Turtle Caps, de New York à Montréal

vendredi 13 juin 2014, par Marine Cagniet.

Quand on a grandi dans le Queens des années 90, les probabilités de finir graffeur se multiplient. A l’époque, New York produit ce que le graff propose de mieux, un Eldorado pour artistes en herbe. C’est à la galerie Fresh Paint à Montréal que j’ai rencontré Keith, connu principalement sous le nom de Turtle Caps, forcément originaire du célèbre quartier new-yorkais. Il réalise une installation en collaboration avec son ami Futur Lasor Now. On s’est assis entre deux pots de peinture afin qu’il me raconte son parcours de son enfance dans le Queens à son arrivée à Montréal.

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Pour certains, ce sont leurs connaissances en art classique qui les poussent à s’intéresser au graffiti, pour Keith c’est tout le contraire. En 1991, il réalise son premier tag, rien de bien fou. Heureusement pour lui, à l’époque New York abrite les meilleurs graffeurs, qui prennent sous leurs ailes le jeune débutant. Trois ans plus tard, le graffiti devient une affaire sérieuse. Il se lance dans la création de graffitis colorés.

 

« A l’époque on faisait ça pour l’amour de l’art, il n’y avait pas d’argent. Tout le monde detestait le graffiti »

 

Conscient qu’il ne vivra pas du graff, il part en fac de lettres et va bosser dans la publication une fois sa licence d’anglais en poche, tout en continuant de graffer les week-ends. Tout change cependant quand un de ses amis graffeurs se fait arrêter en 1995. L’ami en question doit alors effectuer ses travaux d’intérêts généraux avec un ancien agent du FBI, gérant d’un programme de nettoyage de graffiti, sur un bloc dans le Queens. Finalement une amitié va se lier avec le flic, et Keith et ses amis vont lui montrer l’aspect artistique du graff. Grace à l’agent du FBI, sans blague, ils obtiennent une autorisation pour peindre légalement sur ce grand mur, qui sera plus tard connu sous le nom de 5pointz.

 

« C’était une super opportunité pour nous, on avait un mur sur Davis Street, en plein centre ville, le train 7 passait juste devant, nous donnant alors de la visibilité ».

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Impressionné par le talent et la responsabilité du groupe d’amis, le flic leur donne le contrôle total de l’espace. Pourtant en 1996, c’était loin d’être le 5pointz de nos souvenirs. Malgré la visibilité qu’offrait le spot, les graffeurs ne voulaient pas se joindre au projet, trop souvent confondu avec le flic. Keith et ses amis ont alors profité du mur pour eux seuls pendant encore deux années, jusqu’à ce que SP.One accepte de peindre sur le toit. « SP.One était énorme à l’époque, il nous a donné de la crédibilité. Les gens voyaient enfin le projet comme nous le voyons : Une opportunité de peindre sans problème judiciaire et avec beaucoup de visibilité ».

L’espace devient alors de plus en plus populaire dans la communauté internationale du graffiti. Pourtant, le groupe d’artistes ne perd pas de vue ses principes. Le but consistait à améliorer le mur sans arrêt : pour pouvoir peindre il fallait déjà avoir un certain niveau, les murs n’étaient pas dédiés au débutant.

 

« En maintenant un certain niveau, on voulait offrir un espace safe pour les artistes internationaux. Tu fais pas le trajet depuis l’Allemagne pour risquer ton visa en faisant du graffiti. Notre mur était un moyen pour les grands artistes étrangers de se faire de la visibilité à New York »

 

Keith et ses amis continueront le projet pendant 6 ans, jusqu’à ce qu’ils s’en lassent et passent le flambeau à Meres, celui qui transformera le 5Pointz des années 2000 en celui que nous connaissions tous. Le mur a alors pris une nouvelle direction, tout comme la carrière de Keith. A la fin des années 2009, celui pour qui l’art restait une passion sans véritablement constituer un métier, se rend compte que ses amis parviennent à vivre de leur art. Après avoir refusé plusieurs expositions, il décide de se donner une chance. Il quitte son job, et s’enferme pendant un an chez lui afin de retrouver son level et se met à produire massivement. Six mois plus tard, il participe à sa première exposition collective à Manhattan et vendra ses premières œuvres, ce qui le motive à produire d’avantage. Assiste à la naissance de Turtle Caps.

