Casey et Virginie Despentes, la rencontre (2ème partie)

jeudi 30 juillet 2015, par Olivier Cheravola. .

Beaucoup de choses ont été dites sur la rappeuse Casey et Virginie Despentes, l’écrivaine. Complexes, provocatrices, engagées, viscérales, il n’y a qu’une chose qu’on peut affirmer sans avoir peur de se tromper : les deux sont à l’image de leur plume. Deux femmes ancrées dans leur temps, mais nées trop tard ou trop tôt pour accepter de vivre conventionnellement. On a souhaité provoquer leur rencontre, parce que leurs œuvres racontent comme peu l’état de notre monde, et parce que dans leurs textes rôdent la mort, la violence, la politique et l’amour. La vie, en somme.

Lundi 29 juin, 17h30. Devant le Cannibale Café, Virginie Despentes, clope à la main, semble soulagée. « Ça faisait deux heures que j’attendais pour fumer », lance t-elle en riant. Durant les deux heures trente d’entretien, elle aura joué nerveusement avec sa cigarette, sans demander de pause, comme pour vivre en entier ce moment passé avec Casey.

Elles ne s’étaient jamais rencontré mais manifestaient un ADN commun qui matche d’emblée sur les premiers sujets évoqués. Quand à mi parcours, les deux artistes s’interpellent sur leur processus créatif, on comprend que la conversation prend les chemins inattendus du réel. Et on ne se lasse pas de les voir encore ébouriffer quelques idées reçues sur la maternité, l’écriture et la dépression de Léonard Cohen. Après une riche première partie, suite et fin d’un dialogue fleuve.

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SURL : Virginie, dans King Kong Theory, tu disais que tu voulais parler de féminisme à des filles de 13 ans pour leur donner des clés de compréhension. Vous pensez qu’il faut aussi en donner aux garçons ? 

Casey : C’est une vraie question. Parce que déjà c’est des meufs qui les font, les gars. Elles peuvent être les premières à les mettre dans des délires. Je vois certaines femmes dans ma famille, je leur dis : « Tu fabriques le connard qui va faire la misère à quelqu’un d’autre plus tard. »  Je connais des filles qui ont eu un fils, elles sont amoureuses de lui ! Et quand il a un petit côté macho, elles sont presque contentes. Ça concerne les hommes et les femmes, c’est sûr. Il va falloir que les mères arrêtent d’être amoureuses de leur fils.

VD : T’as raison sur les mères qui doivent éduquer leur fils. Le petit garçon à la maison va devenir le mec dehors.

Casey : C’est un délire mystique la maternité, y’a un truc chimique qui se passe ou j’sais pas quoi (rires). En tout cas, faudrait déjà que ça, ça évolue pour le féminisme.

VD : En tout cas je remarque que les hommes jeunes se posent des questions qu’ils ne se posaient pas y a dix piges. Sur ce qu’ils font, sur leur masculinité, sur le féminisme. Je n’avais jamais vu ça auparavant. Les mecs étaient très sympa il y a quinze ans, mais franchement le féminisme, c’était nos histoires, comme les règles. À partir du moment où t’es un homme et que tu comprends que t’es pas le sujet universel, c’est signe que ça évolue.

Casey : C’est pour ça que si t’es antiraciste tu peux pas être macho, parce que c’est le même rapport de pouvoir. C’est encore une histoire de « qui a le pouvoir, qui ne l’a pas ». C’est des privilèges tout ça : tu nais, tu fais rien, tu as juste les bons chromosomes et on te file des trucs. En même temps je comprends qu’il veuillent pas lâcher (rires). C’est comme la France qui est le seul pays à avoir aboli deux fois l’esclavage. « Vous êtes surs ? On va devoir aller taffer et arrêter d’avoir des gens qui le font pour nous ? » (rires) Le féminisme pouvait naître que des meufs. C’est celui qui n’a rien qui l’ouvre. La question c’est ça : est-ce qu’il y a des hommes qui vont accepter de partager le pouvoir ? Heureusement oui, il y en a qui acceptent de déposer leurs privilèges. Il y en a qui trouvent ça abject que la grande roulette de la naissance te donne cette chance ou pas. Tu n’es pas obligé d’être con. En France on adore culpabiliser, mais ta culpabilité on s’en cogne. Viens on partage, simplement.

Virginie, dans ton dernier livre tu es presque tendre avec les hommes, par rapport à d’autres romans que tu as écrit. Ça vient du fait que les choses changent ?

