Chronique – Danny Brown : Old, le meilleur de sa folie

lundi 7 octobre 2013, par Cedric.

Folie. C’est le premier mot qui nous vient à l’esprit quand on pense à Danny Brown. C’est pas de notre faute, le rappeur a toujours cultivé cette culture de l’excentricité, depuis son explosion atomique sur la mixtape XXX. De son flow électrique – inaudible pour certains – à ses instrus éclectiques en passant par sa faculté à faire des trucs chelous (shout out à la jeune demoiselle qui l’a pompé en plein concert – à 0:08), Danny Brown se présente comme un rappeur à part. Une rockstar, en somme, n’en déplaise à Kanye West.  Il en a toutes les caractéristiques : une énergie incroyable, un organisme habitué à l’absorption de substances illicites, un destin hors du commun et un classique. Oui un classique. Parce qu’il parait qu’il a pondu une pépite avec son dernier album, Old, une pépite si reluisante que beaucoup la considère comme étant l’un des projets de l’année. Un engouement justifié ? Mets tes lunettes, branche ton casque, balance Old et lis notre chronique.

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Un morceau de Danny Brown, comme l’habituelle blague pourrie de son oncle alcoolique aux diners de famille, on l’entend venir de loin. Ce mec a un flow unique. Inimitable. Dégueulasse. La première fois qu’on entend un morceau de DB, un morceau récent surtout, on a l’impression qu’un crackhead s’égosille la voix. Ca rebute pas mal au premier abord, faut être franc, c’est pas très plaisant dans le casque. Pourtant, les plus courageux – ou masochistes – continueront, tracks après tracks, leur découverte de l’artiste. Pourquoi ? Parce que Daniel Dewan Sewell propose quelque chose de différent.

Avec son flow de détraqué, l’emcee de Detroit martyrise des instrus de tous styles. Parfois, on se croirait même en train d’écouter des musiques de jeux vidéos – ce n’est pas anodin, l’un de ses morceaux s’appelle « Metal Gear ». Quand la conseillère d’orientation du rap jeu lui a dit qu’il fallait qu’il choisisse entre trap, old school, gangsta rap et variété française, l’homme est monté sur son bureau et a commencé à pisser tout autour de lui. Danny Brown fait ce qu’il veut. Avec une petite préférence pour le hip hop alternatif, mais sans renier les origines du genre.

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Par exemple, sur la deuxième tracks de l’album, Danny démontre sa force sur un morceau qui transpire le true hip hop avec un spécialiste du genre en featuring, Freddie Gibbs. Sur une instru profondément old school, la partition est récitée d’une voix de maître avec un flow plus posé que d’habitude. « They want that old Danny Brown » qu’il disait sur la track d’ouverture de « Old », « Side A » – il n’a pas hésité à leur donner ce qu’ils voulaient. Tout au long de son album, le vétéran – 32 ans déjà – alterne entre son flow si particulier et un flow plus posé que ses fans ne soupçonnaient pas. En fait, il adapte son flow a l’instru qu’il compte meurtrir.

La corrélation entre le débit qu’il adopte et le thème du morceau qu’il expose est évidente. Par exemple, le track « Lonely », l’une des perles de cet album, voit DB adopter un flow bien moins spécial, plus classique, mais franchement agréable. Pareil sur « Torture ». Quand le BPM baisse, Danny pose la seringue, reprend son sérieux et débite avec force, mais agressivité. Un coup de feu sous un coussin. Lui aussi, étonnement, a besoin de ses quelques morceaux introspectifs : « All the shit that I’ve seen / Nigga, it’s torture / Look in my mind and see the horrors / All the shit that I’ve seen. »

A contrario, sur le morceau « Dope Fiend Rental » en featuring avec ScHoolBoy Q, DB se lâche comme jamais. Tu m’étonnes, l’intru est une oeuvre d’art, une fast track rapide comme une course poursuite à Detroit. Lui, c’est le Danny Brown qui fait se lever les foules. Et qui se fait sucer quand sa teub se lève à son tour. Sur le coup, on est pris d’un doute : est-ce qu’on préfère le Danny Brown qui nous raconte que sa mère avait de l’arthrite à force de faire des tresses pour 25 dollars, dans le génial « 25 Bucks », ou est-ce qu’on préfère le Danny Brown explosif et taré de « Break It (Go) » ou « Handstand » ? Pas besoin de choisir.

A vrai dire, les deux Danny se complètent, et c’est peut-être là une des forces de cet album. On pourrait avoir l’impression d’une certaine dualité, mais non. Qu’il se confie sur son agression sur le très court et paradoxalement festif « Wonderbread » ou qu’il soit lyricalement sale comme une vidéo de Fellow sur  « Red 2 Go », DB reste toujours dans le même. Pas de prostitution pour un public. Danny Brown is too real for this shit, il a pas l’temps d’niaiser et de se laisse intimider : « Now all these rappers talkin’ bout that molly / Bet a million dollars these niggas ain’t dippin’. » Ou encore quand, lucide, il évoque sur le morceau « Clean Up » la nécessité de se racheter une conduite : « It’s time for me to clean it up /I came to far too fuck it up like » – là encore, Daniel Dewan reste vrai, en adéquation avec lui-même.

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Cette ambivalence ne le dessert pas et, au contraire, sert à l’équilibre de l’album. Pas convaincu ? Jetez un coup d’oeil aux invités. Quand le BPM s’affole, ils évoluent tous dans le même registre et ont tous un flow très percutant. D’ailleurs, la palme du flow le plus rapide revient au rappeur Scrufizzer, étonnamment Twista-like sur le morceau « Dubstep ». A$AP Rocky n’est pas non plus en reste sur l’hypnotisant « Kush Koma » et chope la seconde place.

A contrario, quand le BPM revient à une vitesse plus convenable pour le commun des mortels, les artistes conviés font le taff à leur manière et sont accompagnés par un tout autre Danny Brown. Tout ça renforce l’idée d’un certain équilibre et d’une certaine complicité : DB fait des morceaux avec qui il veut, comme il veut. On est loin de la logique de certains qui est de faire des feats avec les mecs les plus bankables du moment – ici, pas de 2 Chainz ou Juicy J ou de demander des instrus aux mecs qui servent tout le monde – Young Chop, I see you. Mais si il avait voulu le faire, il l’aurait fait, pas forcément dans une logique de chiffres. Lui, il cherche la vie éternelle, il cherche à être reconnu en tant que rockstar.  Je n’invente rien, c’est ce qu’il dit en clôture, sur le sublime « Float On » en featuring avec la talentueuse Charli XCX : « So I’m breaking day sniffing, Adderall writing /And not for the money, for the life after dying. »

A la question « Danny Brown a t-il pondu l’album de l’année ? » Pour l’instant, je répondrai personnellement que oui, sans sourciller, même si une armée de rappeur venait à me menacer. Un album surprenant à plusieurs égards : chaque fois qu’on passe au morceau suivant on découvre autre chose et au final, c’est vachement cool. On ne tourne pas en rond. Musicalement parlant, c’est varié, parfois (trop) extrême, tellement qu’on esquivera poliment quelques morceaux de peur de retrouver du sang dans nos oreilles. Mais c’est pas de sa faute à Danny Brown, c’est son univers.

Un univers qu’il nous partage en deux phases avec ses « Side A » et « Side B » : d’un côté le old Danny Brown et de l’autre le Danny Brown plus âgé, plus mature, celui qui a multiplié les expériences (chimiques ?) et musicales.

Crédits photos : Oz, Complex

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