Avec MHD, le rap a déjà son Ballon d’Or 2016

vendredi 8 janvier 2016, par Antoine Laurent.

Il ne sera pas rookie de l’année. Il ne sera pas non plus désigné joueur ayant le plus progressé. Non, en 2016, MHD sera MVP du rap français — ou Ballon d’Or, pour les non-adeptes de la balle orange. Celui qui a crée son propre genre musical, l’afro trap, en posant ses rimes sur des instrumentales afro, s’est imposé en l’espace de cinq mois comme un phénomène multiculturel et transgénérationnel inédit. Rencontre avec un ouragan qu’aucun bulletin météo ne prévoyait.

Ni Bisso Na Bisso, ni « bendo na bendo ». En discutant avec MHD, on se rend rapidement compte qu’il n’est ni l’un, ni l’autre. Il est ailleurs, loin des carcans dans lesquels on essaie de l’enfermer. Il n’a pas été influencé par le projet franco-congolais porté par Passi, les frères d’Ärsenik et autre Mystik qui a squatté nos télés et radios en 1999. Il ne cherche pas non plus à être un nouveau Niska, autre natif du Congo qui donne à son rap français un fort accent africain. Non, MHD, guinéen-sénégalais d’origine, lunettes sur le nez et sourire candide, est juste aux manettes d’une fusée qui risque de l’amener loin, très loin, sur une route qu’il s’est lui même tracé en s’écartant des sentiers battus. À l’origine de « l’afro trap », un cocktail séducteur déclenchant dans chaque corps normalement constitué des mouvements de bassin frénétiques, il se place au sommet d’une pyramide dorée que personne n’avait déterrée avant lui. Et 2016 lui appartient déjà.

Après PNL et SCH en 2015, il semblerait donc que le rap français continue de s’écrire sans voyelle. À 21 ans, le rappeur de la Cité Rouge, dans le 19e arrondissement de Paris, a d’ores et déjà pris la nouvelle année par les cornes. En l’espace de quatre jours, son cinquième « Afro Trap » a atteint le million de vues, intégrant par la même occasion le top 5 des vidéos YouTube les plus vues de France sur cette même période. 2016 lui tend les bras. Et MHD, désireux de faire danser la terre entière, ne demande que ça. « Les générations changent. Les jeunes consomment énormément de musique, ils kiffent bouger. Ils ne sont pas intéressés par trois minutes de punchlines sur punchlines, ils veulent le petit truc en plus qui les fera danser. Avant de me lancer dans l’afro trap je me suis posé des questions ; je peux très bien écrire des textes sans ambiance. Mais les gens n’accrochent pas. Au bout d’une minute, ils lâchent. Je veux associer les deux. » En décembre 2015, au moment où l’on rencontre l’artiste, Mohammed de son prénom, on se retrouve face à un garçon timide, pas forcément fidèle à l’image qu’il renvoie en 1080p. Mais attention à l’eau qui dort : MHD est conscient de son potentiel et sait qu’il tient quelque chose de rare. « Ça peut s’écouter partout. Des personnes qui n’écoutent jamais de rap, qui sont plus penchés sur le rock ou le métal, m’ont remercié. C’est quelque chose qu’on peut écouter à tout âge, qu’on soit tout petit ou qu’on ait 30-40 ans. »

De serveur à nouveau patron

Avant que sa trajectoire ne se pave d’or, MHD rappait déjà. Il faisait de la « trap moderne » comme il explique, « sans objectif d’être connu un jour ». Surtout, il menait la vie de Monsieur tout le monde, ou presque : « Je travaillais dans un restaurant à Odéon, je faisais des extras. Et comme on ne m’appelait pas pendant l’été, je suis parti en vacances. C’est là que tout a commencé, à la suite d’une petite vidéo que j’ai publiée sur Facebook et qui a pris beaucoup d’ampleur par la suite. » Et parce que les chiffres ne mentent pas, il change de cap et ponce ce nouveau concept fraîchement découvert mais déjà certifié par la street, comme ils disent. Le 29 septembre, il sort officiellement le premier « Afro Trap » sur YouTube. Puis le deuxième, le troisième, et ainsi de suite. Sa vie bascule.