VD : Non, parce que j’avais pas constaté ça quand j’ai commencé le livre. Dans ce bouquin, je suis tendre avec des hommes qui sont dans des délires qui ne sont pas du tout les miens, parce que c’est un livre ou j’essaie de comprendre d’autres vies que la mienne.

Casey : Pour des gars, des fois je me dis ca doit être dur si t’aimes pas le foot, la bière, les grosses voitures et que t’aimes la poésie et que t’es hétéro. J’en connais qui ont des vraies fragilités, qui sont dans des milieux machos mais eux ne le sont pas. Tu peux aussi avoir de la tendresse pour ces hommes là. Avec toutes ces injonctions qui dictent ce que doit être un homme, ce que doit être une femme. C’est quoi un homme beau ? La vérité, c’est qu’on sait pas ce qu’est un gars, une meuf, on sait juste ce à quoi sert ce qu’on a entre les jambes, à reproduire l’espèce, sinon on sait rien. On est nuls sur le sujet.

 

« En France on adore culpabiliser, mais ta culpabilité on s’en cogne »

 

Virginie tu dis : “Le punk rock ça devait rester un sport d’homme.“ Et toi Casey, dans l’un de tes premiers morceaux, tu rappais : “Les mecs, va falloir suivre ma plume attentivement, capter la compétence de ma rime”, comme si tu t’adressais à un milieu de mecs aussi. À quel moment on réussit à s’affranchir de ça ?

 VD : Dans le punk rock ou dans la funk, ce qui m’a plu, que les chanteurs ou musiciens ne s’habillent pas forcément comme des mecs, par exemple. Prince, Bootsy Collins, ils n’arrivaient pas sur scène de la façon la plus virile qui soit. Il y’avait cette ambiguïté, mais classe, qui fait rêver les mecs et les filles. Ce qui m’intéresse à un moment donné c’est pourquoi tout le monde revient dans sa case.

Casey : L’anomalie, c’est ça le punk. Dans tous les mouvements, on finit par reproduire une norme. La meuf qui arrive dans un milieu d’hommes comme le punk, c’est elle la vraie anomalie. Peut-être que les gars se replient sur des fondamentaux, pour se rassurer ? Comme si la perte du pouvoir en tant que gars, ça effrayait.

C’est quelque chose que t’as éprouvé même dans le milieu rock Casey, quand t’as pu tourner avec Zone Libre ? Ou toi quand tu as habité à Lyon Virginie?

Casey : Tu sais dans le rock, l’anomalie c’était pas seulement d’être une fille, mais c’était aussi d’être renoi et rappeuse. Avec Zone Libre on aurait dit limite que Serge [Serge Teyssot-Gay, guitariste, ndlr] ramenait un centre de réhabilitation. J’ai vu beaucoup de condescendance. « Serge et ses amis rappeurs. » (rires) Genre qu’est ce que tu fous là toi ? Mais t’es marrant, c’est Chuck Berry qui a inventé le rock ‘n’roll ! Le rock, c’est la culture en place en France, et c’est un milieu de blancs et de mecs. C’est consanguin. En fin de compte, l’ouverture d’esprit était de notre côté.

VD : Au début des années 90 je trainais dans le seul bar hip-hop de Lyon, le Cool K. Il y avait que des mecs du rap et moi, venant du rock, et on s’est mis à faire du rap ensemble. On répétait dans ce bar. La sensation d’être une meuf était vachement plus légère que dans les milieux rock. Evidemment, tu te prenais toujours deux trois vannes, mais on avait la sensation que c’était plus ouvert. Et c’était contraire à l’idée qu’on avait de nous mêmes, on se croyait au sommet puis tout d’un coup on se retrouvait dans un endroit plus ouvert et mixte.

Dans le monde de la littérature, c’est quelque chose que t’as pu voir aussi ?

VD : La littérature, c’est encore autre chose. Là c’est blanc, blanc, blanc. C’est assumé d’une autre façon, c’est autre chose. Je suis fille de postier, je ne suis pas la seule à venir d’un milieu prolétaire, mais on est peu nombreux. C’est des blancs mais d’une catégorie très particulière.

Casey : Tu n’as pas les codes ?

VD : Oui, mais je pense que dans les milieux très riches, du genre Saint-Germain-des-Prés? tout est fait pour que tu ne soies pas à l’aise.

Casey : Il y a des milieux où tu n’iras jamais, c’est vrai.

À quel moment évoluer en marge devient un choix alors ?

