Le bruit du monde : Vîrus

mardi 2 juin 2015, par SURL.

SURL offre chaque mois une carte blanche à des artistes, qu’ils soient rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de déchiffrer le bruit du monde extérieur. Ce mois ci, on a invité Vîrus à s’interroger sur son rapport à l’éducation et l’enseignement. Classiques littéraires Vs la vraie vie, de quoi en perdre son latin. Comme un air de conseil de classe saupoudré de vengeance.

« Vos classiques on y viendra p’t’être même pas, en galérant comme un banc où personne s’assoit…

J’étais pas le seul à tirer la tronche à la seule évocation de DEVOIR lire un livre. L’obligation déjà. Puis l’image d’une couverture dénuée d’intrigue, de charme pour commencer ; la musique et le cinéma ont de meilleurs graphistes. Puis l’impression qu’une lecture ne peut s’entamer qu’en éternuant. Quitte à perdre en chaleur, parfois, on préfère laisser sa poussière au volcan. Le sentiment que pour comprendre ou être digne de foi, il fallait des lunettes. Pas forcément des lunettes sur le pif. Nan. Des lunettes sociales, culturelles, familiales ; peu importe, tant qu’elles te permettent de décrypter ce qui s’avérera ne pas être un jeu. Moi j’ai hâte de grandir et de pouvoir bédave. Comment une seule œuvre peut rencontrer l’unanimité sans uniformiser ? Il y a des ages ou des passages où on est, se veut ou pense différents. Le temps répondra. Avec le choix, je me dirigerais vers des gros caractères et des dessins. Veille de rentrée scolaire, on ira tagguer le nom du dirlo affublé d’un magnifique « fils de pute » dans le hall du bahut. Gros caractères et dessins. Devaient y avoir une bite ou deux qui traînaient en guise d’ornements, celles avec les boules et les poils épineux. J’ai essayé de me plonger dans vos pages : un, je me suis noyé ; deux, j’ai pioncé. Malgré la faux tranchante des valeurs ouvrières planant au dessus de ma tête, notamment celle du travail accompli, mon intérêt s’est vite usé comme l’intérieur des Reebok Classic au niveau du talon. Vos paysages sur un nombre de pages que je comptais, jusqu’à espérer tomber sur un dialogue, devenaient dégueulasses. J’aurais préféré des arbres. Tant pis. Je trouverai suspense et palpitant romanesque à l’intérieur des magazines Union. L’éducation sexuelle n’étant pas au programme en plus, l’autodidacture est en marche. De cette façon, on se dessine une identité, un caractère. Même plusieurs. On frôle l’artistique. Dès lors qu’on s’écarte d’une convention. Enfin, c’est mon sentiment. Ma première acquisition de papier se fera au collège. « L’offensive Rap ». Emprunt définitif. Je me sens enfin concerné. Dedans, c’est écrit en assez gros et y’a plein de dessins. On devrait encourager les jeunes qui volent des livres au CDI. Mon accès à la culture ne se fera donc pas par l’école mais par le vol. Mais à l’école. Puis chez le libraire. Puis chez Leclerc. Puis à la FNAC… Enfin, en tout lieu où je trouvais le support pédagogue. J’étais pas le seul à pas trop mal me démerder pourtant, notamment en cours de Français, j’ai même des potes qui disaient que j’étais « une tête ». Mais quelle ne fût pas ma joie de me retrouver en BEP après une orientation en générale. Il a fallu trimer, se faire blâmer puis enfin virer pour rejoindre « les miens ». Tout en gardant à l’esprit que j’étais en train de foutre en l’air un bout d’vie, enfin d’après l’opinion, et que finalement les miens bah… voilà quoi. Toujours est-il qu’en Pro, y’avait plus aucun livre. Juste des notices. Le livre pouvait reprendre un de ses rôles initiaux de combustible. Ou de cale-meubles. Au choix. Vos classiques ont donné des noms aux institutions, écoles, bibliothèques, médiathèques, centres culturels et autres salles de spectacle qui, elles, ne nous ont conviés qu’en primaire pour une représentation de fin d’année où les parents jubilaient devant la prestation merdique de leurs marmots. Ils ont, heureusement, aussi nommé des rues. Là l’invitation se fait quotidienne. J’aurais aimé qu’ils rebaptisent aussi les bancs plutôt que des puceaux viennent y graver leurs prénoms. J’aurais surtout aimé que ces noms soient renouvelables. Non pas pour négliger une quelconque mémoire. De ceux qui nous servent quand même d’adresse. Mais pour que la nostalgie ne nous touche pas si jeunes. Pour qu’on s’imagine qu’une place existe. Qu’une histoire reste à écrire. Que des édifices restent à bâtir mais à habiter surtout. L’exclusion mène à la rue et s’y confirme. Suffit de lire les panneaux. »

– Vîrus

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