La crème de Lacrim

vendredi 17 avril 2015, par Baptiste Biarneix. .

De petit loubard il s’est transformé en rappeur grossiste. Lacrim véhicule tous les fantasmes sur le rap français, et de petites anecdotes viennent faire de lui un personnage attachant. En voici la crème. De Lacrim.

Récemment condamné pour détention d’armes, Lacrim ne s’est pas présenté au tribunal, et a décidé de ne pas se rendre. Coupable d’avoir utilisé une kalachnikov dans un clip, ses empreintes digitales l’ont trahi dans une affaire qui n’avait pourtant rien à voir avec lui. « C’est plus facile d’en trouver une vraie qu’une fausse, à Marseille. » Amusante justification pour un rappeur désormais en cavale, éloigné des micros par la force des choses. Une nouvelle fois.

Le vécu. C’est le socle même du personnage de Lacrim. Fin des années 2000, il fait ses premières apparitions sur les sites spécialisés. D’entrée de jeu, il affiche la couleur : fier de son passé, il évoque des passages en prison – qu’il ne regrette pas, au contraire, ceux ci l’ont forgé, dit il. Il n’a que 25 ans, mais déjà plus de bouteille qu’un pirate alcoolique, du moins il le pense. À 11 ans, il quitte l’école. Pas de self, pas de cours d’EPS, pas de petite copine en classe supérieure ni d’heures de colle. Il s’ennuie, traine dehors, « avec des loups » de chez lui, Chevilly, Val-de-Marne. Très vite il quitte le domicile familial ; les nuits se vivent tantôt chez des amis, tantôt dans cet hôtel à 245 francs la nuit, sur la Nationale 7. À 14 ans, Karim Zenoud monte sur son premier braquage. M. Lanquetin, juge pour enfant chargé de son dossier, est compréhensif. Le jeune le trouve même naïf, lui qui le fait jurer sur son honneur de ne plus recommencer les bêtises. Monsieur le juge lui trouve une formation en pré-apprentissage du côté de Chambéry et exclu au bout de quatre mois, l’ado reste tout de même à dans la région, où il loue un appartement.

CHEVILLY, CHAMBÉRY, CHICAGO

Une vie faite de vols, de petites arnaques, d’affaires en tous genre. L’enfant du 94 mène une vie de vagabond. A 16 ans, premier séjour au placard. Le jour même de son anniversaire, M. Lanquetin lui annonce que ce soir il ne repartira pas libre de son bureau. Karim comprend, et assume jusqu’à ses vingt ans cet incessant va-et-vient, entre le dehors et le dedans, entre l’air libre et les quatre murs d’une cellule. Parfois un mois, parfois deux mois, une autre fois deux ans. Il rencontre du monde, des crapules de tous horizons. De celles qui quelques années plus tard refuseront de croire qu’il est dans la musique.

Et pourtant, c’est en prison qu’il rencontre celui qui le mettra dans le milieu : Mister You. La rencontre est cocasse. Younes est envoyé au mitard pour deux semaines, une première pour lui. Karim, lui, connaît les lieux, il le croise et lui donne quelques conseils. Comment faire pour ne pas péter un plomb là bas, être prêt pour la perte de poids… une sorte de tuto du taulard. Lacrim est la dernière personne avec qui Mister You échange avant d’entrer à l’isolement. D’utiles conseils pour lesquels Karim sera remercié en sortant. De ce beau moment de vie naît une amitié qui dépassera la triste enceinte carcérale : You est l’un des seuls rappeurs auxquels Lacrim se mélange, leurs apparitions communes sont presque plus nombreuses que tous les feats de Lacrim réunis.

