Et si… le rap était illégal ?

mardi 24 novembre 2015, par Eymeric Macouillard.
Et si les pseudo-grands penseurs de notre pays avaient fini par avoir raison de notre musique, de notre culture ? Et si, au lendemain d’une cuite à l’Elysée, notre président s’était lancé dans un projet de loi aussi fou que grotesque pour détourner encore une fois l’attention et donner du grain à moudre à l’inspecteur (Disiz) ? Et si le rap était illégal ?

« Vous savez, les rappeurs, quand il y en a ça va, c’est quand il y en a plusieurs que ça dérange ». C’est ainsi que s’esclaffa en off l’un des plus grands politiques de notre pays. Puis, comme dit Dinos Punchlinovic : « ça part de là ». S’en suivit un apéro-saucisson des plus grandioses à l’Elysée. Un verre de rosé de trop, et Manuel Valls voit rouge. Maintenant qu’il a eu Dieudonné, il lui faut une nouvelle chasse aux sorcières. Pour lui, c’est tout trouvé : le rap. Cette « musique d’analphabètes » comme aime tant le rappeler MC Zemmour (ne lui déplaise, avec son goût pour les punchlines, il a tout du MC). Depuis le balcon de la bêtise, penchons-nous alors sur les répercussions provoquées par cette loi hypothétique.

Le quotidien, ce réveil difficile

3h57, le réveil sonne pour Danny, lui qui est un accoutumé au fait de ne se lever habituellement qu’à 5h pour ses études. Sauf que depuis que le rap est devenu illégal, le quotidien de Danny a changé. Pour cause, depuis qu’écouter du rap est équivalent à une peine de prison pour port d’arme, il doit se lever aux aurores pour aller chercher sa dose sans prendre le risque de se faire attraper. Danny, « Dan » de son surnom, rejoint donc son discleur. Ce dernier lui propose un 3G. Danny lui répond qu’il connaît déjà ce son de Booba, qu’il aimerait de la nouveauté.

Mais le discleur n’a pas de nouveauté. Car depuis que la législation est sur les côtes du rap, celui-ci s’essouffle à en avoir des points de côté. Voilà la journée type d’un rappeur devenu discleur, quotidien qui s’apparente à celui d’un grossiste : il se lève et embarque dans sa grosse voiture direction le sud pour récupérer quelques prods bien senties. Il passe ensuite en mode go fast : il installe les kilos de sheets sur lesquels il a écrit ses textes dans sa voiture et remonte direction Paname. Oui, loin de Marseille, car la cité phocéenne quant à elle a vu ses artistes se reconvertir en chanteurs de pop ou de Raï, Soprano & Jul en première ligne. Parenthèse ouverte : il se murmure cependant qu’une activité souterraine a encore lieu. Certains baigneraient dans l’illicite le plus total. M.A.R.S. avait laissé tomber le trafic de kalash pour se spécialiser dans la magouille de bonne doses de rap bien frappées. Le cerveau de cette opération de résistance, selon certaines sources, serait Le Rat Luciano.

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Mais fermons cette parenthèse et revenons-en à Paname, devenue plaque tournante du trafic de rap. Le jeu était risqué, mais il y avait du biff, de la moula, bref du caramel à se faire. De plus, les artistes avaient de quoi bien s’en sortir, eux qui depuis des années se targuaient d’avoir cuisiné le caillou et de l’avoir dealé dans tous les quartiers de France. Mais qui étaient les acteurs de ce terrible trafic que redoutait l’Etat ? Quels étaient les rappeurs impliqués ? Quels sont ceux qui avaient réussi une reconversion ? Danny se posait toutes ces questions. Il avait trouvé des réponses dans le dernier numéro d’« Envoyé Spécial » sur France 2. Pour la première fois depuis la loi, un documentaire sur le rap décryptait les rouages de sa résistance sous-terraine à une heure de grande écoute.

