Tout pour Le Club

jeudi 1 décembre 2016, par Camille Perez. .

Le Club incarne son époque. Le mystérieux duo, qui sera officiellement sur scène pour la première fois ce samedi 3 décembre aux Nuits Fauves (Paris), attire aujourd’hui les convoitises après seulement quatre morceaux dévoilés et autant de succès. Tayz, La Kanaï et leur entourage semblent avoir mis le doigt sur une formule qui pourrait leur ouvrir beaucoup, beaucoup de portes. Portrait sur le binôme du 93 qui excite et fait monter les enchères.

Nous sommes en 2014, à Montreuil, au café La Pêche. C’est ici et nulle part ailleurs qu’on prend le pouls de la scène rap de la ville, une des plus vives d’Île-de-France. Prince Waly, Swift Guad et la Scred Connexion y ont fait leurs armes. Il y a deux ans, c’était au tour de deux jeunes gars totalement inconnus de franchir le pas en participant à l’un des nombreux open-mics qui font le succès du lieu. Tayz et La Kanaï, 19 ans aujourd’hui, racontent : « T’es dans la foule, avant t’as inscrit ton nom, le mec sur scène tire un papier et t’appelle… Il y a de la peur, tu commences à pousser les gens pour monter, mais une fois que t’es là haut, la musique part, t’as pas le temps de réfléchir. » Le fameux moment hors du temps pendant lequel on réalise que l’on veut faire une carrière micro en main et bouffer le monde ? « Ça, je me le disais bien avant d’avoir un micro. Je me le dis tous les jours dans la salle de bain », rétorque Tayz, lapidaire.

Tayz et La Kanaï, qui forment aujourd’hui Le Club, ont depuis cumulé un million et demi de vues sur les quatre uniques titres qu’ils ont sortis, espacés chacun de plusieurs mois, depuis leur apparition soudaine il y a près d’un an avec « La Magie de Paris ». Ils s’apprêtent à se (re)réveler en live, deux ans après les planches du café La Pêche, pour leur premier showcase ce samedi 3 décembre sur la scène des Nuits Fauves (Paris). Enfin, une mixtape, Série 97, comme leur année de naissance, sera livrée « avant la fin de l’année » selon leurs dires. Tout dépend des choix de carrière que feront le binôme et leur manager, Cain, troisième entité du Club : tout ce beau monde est en effet courtisé par de nombreuses maisons de disque, forcément avides du sang neuf qui afflue dans leurs veines de gosses du 93 débrouillards et impétueux à la recette ultra efficace. Deux jeunes de 19 ans, quatre morceaux à peine et des sollicitations de toute part : comment en est-on arrivé là ?

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Une histoire de potes. Le duo se rencontre à l’âge de trois ans, à Montreuil – Tayz a aujourd’hui déménagé à Neuilly-Plaisance. Leur amitié se renforce autour d’un goût commun pour la musique et l’écriture. Pour Tayz, l’éducation musicale, ce sont les heures passées sur le siège passager aux côtés d’un papa qui écoute Booba, IAM et Bob Marley pendant les trajets en voiture. Puis, à l’adolescence, pour La Kanaï, ce sont des figures plus transgressives comme Guizmo ou Volts Face. « Quand tu écoutes Volts Face, ça ne peut que te donner envie de rapper », confie La Kanaï. Les deux sont les enfants d’une génération de parents qui ont intégré le rap dans leur patrimoine culturel, ayant grandi avec, et qui le transmettent naturellement à leurs descendances. Un héritage couplé à l’influence de rappeurs à peine plus vieux que les deux amis, mais dont les textes sont si criants de vérité pour le public adolescent qu’ils trouvent écho et leur permettent de s’ériger comme des références crédibles. Puis vient le moment où l’écoute ne suffit plus et que la plume doit parler.