Ils s’associent, en 2009, pour une opération de mise en marché à enseigner dans tous les IUT Techniques de Commercialisation. Pour vendre la mixtape de Mister You, Arrête You si tu peux, ils glissent un peu de shit dans chaque disque. Le marketing sensoriel à son maximum. Ensemble, ils préparent les goodies, quelques grammes dans tous les exemplaires. Lacrim se targue d’être allé récupérer lui-même la plaquette, et se félicite d’ailleurs du succès de l’opération. En une journée, 500 ventes. Mister You reçoit un coup de fil du magasin : il est persuadé que le patron a relevé la ruse. Courageux mais pas téméraire, le rappeur de Belleville n’ose pas répondre. Lacrim s’en charge. En réalité, le disquaire en redemande ; il ignore encore son nouveau statut de vendeur de shit à la petite semaine. 48 heures plus tard, alors que chaque disque qu’il a vendu aura permis de se rouler trois joints, l’homme de la boutique rappelle les deux hommes. Il a compris l’entourloupe. Une chance pour lui, tout est parti avant que l’affaire ne s’ébruite trop. Et le taga est sans doute déjà effrité.

Un an plus tard, en 2010, Lacrim sort son premier projet, Liberté provisoire. Il le vend lui même. Un post Facebook puis du mano à mano, Fête de la musique, XXème arrondissement. Il écoule son stock sans peine et saisit qu’avec un peu d’intelligence, la musique peut rapporter. 2012, nouvelle tape : Faites entrer Lacrim, un projet transition, histoire de confirmer. Cette fois, le pressage est trop important pour offrir de l’afghan avec ou pour le vendre soi même. Pour apâter le client, Karim la joue grand prince. Dans chaque lot de 5000 disques, un ticket permet de remporter 1500 euros. Le rappeur certifie que l’opération est contrôlée par un huissier de justice. En plus de l’argent, une journée avec Lacrim est à gagner, où qu’il soit sur terre. On espère pour l’heureux gagnant, s’il existe, que Karim Zenoud n’était pas à Chevilly.

Avec un peu de chance, il a peut-être pris un vol pour l’Illinois, où Lacrim a tourné le clip « On fait pas ça ». 2014, la France continue de pomper allègrement le rap américain et c’est Chicago qui a le vent en poupe. Lacrim invite Lil Durk sur son opus et le rejoint dans son hood pour mettre le morceau en images. On le retrouve dans une mise en scène classique de la scène drill : autour de lui, tout colle à l’imagerie traditionnelle du rap chicagoan. Il est comme un corps étranger, torse nu, légère bedaine en évidence dans les rues de Chiraq, jean délavé et cheveux plaqués au Pento. Étonnant de retrouver là le grossiste préféré des chichas, celui qui tournait sur les plus beaux spots de Sicile, Marbella, Miami ou Punta Cana avant même de rejoindre une maison de disque.

LÉONARDA, CHICHA ET TRANSAT À MARBELLA

Mais c’est en France que Lacrim est le plus à son aise. Dans le DVD de son projet Né pour mourir, le cameraman nous emmène sur le tournage d’un clip. « Wild Boy remix », avec Niro, Le Rat Luciano et d’autres, dans une chicha. Les figurants ne cachent pas leur joie d’être là. Une jeune femme surmaquillée, la vingtaine à peine, envoie un baiser à la caméra : « Oh Lacrim, c’est un vrai, t’es mon homme ! » Sa copine lèche avec appétit une feuille à rouler, à quelques mètres d’un gamin tout juste en âge d’aller au collège qui arbore fièrement un t-shirt « Lacrim Jack Daniel’s ». Voilà le garçon transformé en bouteille de Bourbon. Sur son linge, on lit « Old n°1 », « Quality street certified », « Jack’s Music » « 94% » « Paris – Marseille ». Il n’est pas le seul ainsi vêtu. Ses ainés portent le même uniforme, lunettes de soleil en plus. Dévoués, ils embrassent leur tee. « Lacrim, c’est le meilleur, mon frère, numéro 1 ! T’es un vrai du bloc, tu représentes jusqu’au bout mon frère », et il le jure devant Dieu. « Wallah ! »