Casey : Quand tout est assumé. Par exemple je suis noire, c’est une réalité mais j’aime aussi défendre ça. Virginie, elle est féministe, pas seulement parce qu’elle est une femme mais aussi parce qu’elle le veut. Ça pose la question de qui tu choisis d’être, ce que tu portes…

VD : Moi je ne me sens pas dans la marge depuis longtemps. J’ai grandi dans la marge, j’assumais, ça me plaisait. Ensuite? quand ça s’est écroulé j’ai compris que c’était fragile. J’suis allé voir ailleurs, un peu partout. Quand on a fait Baise Moi, je traînais avec les gens du X, c’était vraiment une marge, ça m’a plu aussi. Et puis je suis encore allé voir ailleurs. Je ne me sens pas, comment dire… C’est comme les trucs lesbiens, ça m’a vachement habité, mais je me sens trop vieille pour me fixer, même à une marge.

Tu parles de vieillesse, c’est quoi pour vous l’avenir d’une rappeuse ou d’une écrivaine en France ?

Casey : Je ne me projette pas. Je me dis, déjà, faire les choses c’est bien. C’est tout ce qui m’intéresse. J’ai pas cette espèce d’angoisse du temps. Dans la musique, il y a un certain jeunisme.

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Pourtant c’est un thème qui revient beaucoup dans ton œuvre, en solo ou avec Asocial Club.

Casey : Parce qu’à un moment avec l’âge, tu bouges sur plein de choses.

Quand tu écris : “Et pourtant j’ai tout fait pour que passent mes traumatismes / Et il y a peu de chances que ça se tasse avec la vieillesse“, ou encore “j’ai cru en une liaison / Mes désirs sont usés”, et que de ton coté, dans tes romans Virginie, tu parles souvent de désamour, des sentiments qui ne durent pas, c’est une façon de dire que le temps bousille tout ?

Casey : Bah de toute façon on va tous y passer. On espère avec le moins de souffrance. En Occident le rapport au temps est vachement anxiogène. Alors qu’il y a des endroits où vieillir c’est bien, c’est à ce moment là qu’on t’accorde du crédit, qu’on t’écoute. Le temps me fait pas plus flipper que ça, je me dis juste qu’accomplir des choses, c’est important.

VD : Je pense qu’en écrivant le tome 1 de Vernon Subutex, j’ai éludé la question pour un moment. Pour être sincère, passé 45 ans, je me suis dit : « Ouais, c’est bizarre. Les gens ont fait des enfants qui commencent à être vieux. » À un moment j’avais envie de parler de ça même si ça va pas être mon sujet toute ma vie.

Casey : C’est avec le temps que tu changes aussi. C’est avec ce recul que t’arrives à percevoir ton histoire. C’est le temps qui te permet de te réinventer aussi, t’es content d’en avoir devant toi des fois. Pouvoir se dire : « Il y a du temps là. »

Quand on est jeunes on croit qu’on cicatrise, alors qu’on doit s’amputer pour survivre”, écrit Virginie. Casey, tu parles aussi de cicatrices, avec Asocial Club : “Ma tête est une prison, je ne sais pas cicatriser.” Comment on fait pour cohabiter avec ses fantômes et ses blessures ? Le temps et la vieillesse aident ?

VD : Ça dépend des gens, je crois. Moi oui, ça m’aide.

Casey : Moi aussi, avec l’âge les choses sont moins à vif.

VD : J’ai lu une citation de Leonard Cohen qui dit qu’autour de la cinquantaine, l’hormone de la dépression décroit. Ça me semble assez juste.

 Comme si une forme de légèreté s’installait avec le temps ?

VD : Je crois surtout que tu te fatigues tout seul aussi. (rires)

Casey : Ouais et puis tu as fait le tour de deux, trois questions, t’es apaisée. Avancer dans l’âge, ça me détend.

 

« À chaque fois, je me dis que je n’y arriverai pas »

 

Il y a un certain espoir qui peut naître de la noirceur alors ?

Casey : Oh moi la noirceur pour la noirceur… Autant écouter du métal, les gars ils égorgent des poulets (rires) ! Disons que moi ce que j’aime c’est le combat, pas le fatalisme plat. Regarde le blues, il y a un truc qui chouine mais il y a cette notion de combat.

VD : Disons que tu sais que le pire peut arriver mais qu’on on est pas l’abri des surprises.

Casey : Ça serait tellement plus simple que la vie ne soit que merdique. Je ne serais pas en train de chialer. Si c’est aussi noir, c’est qu’il y a aussi de la déception.

Ce coté espoir déçu se ressent beaucoup dans tes textes…

Casey : Bien sûr. C’est un truc de petite baltringue vulnérable ça (rires). Il y’a des gens qui sont plus sensibles que d’autres. Moi il m’arrive des trucs, je ne m’en remets pas pendant longtemps.

