finissent par ne plus avoir cet amour infini, parce qu’elles évoluent dans un monde d’hommes. Il y’a des chances que mon Dieu soit une femme (rires).

Tu as écrit « How To Kill God » en te disant qu’il y’avait un droit au blasphème ?

Tu sais, on ne voulait pas appeler l’album Blasphemy au départ. J’ai apellé Apollo un jour en lui disant « on devrait appeler l’album How To Kill God ». Avec l’idée du président qu’on voit sur les billets de banque US, bailloné d’un bout de rouleau adhésif. En mode kidnapping, un truc de rue, très « black hood » tu vois ? Notre 1er président baîllonné. Mais les distributeurs ont flippé et on a du changer de nom. Selon moi, un des premiers blasphèmes c’est notre constitution. « Tous les hommes sont nés égaux en droit blablabla. » Donc mon premier blasphème sur ce disque, c’est de dénoncer cette hypocrisie. How To Kill God c’est une métaphore. Je n’ai pas envie que tu tues Dieu. Ou que tu le détestes. J’essaye juste de dire que peut-être ce à quoi tu t’accroches dans ta religion, est en train de tuer Dieu. Si par exemple tu es musulman ou juif et que tu es convaincu que faire exploser des gens c’est rendre hommage à Dieu, tu ne fais que tuer Dieu. J’essaye juste te tendre un miroir.

Si tu avais appelé ton album « How To Kill a Muslim » ou « How To Kill a Christian » les distributeurs auraient moins eu peur ?

Oui, voilà. Ou « How To Kill a Nigga ». Ça n’aurait choqué personne. C’est l’Amérique. Quand tu dis « Dieu » en Amérique, ça sous entend « blanc, européen ». Si j’avais écrit « How To Kill Allah » les gens ne l’auraient pas entendu de la même façon, l’implication n’aurait pas été la même. Tout le monde pense avoir un Dieu différent des autres. Même si ils ont basés sur les mêmes écrits saints. C’est ridicule. Et si j’avais écrit « How To Kill a Nigga » c’est sur que ça n’aurait jamais été un problème pour le label.

Tuer au nom de Dieu, c’est en quelque sorte une façon de prouver qu’il est faible ?

J’irais plus loin que toi. Je crois surtout que les humains n’ont pas conscience de vivre dans un grand « tout ». On se croit plus grands qu’on ne l’est réellement. Si on laisse une chance à l’amour, au respect de l’autre, on pourra survivre. La Terre continuera de vivre sans nous. Voire même trouvera un moyen de se débarrasser de nous. Si un Dieu existe, et personnellement je pense que oui, ça ne nous exempte pas de responsabilités. Le racisme, le sexisme par exemple sont des maladies créées par l’homme. Tu peux prendre un poisson, le sortir de son environnement pour le mettre dans un aquarium, il ne grandira qu’a l’échelle de son nouvel environnement. Sauf les requins. Pourquoi ? Parce que ce sont des prédateurs. Les ours, les tigres, les humains, nous sommes des prédateurs. Sauf que les humains, on s’attaque à notre Terre là, et qu’on a peu de chances d’en trouver une nouvelle de si tôt. Il nous reste plus qu’à faire un Star Trek. (rires)

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En quelque sorte le vrai blasphème ne tient il pas plus dans le fait de tuer au nom de Dieu que de parler mal de religion ?

Tu sais, je respecte l’Islam. J’ai étudié l’Islam. Mais je ne suis pas d’accord lui sur certains points. Idem pour le judaïsme. Les deux ont des choses en commun : « shalom », « salam » par exemple. Idem pour le christianisme, je ne crois pas en la divinité du Christ. Je crois que tout cela est politique. Et j’ai choisi de ne pas faire partie de ça. Le prophète Mohammed a écrit des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Idem pour les autres textes saints. Ils ont tous ces points communs : l’esclavagisme et dire aux gens ce qu’ils peuvent faire ou pas. Je ne veux pas que mon Dieu me permette d’avoir des esclaves. Je ne suis pas d’accord. Comment cela pouvait être la volonté de Dieu ? Je ne suis pas sur que mon Dieu, venant de la même partie du monde, ait pu permettre cela. De plus, les plus radicaux des croyants n’entendent pas qu’on puisse critiquer leur religion.

Tu penses que l’ignorance est une sorte de pêché ?

D’une certaine façon oui. Rester ignorant ou t’éduquer incombe de ta responsabilité. Et beaucoup de gens refusent cette responsabilité. C’est plus facile d’être ignorant que de te lever et dire : « Je ne pense pas que telle ou telle chose soit juste. » La plupart des gens te botteront le cul si tu n’es pas d’accord avec eux.

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