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La vraie question : comment change-t-on de vie en cinq mois ? « Je ne dirais pas que j’ai changé de vie. C’est quelque chose de nouveau qui commence. Maintenant j’ai des responsabilités. Tout est arrivé trop vite, mais tant mieux. » Même s’il s’interdit de le dire, la vie d’un serveur en extra et celle d’un jeune artiste qui cumule les millions de vues sur YouTube ne comporte intrinsèquement pas le même lot de stress. Mais MHD s’efforce de garder la tête froide et n’oublie pas qu’aujourd’hui, tout va très vite, dans un sens comme de l’autre. « Pour l’instant, ce n’est pas un trop gros changement. Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit d’assuré. Tout va dépendre de ce que je vais donner pour la suite. Tout va dépendre de ma détermination et du travail que je vais fournir. » Et quand on lui demande de définir cette détermination, Mohammed ne passe pas par quatre chemins : « Je veux m’inscrire sur la durée, je ne veux pas être le buzz d’une année. Je veux ouvrir le monde de l’afro trap et l’installer comme catégorie musicale en France. »

« Tout est arrivé trop vite, mais tant mieux »

Qu’est-ce qui fait de l’afro trap quelque chose de nouveau ? Une addition simple : les rimes d’un rappeur (doué, dans le cas d’MHD) ajoutées à des instrumentales afrobeat, afro house ou qui se rapprochent même, par instant, de la ghetto house de Chicago. Surtout, une vraie bonhomie — alimentée par un pas de danse déjà classique — qui rappelle celle de Bobby Shmurda et sa « Shmoney Dance » au moment de la sortie de « Hot Nigga », la condamnation en moins. « On me le dit souvent. On est arrivé de la même manière : deux petits jeunes avec chacun leur petite chorégraphie. Mais ce n’est pas quelque chose qui m’a inspiré, je l’ai juste remarqué quand on m’en a fait part. » La comparaison s’arrête là : le côté « trap » de l’afro trap est moins évident. Le rappeur du collectif 19 Reseaux l’explique : « Je n’écris pas mes textes sur des instrus afro, j’ai l’habitude de les écrire sur des instrus trap classiques. Je les associe sur des instrus afro par la suite et c’est là que le mélange s’opère. » La singularité de l’afro trap vient de son côté très dansant à ne justement pas confondre avec ce que fait, par exemple, l’artiste Jovi que l’on pourrait décrire comme de la « trap en camerounais (camfrancanglais) ». En somme, l’afro trap n’est pas de la trap africaine — on se suit toujours ?

Le résultat est explosif et parle à des millions de personnes. L’afro trap est joviale, positive et contagieuse. Sur les réseaux sociaux, des gens remercient littéralement MHD. « C’est vrai que je vois souvent des messages du genre. Je leur donne de la bonne humeur. Certains me disent qu’ils écoutent mes morceaux le matin, avant d’aller au travail et que ça leur donne la pêche. Je transmets un message positif en mettant en valeur la musique afro. » Conscient de toucher un public très hétérogène, l’artiste cherche désormais à mettre en accord le fond et la forme, pour ne se fermer les portes d’aucune chaumière. Une gamine doit pouvoir faire découvrir l’afro trap à son père sans crainte. « Je dois faire attention à ce que je dis. Mon public n’est pas uniquement composé de gens habitués à la vulgarité dans la musique. Je vais essayer de davantage peser mes mots. » Ses parents servent d’éprouvette : « Je leur ai fait écouter ce que je faisais. J’ai essayé de camoufler certains passages un peu trop vulgaires. Mais ils aiment bien, ils essaient de faire la petite dance qui va avec. Par contre, je ne leur ferais jamais écouter mes sons à l’ancienne. C’était trop sombre. Pouvoir partager ma musique avec mes parents, je trouve ça super. S’ils aiment, il n’y a aucune raison pour que les autres n’aiment pas. »

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Et justement, les autres aiment. La raison première : à l’instar d’un Jul, la musique d’MHD parle à ses auditeurs qui se reconnaissent dans l’énergie de ce dernier. Une énergie routinière extraite d’un quotidien simple fait de vadrouille, d’amis, de foot et de déhanchés incontrôlés sur la dernière pépite trouvée par l’un d’eux. Une bande de jeunes français pétris de rap qui écoutent entre eux « plus de sons kainfri que de sons kainri ou français » (dixit l’interview d’MHD sur Générations), qui régurgitent des influences africaines et à qui il tardait de mélanger ces deux racines. De joindre les deux bouts, pourrait-on presque dire. Mohammed, petit fils de cette génération marquée par la Françafrique, le cul entre deux chaises identitaires, fait justement partie de ceux qui sont finalement en train de s’installer sur un fauteuil beaucoup plus confortable, entre les deux, pour reprendre une expression de Thomas Blondeau.

Et la suite ? Même si Mohammed se dit incapable de prédire son année 2016, il ne cache pas ses ambitions. « Je vise gros directement : je veux être numéro un. Si je continue sur ma lancée, je peux y arriver. Il faut que je frappe fort avec mon premier projet [probablement une mixtape, ndlr]. Je suis le premier dans ma catégorie. Je fais quelque chose de nouveau. Des gens m’écoutent en Afrique, aux Pays-Bas, en Belgique… Des gars me laissent des commentaires en anglais en disant qu’ils ne comprennent pas ce que je raconte mais que ça envoie dur. C’est simple : je veux être le Neymar de mon domaine. » Et quand on lui rappelle que Neymar n’a pas encore été Ballon d’Or, il ne flanche pas : « Ça ne va pas tarder. »

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