Lacrim, c’est un disque d’or en en dix jours, des showcases partout en province, et des t-shirt à son effigie à tous les coins de rue. Nombreux et dévoués, ses fans ne le lâchent jamais. Il leur donne beaucoup d’amour, notamment sur les réseaux sociaux, et eux le lui rendent bien. Comme lors des manifestions lycéennes de soutien à Léonarda, cette jeune rom expulsée en 2013. Dans le cortège, un ado sort du lot par sa pertinence et son inventivité en brandissant une pancarte « Libérez Lacrim ». Car à ce moment là, le rappeur est à nouveau en prison pour une affaire de vol à main armée remontant à 2002. Dix ans plus tard la justice le rattrape et le condamne : sa carrière musicale en passe de décoller, c’est le plus mauvais moment pour retourner derrière les barreaux. À moins que. Comme Mister You avant lui, il peut exploiter le filon de la street crédibilité au maximum depuis le placard.

18 août 2012, le rappeur est enfermé depuis moins d’une semaine, son manager rassure : « Il va très bien il a le moral, il remercie toutes les personnes qui les soutiens (sic), même derrière les barreaux il représente toujours le rap ». Lacrim a signé en maison de disque le 25 juillet et un premier coup dur est porté à sa petite carrière. Il faut, d’une façon ou d’une autre, mettre à profit cette condamnation. Ses proches diffusent adresse et numéro d’écrou pour lui envoyer du soutien : « Zenoud Karim / Maison d’arrêt Lyunes / 2285 Route de l’Enfant, 13085 Aix-en-Provence Cedex 02 Batiment B / Numero Ecrou : 69890. » Le deep web du rap français se mobilise, hashtag #LibérezLacrim et vente de t-shirt sur les sites dédiés. Ils partent comme des petits pains, partout en France. Pour l’anecdote, dans l’idée d’écrire un papier sur Lacrim il y a déjà deux ans, nous avions posé quelques questions à Marcia, 14 ans, jeune collégienne d’un petit village de Savoie et fanatique du rappeur. Elle s’était procuré un t-shirt et arborait le textile avec fierté dans la cour et les salles de classe de l’humble établissement savoyard. Elle avait même décidé de lui écrire en prison : « Lacrim, c’est le meilleur. On sent qu’il ne s’invente pas une vie quand il rappe. Mais c’est pas parce que je l’écoute que je vais aller faire un braquage hein ! » Ne faites pas l’erreur de croire que l’homme ne touche qu’une certaine catégorie de population.

Lacrim sort début 2014 et fonce rejoindre son nouveau producteur, DJ Kore, en studio. Un trimestre leur suffit pour construire Corleone. La sortie, prévue en début d’été, est repoussée à la rentrée. Le public répond présent, plaçant le disque en pole position du top album avec près de 30 000 exemplaire écoulés la première semaine. L’artiste en est le premier surpris. Corleone est certifié disque d’or quelques jours plus tard. Désormais doté de moyens conséquents, puisque signé chez Def Jam France, filiale d’Universal, Lacrim bénéficie d’une promo royale. Elle lui donne quelques occasions de philosopher. Devant la caméra de Yard, il évoque la jeunesse, le manque de repères, et l’importance de la cellule familiale. « Un oiseau, il sort de l’oeuf, on lui montre une télé on lui dit ça s’appelle une voiture, et bah il va grandir il va croire qu’une télé ça s’appelle une voiture. » JCVD style. Il lui arrive de méditer ainsi sur la vie. En 2011, sur une plage de Marbella, alors qu’il se fait masser au soleil : « Des fois j’pense à des trucs… là j’pense à la même position que j’ai là, mais dans ma cellule. Pfff. C’est bon d’être libre. »

Une liberté qu’il saura conserver malgré les envies du juge, espérons-le. Qu’il s’agisse d’offrir de quoi fumer dans les disques, d’amour pour le public ou de philosophie, la générosité de Lacrim est trop grande pour être bridée par les tribunaux. Et enfermer Lacrim, c’est courir le risque d’une nouvelle pandémie de t-shirts Jack Daniel’s Music. On ne saurait s’y résoudre.

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