‘When This Is Over’ de Shad a 10 ans : retour sur un classique

mardi 30 juin 2015, par Alpha Saliou. .

Flashback. Au moment où ton petit frère ou ta petite sœur passait son baccalauréat et planchait sur Le Tigre Bleu de l’Euphrate, nos oreilles préféraient se tourner vers l’outre-Atlantique pour se replonger dans l’œuvre d’un autre bachelier. Un Canadien même, Shad, qui a marqué le rap jeu en 2005 avec un album plutôt exceptionnel dans son genre. Autopsie de When This Is Over, trésor oublié.

Été 2005. La canicule frappe le Canada, au moment où Shadrach Kabango, jeune rappeur né au Kenya de parents rwandais, gagne un tremplin organisé par la radio CKBT-FM. C’est avec les 17 500 $ raflés à ce concours que celui officiant derrière le micro sous le nom de Shad enregistre son premier album, When This Is Over, l’année de son bac. « Un véritable challenge ! En parallèle de l’école, je n’avais aucune expérience en matière d’enregistrement, c’était beaucoup de travail. Gros big up à Digs qui a produit la moitié de l’album et qui a veillé sur moi. Sortir ce projet a sollicité beaucoup d’énergie »,  nous confie Shad. On a décidé de revenir sur cet album mythique à l’occasion de son dixième anniversaire, et l’artiste nous fait le plaisir d’accompagner notre démarche.

Profond, drôle, introspectif, intelligent. Aussi riche textuellement que musicalement, cet album, toujours d’actualité, a propulsé Shad sur le devant de la scène hip-hop canadienne alors occupée par les figures de proue telles que K-Os. Loin des préoccupations que l’on attendrait d’un rap adulescent, Shad appose à son disque l’intimité et les nuances nécessaires qui donnent à l’auditeur l’impression de partager un journal intime. Pas le genre de journal qui relaterait des journées entre potes à boire du Fanta sur un parking avec des bulles en guise de points sur les « I », non. Shad, lui, te parle de ses incertitudes en tant que rappeur, et te balance des punchlines drôlissimes : « Je suis le plus gros truc sorti du canada depuis le double bonnet D de Pamela. » La tentation de le classer dans une case « fun » serait grande si When This Is Over n’était pas surtout un regard frais et lucide sur les clichés du monde rap, avec des titres tournant en dérision la thug life. À l’image de cette phase tirée de « I Get Down » :  » (…) Never had to spray slugs so I dont play thug or try to fit with the killers like O.J.’s glove. » Les pantalonnades du rap jeu ne sont pas les seules à etre pointées du doigt. Shad se questionne également sur les rapports entre les deux sexes dans « Out Of Love » : « Still them girls with extensions in their hair and pretentious inner wear / That leaves me all defenseless in their stares / But they don’t care for my attention which is senseless / Cause I swear that there’s no need to mention good intentioned men are scarce. » Parmi les autres morceaux notables du projet, la collaboration avec sa mère, Bernadette Kabango, qui narre son vécu de survivante du génocide rwandais dans « I’ll Never Understand ». Ou encore le poignant « A Story No One Told », impeccable exercice de storytelling mettant en scène un vieil homme réveillé par ses souvenirs d’enfance alors qu’il se trouve sur son lit de mort.

La prestation de Shad sur When This is Over, au moment de sa sortie, fut comparée à ses contemporains du moment, Common et Kanye West. Il est vrai qu’on trouve en écho chez Shad l’humour palpable de Yeezus époque Late Registration. Même type de remises en question et prises de conscience « éclairées » avec un morceau évoquant de part et d’autre la dureté de la situation africaine.

L’alternance entre la densité et la légèreté, une prose qui fait voyager, bouger et penser, voila la principale force de When This is Over. Avec un tel niveau de maturité, de réflexion et d’aboutissement dès le premier essai, Shad continue d’occuper les coeurs et les playlists.« Je le vois toujours comme le moment où le rêve devint réalité. Avant cela, je me questionnais sur la nécessité ou pas de mettre autant de temps et d’énergie dans la musique. Donc lorsque j’ai eu la chance de faire un album, ce fut magique. Ça a conforté mon idée que tu peux réaliser quelque chose de très personnel et d’en faire quelque chose de louable. Ce projet m’a donné une grosse impulsion par la suite », explique l’artiste quand on lui demande ce qu’il retient de ce premier opus.

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La suite de son parcours discographique, c’est trois autres albums :  The Old Prince (2007), TSOL (2010) et Flying Colors (2013) qui ont par la suite enchaîné prix et nominations dont un Juno Award for Rap Recording of the Year, battant Drake et son Thank Me Later également nominé à ce prix. Alors que Drizzy convole à présent en noce avec le succès et la gloire, sur le plan professionel, Shad occupe quand à lui depuis mars un poste d’animateur sur CBC Radio One.

En résumé, dix ans plus tard, When This Is Over fait toujours son petit effet. Cette galette, considérée à juste titre comme un classique oublié du rap, entièrement faite maison, se démarque par la versatilité de son artisan. Shad se ballade entre les disciplines et les tonalités, tel un William Blake des temps modernes. Tantôt lyriciste affuté, tantôt guitariste, Shad verse toujours dans l’expression brute de ses aspirations quotidiennes. Il dépeint dans ce premier album un vaste panel d’images et d’émotions, véhiculé par une vision, une plume et une technique irréprochables.

Alors la prochaine fois que tu tomberas sur des lycéens voulant se lancer dans le rap, ne saute pas dans le train des conclusions hâtives ! Qui sait, parmi eux se cache peut être la perle rare qui nous pondra un classique.

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