Dommages collatéraux

On apprenait dans cette émission que certains s’étaient reconvertis convenablement : 1995 devenu une chorale pour enfants, Sultan professeur de Fitness à Châtelet, et Rohff, après le lancement de sa marque de téléphone mobile, avait décidé de se lancer dans la production de bracelets électroniques. Certains avaient eu encore plus de chance, voyant le show-bizz leur tendre les bras. C’était notamment le cas de La Fouine qui, après TPMP, avait remplacé Cristina Cordula dans « Une Nouvelle Barbe pour une Nouvelle Vie ». #SKUUUUR. Ou encore Maitre Gims qui, après avoir pendant un temps écumé les clubs Marmara Voyage comme professeur de Zumba, s’était vu gracié par l’Etat pour « service rendu à la nation ». Les radios, au vu du souci qu’elles avaient à remplir leurs antennes depuis l’absence du leader de Sexion d’Assaut, avaient considéré qu’il faisait à présent de la pop et l’avaient réintégré à leurs playlists. Il cartonnait d’ailleurs au moment même avec son nouveau single « Gracié comme Jamais ». Kaaris, quand à lui, avait pu devenir l’agent de sécurité du Ministre de l’Intérieur grâce aux contacts de Therapy. D’autres s’étaient vus carrément adoubés par l’Etat comme agents de l’ordre public. Ce fut le cas de Disiz et Abd Al Malik. Les deux se retrouvaient alors sur tous les plateaux de télé afin de clamer le fait qu’ils avaient au fond toujours détesté le rap, cette musique « violente et sanguinaire » qu’ils rejettaient.

Cette loi avait aussi été l’occasion de rouvrir certains procès, dont Orelsan contre Ni Putes ni Soumises. Le rappeur fut finalement été condamné à 6 mois de prison ferme. Sa carrière et celle de son compère Gringe précipitées dans ce tourbillon médiatique, les deux compères finissaient de croupir dans les plus basses profondeurs de l’anonymat. Aux dernières nouvelles Gringe avait même repris son ancien poste d’ouvreur dans un cinéma dans le nord, situation qu’il décrivait avec beaucoup d’amertume dans son album commun avec Orelsan, qui circulait déjà sous le manteau.

Autre rappeur dans la tourmente : Youssoupha. Son procès qu’il avait gagné contre Zemmour fût lui aussi ré-ouvert. Le lyriciste bantou qui s’était positionné en tant que rappeur érudit dans chacun de ses passages médiatiques fut redescendu au statut d’analphabète sous-cultivé afin de donner raison à Eric Zemmour. Youssoupha avait tout de même la chance d’être encore libre et d’avoir pu reprendre son rôle de jury dans une version cheap de l’émission déjà low-cost Pop Star.

Les rappeurs n’étaient évidemment pas les seuls concernés par la loi. L’état traquait les traîtres, parfois même dans ses rangs. Le député PS Malek Boutih, malgré ses déclarations à l’emporte pièce aux airs de pare-feu, avait été mis en examen sous le coup d’une enquête qui mettait en lumière ses relations troubles avec Skyrock, premier fournisseur de rap avant la loi. Marion Maréchal Le Pen, elle, était sur la sellette pour avoir déclaré des années auparavant son affection pour certains artistes de rap, dont Youssoupha. Elle avait plaidé la folie passagère et s’en était sortie avec un peu de sursis.

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Loin de la France les problèmes étaient tout aussi nombreux. Preuve en est, Seth Gueko, interdit de territoire et déchu de la nationalité française, ne pouvait plus rentrer sous peine de se voir enfermé. On reprochait au plus baroudeur des rappeurs ses titres les plus violents. D’ailleurs, d’autres avaient subi des dommages collatéraux, comme le philosophe comique Jean-Marie Bigard. Sa participation sur l’album Bad Cowboy de Gueko n’avait pas plu aux pontes de l’Etat français. Résultat : le visage de l’humoriste était placardé partout dans la presse avec en gros titre « Bigard, l’ami des rappeurs violents ». Ce dernier essayait donc de faire amende honorable en faisant la tournée des plateaux télés pour s’excuser. Seth Gueko se frottait cependant les mains car depuis cette loi, son bar le « Seth Gueko Bar » était devenu la plaque tournante de show-case des rappeurs évoluant encore dans l’illégalité la plus totale. Quelle chance d’avoir eu l’idée de s’expatrier loin du drapeau Bleu-Blanc-Rouge !

D’autres n’avaient pas eu cette chance du tout. Les plus hardcore dans leur propos comme Médine avaient vu leur cas directement traité par le comique philosophe Alain Finkielkraut, qui, contre toute attente ne s’était toujours pas pas jeté dans le canal et était devenu conseiller de Manuel Valls. Le rappeur du Havre ainsi que tous ses confrères indépendants s’étaient vus déportés. En effet, L’Etat avait instauré que les rappeurs soient regroupés dans des camps afin de les aider à mieux réfléchir sur leurs textes. L’Etat ne plaçait pas grand espoir dans ce projet guantanamesque. Pour lui, le souci du rap tenait non pas à un problème de concentration, mais bel et bien à un déficit intellectuel. Pas pour rien qu’on le qualifiait de « musique d’analphabètes ». Ainsi, les rappeurs étaient placés dans des chambres à Zaz. Le principe était simple : la chanteuse les aidait à tendre vers des paroles bien-pensantes, axées sur l’humanitaire et l’amour de la France. Kery James avait bien tenté de se révolter en disant que c’était déjà ce qu’il faisait. Mais rien à dire… Et si c’était à refaire, sa révolte ne mènerait encore une fois à rien. Le combat était terminé. Le rap était mort, le rap était illégal, il n‘y avait plus de « Dernier MC« .