Vous partagez la même exigence quand aux rapports humains auxquels vous aspirez.

Casey : Je pense que c’est une quête d’absolu.

VD : Absolu peut-être pas, mais peut être une quête d’intensité.

Virginie, aux Quais du Polar à Lyon, tu disais que rater un cycle d’écriture, c’est comme rater un cycle de sommeil. C’est presque organique pour vous ?

Casey : Moi oui, parce que je fais tout à la dernière minute, dans l’urgence. Je cale mes séances de studio en avance, et trois semaines avant je me dis : « Putain, j’ai rien, c’est chaud. » (rires) Pendant longtemps j’ai cru que j’étais une merde qui en foutait pas une, mais en fait, la tête c’est le disque dur. Il se passe des trucs, ça bouillonne.

VD : Faut une énergie bien particulière pour écrire un roman. Le premier, je l’ai fait en trois semaines, après il a fallu que j’apprenne à écrire autrement. Ça nourrit une angoisse quand même. L’angoisse de ne pas le faire. Moi je n’ai pas de studio, alors si ça vient pas… À chaque fois je me dis que je n’y arriverai pas. Même là je dois écrire le tome 3, je me dis que je n’y arriverai pas. J’apprends à le faire avec le moins d’angoisse possible.

Casey : Faut que ça soit un drame. (rires) Il y’a des gens qui ont des facilités d’écriture, moi je n’écris pas facilement mais vite. Je me fous dans une boîte, une situation inextricable. Je vois des potes rappeurs qui me disent : « J’ai fait un morceau aujourd’hui. » Le mec te dit ça serein, apaisé, comme s’il avait fait un tennis. Moi il faut que ça soit un bordel, qu’il se soit passé un truc. (rires)

Vous avez peur de décevoir ?

VD : À fond. Je ne comprends jamais ce que les gens trouvent à mon écriture. Quand t’es chez toi, que t’écris Baise Moi, que t’es contente et que tu le fais lire à tes potes tout va bien. Mais quand ça devient un métier, ça met une pression. Je ne sais pas ce qui se passe entre le texte et les gens qui le lisent. Alors du coup, à chaque fois je continue en me disant « essaie quand même, ça va peut être marcher ». (rires) Je sais pas comment tu le vois toi ?

Casey : C’est sur que quand tu écris, tu parles de toi pour aller vers l’autre sans savoir comment ç’est reçu. Tu n’as pas de pouvoir là-dessus. Quand les gens apprécient, dans le fond ils pensent te connaître, quand t’es amenée à les croiser ça peut être spécial comme interaction. Je sais pas quoi faire de ça… Je ne sais pas quoi faire des gens qui aiment bien ce que je fais. Ça fait plaisir, bien sûr, mais la façon qu’ils ont d’interpréter ce que tu fais leur appartient, tu ne fais pas partie de cette équation.

VD : C’est vrai. Je vois comment je réagis avec tes morceaux, ça déclenche des trucs vraiment intenses, mais comme tu dis, quelque part ça ne te regarde pas. Et puis quand t’es en train de faire un disque ou un livre, il n’ y’a pas de magie. Ou du moins elle t’échappe. Toi tu fais ta cuisine. C’est le premier truc que j’ai entendu de Kaaris : « J’suis dans la cuisine, tu bouffes ce que je te prépare. » Ça m’avait fait réfléchir. Quand tu fais ton truc, c’est ça, t’es dans la cuisine. Et il y’a pas de magie dans la cuisine.

Casey : C’est pour ça, je te dis, l’attente des gens je ne comprends pas vraiment. Je ne me sens pas concernée.

VD : Mais ça te met aucune pression ?

Casey : Non, parce que j’ai déjà des problèmes avec moi même. (rires) J’essaie juste de me gérer moi, parce qu’avec les autres je ne sais pas quoi faire de ça. Quand on me dit « ouais mais le public attend », comme s’ils étaient là, à attendre l’album sous la pluie… Ouais, ben qu’ils attendent quoi, j’ai déjà mes problèmes à gérer. (rires)

 

« On a confisqué aux gens des quartiers le droit de faire autre chose que du rap »

 

Dans un morceau, Vîrus parle du mariage pour tous et dit : “Le jour où il est question de Solitude pour Tous, je milite.” Puisqu’on va tous finir seul, est-ce que ça vaut vraiment le coup de se battre pour finir avec quelqu’un ?

