Le bruit du monde : Rocé

jeudi 9 avril 2015, par SURL.

SURL offre chaque mois une carte blanche à des artistes, qu’ils soient rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de déchiffrer le bruit du monde extérieur. Pour inaugurer cette rubrique, on ne pouvait espérer meilleur passeur que Rocé. Pour sa faculté à multiplier les pas de côté quant à sa posture de rappeur, on souhaitait partager avec vous son regard. « Pour l’horizon ».

 

« SURL m’a demandé d’écrire un édito à l’occasion de la sortie de sa nouvelle formule. Pourquoi pas. Edito sur le thème du hip-hop, ou peut-être sur la culture en général, j’ai le choix. Comme j’aurais préféré avoir un sujet imposé, avec des marges à dépasser, et bien je n’ai plus qu’à parler des marges justement.

Y en a t-il dans le rap ? Quelle est la ligne que le rap ne dépasse pas ? On y parle de tout je crois. La misère sociale, la réussite, la joie, le malheur, l’amour. On parle de la trahison, des guerres intestines, de la politique. Et le rap est partout. Vu comme ça, on peut dire qu’on a réussi. Ouais, on a réussi à s’imposer partout. Les gamins écoutent un rap nouveau, et les anciens écoutent du vieux rap. Ce n’est pas le même rap mais c’est du rap. Le rap est là et il vit, intemporel, il agace telle la revanche des classes populaires s’accrochant à toutes les oreilles en leur disant : « Je suis la musique des pauvres, d’ailleurs je suis pauvre en musique. Je ne meurs pas, vous m’entendez et vous m’entendrez encore à travers vos enfants. Je suis pire que la dance ou que la techno, parce que j’emploie des mots, des mots qui vous irritent l’oreille et l’esprit de par leur obscénité, leur idiotie juvénile ou de par leur justesse. »

Je me risque à dire que le hip-hop, parmi les Mouvements contemporains, a été celui qui a duré le plus longtemps. Je ne pense pas que l’on puisse encore le définir comme un Mouvement de la même manière qu’il y a 20 ans, mais quoi qu’il en soit c’est encore aujourd’hui une énergie qui a le potentiel d’être contestataire, et qui touche les âmes des rues.

Un jour Les Inrocks se sont demandés « jusqu’à quel âge peut-on rapper ? ». V’là la question… lorsque tu n’as pas posé de marges, on vient t’en imposer une, un âge limite au-delà duquel on ne pourrait plus rapper ? Cette question est plus sournoise qu’elle en a l’air. Pourquoi est-elle posée au sujet du rap et pas d’une autre musique ? Parce que le rap a la prétention d’être de son époque, d’être dans l’engagement du présent, dans la spontanéité, dans l’action. Il serait dommage que les médias, derrière cette question, se demandent en réalité jusque quel âge on se sent concerné, engagé. A quel âge se résignera t-on enfin, comme tout le monde.

Du coup ça amène une autre question : n’y aurait-il pas dans la culture en France un mépris pour l’engagement et l’action ? La « hype » que beaucoup de médias apprécient, ne se trouve t-elle pas dans la résignation dans laquelle ils se reconnaissent ? N’est-ce pas justement cette résignation propre et faussement rebelle qui résume la « hype » ?

Être en marge, c’est résister à la lumière de la page. C’est renoncer à la reconnaissance facile et rapide que la page t’offre. La marge est dans l’ombre de la page, elle est moins grande mais plus profonde. Elle garde en elle les fautes de conjugaison, les argots provinciaux et les multiples accents auxquels s’identifient de nombreux quartiers. Elle englobe les mots qui sont de la sonorité, mais aussi les mots qui sont de l’action. Elle englobe l’espoir. »

— Rocé

 

Crédit photo : Tcho

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