« Cette LOI, c’est de la grosse frappe » – Donald Trump

Les politiques faisaient depuis trop longtemps l’association « rap-peur ». Cette loi promulguée par un ministre ex-tocard avait porté l’estocade à la musique la plus populaire de France et de Navarre. Et oui, le rap était, avant ça, la musique la plus consommée en France, deuxième marché mondial après les USA. Comment empêcher que cette musique néfaste ne ruisselle donc dans le pays alors qu’elle était consommée à flot ? La réponse était simple : fermer le robinet. En interdisant le flow des rappeurs, cela avait certes asséché une partie de l’économie musicale, mais ça laissait plus de place à des musiques que l’Etat ne juge pas anticonformistes ou antirépublicaines.

A l’étranger, cette loi séduisait de plus en plus, surtout outre-Atlantique. Depuis que Donald Trump avait succédé à Obama, le milliardaire peroxydé se frottait les mains en imaginant adapter cette loi aux USA. Le fait qu’on se soit moqué de lui pour sa danse sur Hotline Bling, entre autres, l’avait profondément dégoûté du milieu des scratches et des cyphers. De plus, des énergumènes comme Young Thug l’intriguaient au plus haut point : il rêvait d’envoyer ce dandy sous psychotropes en Hôpital Psychiatrique. Pour ça, l’actuel Président des Etats-Unis d’Amérique tenait un argument de choix avec l’exemple français, et proposait d’aller même plus loin en instaurant l’obligation pour les activistes rap de porter un brassard distinctif. L’humanité re-vivait ses jours les plus sombres.

En réaction à cela et au projet de loi de leur président maniaco-mégalomane et non mélomane, Becky Inkster, neuroscientifique de l’Université de Cambridge, et Akeem Sule, consultant en psychiatrie de la fondation South Essex Partnership University qui martelait en 2014 que le rap pouvait soignait des maladies mentales, semblaient déconcertés. Ils étaient dépités de voir que la musique qu’ils voyaient comme un traitement en subisse un tel, de traitement, semblable à un patient sous électro-choc. Leurs travaux avaient été mis au placard. Finies les bourses finançant leur recherches, et les patients qu’ils avaient commencé à soigner furent laissés sur le carreau. L’Etat avait sorti un carré d’As de sa manche tentaculaire. Il avait pris un seul cas, le seul de leurs patients qui avait rechuté en se faisant attraper en train de vendre de la drogue tout en écoutant le dernier Lil’ Durk, afin d’enlever toute la légitimité qu’avait leur travail. Certains de leurs patients étaient donc laissés à l’abandon en HP. Les plus chanceux auraient finalement l’occasion d’y rencontrer leur idole Young Thug.

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Au rayon des faits divers, beaucoup d’américains s’étaient emballés quant à cette idée d’interdire le rap, devenue très populaire. Car une fois la loi rendant le rap illégal ratifiée, le mariage Jay-Z Beyoncé devenait lui aussi hors-la-loi, redonnant ainsi à des millions d’hommes leur chance avec celle qui déclenchait toujours les fantasmes et frustrations les plus inavouables. On recensait ainsi un grand nombre d’agressions et de cas d’harcèlements textuels avérés, commis par ces hommes.

Mais revenons à l’Hexagone. 22h45, la journée de Dan ainsi que le reportage d’Envoyé Spécial terminés, les politiques ont l’air déterminés et après ce constat Danny est miné. L’avenir semble bien sombre pour sa musique préférée. Il va donc continuer de changer les titres de ses chansons dans son Ipod, continuer à remplacer le titre de l’album Paradis Assassiné en Paradis Fiscal (dernier Album de Maitre Gims, une ode au super système d’impôts co-écrit par Emmanuel Macron), en espérant ainsi être tranquille dans son RER C. Il continuerait à voir son discleur en douce afin de se procurer sa dose. Il finirait par accepter cette dure réalité, à savoir que le rap était devenu illégal dans le pays qui l’avait vu naître. Cependant, avec sagesse, Danny se souvenait de la célèbre maxime de Spinoza : « Toutes les lois qui peuvent être transgressées sont des lois humaines ». Ça lui faisait penser à cette petite voix qui résonnait dans sa tête, et qui disait « l’humain est une erreur c’est pour ça que l’erreur est humaine ». Dinos avait raison, ça partait de là.

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