Tayz et La Kanaï touillent leur petite sauce, élaborent un premier morceau insatisfaisant qui va rester dans les tiroirs et à force d’expérimentations, finissent par pondre en février dernier « La Magie de Paris ». Et oui, chez cette génération de rookies décomplexés, la méthode peut consister à prendre une instru entendue chez un autre rappeur, sans s’embarrasser d’autres considérations que la volonté de se l’approprier. Ainsi, c’est « No Way » de Young Thug que le groupe a choisi. Tayz raconte l’avoir écouté des heures durant, et en faire part à son acolyte. « L’instru était vraiment magique. On a pas réfléchi, elle collait trop à ce que l’on voulait faire, tant pis que ça soit Young Thug. » Un déclic, un « tilt », un peu comme celui du néon qui s’allume avec le courant. Le duo pose dessus, clippe le morceau avec natas3000 et Internet s’emballe sur ce premier extrait prometteur (Abcdrduson, Booska-P, Grünt, Yard). La courte discographie du duo s’étoffe dans les dix mois qui suivent avec les titres « Histoires de Dame », « Savon » et récemment « Série ». Le succès est toujours au rendez-vous, la curiosité autour du mystérieux binôme s’exacerbe sur les réseaux sociaux, et voilà que les majors finissent par s’en mêler. Pire encore : « La Magie de Paris » n’avait pas encore atteint le milliers de vues qu’il était déjà écouté en maison de disque – de source sure. Un phénomène assez incroyable qui ne surprend presque plus celui qui suit de près l’actualité du rap, habitué à ce qu’en 2016, tout aille très, très vite. On a de quoi néanmoins poser la question : Le Club n’aurait-il pas suivi une recette qui fonctionne à tous les coups ?

 

« LE CLUB A POSÉ UN NOM SUR LE CONCEPT, ON A FERMÉ LE BOCAL ET ON EST PRÊT A LE VENDRE »

 

Un fond noir, un logo en forme de néon assorti d’un « bzz bzz » : c’est propre, c’est léché, c’est reconnaissable entre mille. Les voilà, les premiers ingrédients de la recette du Club. Ajouter à cela un univers à chaque fois plus soigné et cohérent grâce à l’apport de natas3000, avec qui ils travaillent exclusivement pour le moment, et une stratégie de la rareté très efficace : quatre titres en presque un an, espacés de plusieurs mois. Finalement, on obtient une plateforme de marque certes embryonnaire, mais suffisante pour voir bien plus loin. Ce produit encore très frais mais excitant et très bien huilé, fait baver des maisons de disques qui, conscientes d’être dépassées, sont bien décidées à (re)devenir elles aussi des défricheuses de talents. La recette fonctionne, et elle s’étoffe : Le Club a bien d’autres ressources. Sur le modèle très séduisant aujourd’hui qu’est le binôme de rappeurs, La Kanaï et Tayz reconnaissant attirer un public complémentaire : à eux deux, ils touchent les « gens de quartier » et l’auditoire féminin. Mais leur ressort principal, celui dont ils s’enorgueillissent le plus, c’est celui du collectif. « Tout pour le club, c’est tout pour son pote. » Et qu’il s’agisse de dessiner le logo, de trouver un appartement pour un clip, ou un beatmaker pour les prods… tout se fait grâce au réseau et à la débrouillardise. « On a tous ramené nos influences, nos bandes de potes, et c’est vraiment un mix qui a fait Le Club. Tout le monde est fort sur un truc, et on met les compétences en avant« , précise Cain. Le tout doublé d’une vraie exigence et d’un goût pour le travail bien fait.

Lorsqu’on les interroge sur leur vision de l’avenir, c’est toute l’insouciance de leur jeunesse qui parle. Succès critique, succès populaire, signature en maison de disque imminente… Tout ça semble leur passer un peu au-dessus. Les étoiles sont alignées, leur entourage solide est en back-up, ils ont donc le luxe de pouvoir se concentrer uniquement sur leur musique, notamment sur la mixtape à venir. Tayz se lance : « Pour 2017, j’me fais pas de souci. Au niveau de la musique en tout cas. » Son visage se referme, nous laisse comprendre ce que l’on veut comprendre et clôture notre entrevue sur une note énigmatique : un dernier ingrédient, et pas des moindres, de la recette du Club.

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