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Flasback jusqu’en 2011, plus précisément fin octobre. C’est Halloween et comme tous les soirs depuis plusieurs mois, Keith bosse chez lui sur ses dessins. « J’ai travaillé pendant 12 ans dans un magasin de jouets, ce qui a fortement influencé mes dessins. Je dessinais des trucs de Stars Wars, Transformers…. Puis à Halloween, j’ai commencé à faire une tortue, pour le délire je lui ai mis des pieds de Mickey Mouse, et je lui ai ajouté une clef pour qu’elle avance partout comme les jeux automatiques ». Quelques jours plus tard, un ami voit le dessin de cette tortue et souhaite lui acheter. « J’ai réalisé que quelqu’un voulait acheter ce qui au départ n’était qu’une blague pour moi ». C’était l’époque où les gars du graffiti et du street-art commencaient à traîner ensemble. Keith réalise des collages de sa tortue dans les rues de New York. Les gens commencent à reconnaître la petite tortue qui se balade de Manhattan au Queens, l’engouement du public pousse l’artiste à prendre ce projet au sérieux. Il s’amuse à donner plusieurs aspects à son personnage, loup, cône de glace, Chewbacca, … En une semaine, il reçoit deux commandes : le début d’une nouvelle aventure pour l’artiste.

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« A New York, j’avais trop de distraction pour vraiment me concentrer sur mon art, j’avais l’impression que je ne progresserai pas en restant là-bas. J’ai vendu mon appartement et je suis parti à Montréal. Turtle caps est vraiment né ici, à l’hiver 2012. Je me suis vraiment passionné pour mes tortues en arrivant ici ». A son arrivée chez nos cousins québécois, beyond the wall, l’artiste ne connaît personne et se plonge direct dans le travail. Il commence alors à poser des collages et stickers un peu partout dans la ville. La liberté artistique de la ville adoublée des 4 mois de neige, le pousse à produire plus que jamais.

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Sa relation avec la scène graffiti se passe tout autrement. Les jeunes graffeurs Montréalais recoivent assez mal ce « nouvel artiste urbain » qui joue sur leurs murs. Son passé le rattrape et le sauve aussi « Il suffit que les gens apprennent que tu fais du graff depuis les 90’s pour etre respecté ». Il commence alors à se lier avec plusieurs artistes graffeurs et urbains Montréalais, tous se rapprochent doucement du street-art. Avec une affinité spéciale pour le collage, l’artiste réalise plusieurs collaborations avec des artistes basés à Montréal comme Futur Lasor Now ou Miss Me. « Si t’es cool avec moi, je suis cool avec toi, j’aime traîner et travailler avec des gens différents ».

 

« J’ai eu un impact positif sur la ville, les gens viennent me voir et me disent que mon dessin leur apporte le sourire. Les gens se soucient de mon travail, et rien que ça suffit à me motiver »

 

 

Bien qu’il soit aujourd’hui plus proche du street-art que du graffiti, sa jeunesse en tant que graffeur à New York influe encore énormément l’artiste et son rapport à la commercialisation. « J’ai de plus en plus de commande pour la Turtle, mais en même temps je ne veux pas me vendre, j’essaie de rester vrai. Peut-être que je vais te vendre quelque chose un jour, puis poser un truc illégalement sur ton mur le lendemain ». Une dualité assumée : l’artiste partage encore sa vie entre New York et Montréal, alors que dans l’une tu peux te faire arrêter pour avoir posé un stickers, tandis que l’autre te laisse nettement plus tranquille. « A Montréal, le flic te regarde mais il ne dit rien. Je garde quand même ma mentalité du graffeur qui se méfie tout le temps, en plus ici, je suis un étranger, je ne veux pas perdre mon visa, alors j’essaie de limiter mes activités illégales nocturnes. Si je me fais prendre je peux être déporté pour 3 ans ! C’est moins risqué de poster des collages ou des stickers. »

Son exposition collective avec Futur Lasor Now est visible à la galerie Fresh Paint à Montréal jusqu’à la fin du mois de juin. Fonce.

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