Casey : (rires) Ben oui ! Il faut bien une activité dans la vie. Faut bien faire un truc, se prendre la tête. Faut bien que dans nos vies, il y ait de la dramaturgie. Tu vis, t’as pas choisi, tu cannes, t’as peur, t’es en panique, tu te dis que c’est la plus grande des injustices… On t’a donné un laps de temps pour faire quelque chose de pas trop con de ta vie, enfin essayer tu vois. Essayer de se remettre en question, de lutter, de s’indigner, c’est des activités comme les autres, faut bien qu’on fasse quelques choses de nos vies incompréhensibles. On va tous y passer, on n’a pas envie, c’est l’angoisse universelle, alors faut bien qu’on se divertisse un peu. Écrire, se réaliser dans un domaine que tu aimes, je le prends vraiment comme un truc de ouf. Parce que c’est une chance, mon destin sinon c’était les palettes. À partir de rien, t’écris sur une page blanche, ça défonce.

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C’est une façon de combler la solitude pour vous d’écrire ?

VD : Dans mon cas c’est plutôt lire. Le fait d’écrire, pas vraiment, je peux y passer des nuits entières, mais ça comble pas la solitude hein.

Casey : Je suis d’accord, la lecture et la musique oui, mais l’écriture t’es pas seule dans ta tête, t’es 45. Dans ton cerveau, c’est un bordel. T’es vraiment pas seul tout à ce moment-là.

Le bouquin que vous êtes en train de lire ? Le disque que vous écoutez ?

Casey : Le bouquin ça va être c’est celui de Virginie, Vernon Subutex. Le disque, je n’avais pas écouté quand il est sorti, mais c’est le Kendrick. J’ai vu sa prestation aux BET Awards, j’ai trouvé ça vénère. J’aime beaucoup Kendrick, plein de potes me disent que c’est pété, mais moi j’aime bien.

VD : Là, j’écoute un disque de Jamie XX mais je sais pas pourquoi j’écoute ça. (rires) Et comme bouquin, comme je suis jury d’un prix, j’en ai 250 à lire, j’en lis deux par jour. C’est des livres que je n’aurais pas forcément lu autrement donc c’est assez bien.

Virginie, tu as fait la postface du livre de Sabri Louatah Les Sauvages où l’histoire se passe à Saint-Etienne de nos jours. Le livre parle des quartiers populaires sans leurs codes habituels, sans parler jamais de rap par exemple…

VD : La trame, c’est une histoire de mariage kabyle sur fond d’assassinat politique, c’est assez global. Un peu comme une série que je regarde en ce moment, Sense 8, par les frère et soeur Wachowski , les réalisateurs de Matrix. Chez Sabri Louatah, c’est déroutant, c’est presque ce à quoi tu t’attends mais pas vraiment. Même les pensées des personnages, c’est pas ce que tu attends.

Casey : On a confisqué aux gens des quartiers le droit de faire autre chose que du rap. C’est comme si on te voit uniquement à cet endroit là, le rap. J’aime rencontrer des gens des quartiers qui font du rock, qui veulent être acteurs ou je ne sais pas, astronaute. Je trouve ça mortel.

VD : C’est encore pire que ça, c’est une littérature qui se passe en banlieue, mais la littérature comme celle de Sabri, il y en a peu. Avec de vrais personnages qui sont pas juste ceux qu’on attend.

Il y a une grande différence avec les Etats-Unis non ?

VD : La littérature américaine est traversée par des toxicos, des cramés, des mexicains. Nous la littérature en France…

Casey : Là-bas, ce qui est mortel c’est que toutes les paroles ont de la valeur, alors qu’en France, la littérature, c’est le truc qui t’écrase, donc qui te dégoûte. Culturellement en France, il y a parfois des trucs qui me fatiguent. La culture c’est tellement vaste, tellement large, ici ça été confisqué par une petite élite qui dirait : “Nous, c’est la culture, et le reste c’est que de la sous-culture.” Je ne comprends pas.

Justement, dans quelle mesure les sous-cultures ne deviennent pas la norme, les cultures centrales ?

VD : C’est normal, c’est dans l’avant-garde. Tu vois par exemple, Actuel, c’était que des zonards. Après ce gens-là, c’est devenu Canal +. Donc oui ,les choses deviennent centrales, puis d’autres gens arrivent derrière, ça se renouvelle et ainsi de suite.

Casey : Tout peut co-exister. D’accord, c’est pas ce qui se joue dans les grandes salles qui me fait le plus vibrer. Parfois tu tombes sur des petites choses et “oh merde”. Et même le mainstream, il y a des trucs que j’aime, des films que j’aime, des musiques que j’aime. Je suis pas en guerre moi, t’es dans la vie c’est tout, tu fais avec ce qu’il y a, avec ce que t’es, c’est tout.

 

Lire la première partie.

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