Kalash, assis sur la lune

vendredi 3 novembre 2017, par Cathy Hamad. .
Mwaka Moon, ou littéralement, la lune de l’Antillais. C’est ainsi que se nomme le quatrième album de Kalash. Le Martiniquais allie le mot le plus cynique qui soit pour s’autodésigner, et l’associe à la lumière, comme un pied de nez aux gens qui ont plus ou moins consciemment laissé le prince du dancehall dans l’ombre. C’est la troisième rencontre de SURL avec l’artiste dont la vie a bien changé depuis la percée de son précédent album Kaos, disque d’or. Le discours et le style, eux, restent constants. Kalash poursuit tranquillement son avancée vers les étoiles. Sur Mwaka Moon, à l’image de la cover du projet, Kalash brille. « J’ai plein de cristaux sur moi mais toujours dans l’obscurité. J’ai reçu beaucoup de lumière et de succès depuis Kaos, mais je reste un être humain avec mes états d’âme. Donc je brille, c’est vrai, mais dans la noirceur. » Entretien.

Mwaka. Lorsque nous l’avions rencontré une première fois pour Kaos, Kalash nous faisait part déjà de ses doutes quant à la réception de sa musique en métropole et évoquait une possible incompréhension des majors qui ne ressentaient pas vraiment encore la vibe dancehall. Le triomphe de Kaos aurait pu enterré ses points d’interrogation. L’artiste était déjà, sur le plan musical incroyablement complet, et sur le plan personnel hyper intègre. À l’occasion de notre deuxième rencontre, lors d’un live plus que mémorable à l’Olympia, le discours était festif. Sa vision de la musique lui faisait dire que sa voix devenait désormais éternelle. Après ce succès, on aurait pu s’attendre, en toute logique, à s’asseoir pour la troisième fois avec un artiste en confiance, apaisé. Mais ce serait sans se rappeler le fonctionnement cyclique des phases lunaires.

Alors que l’on s’attendait à ce que Kalash continue d’explorer les prods trap, adaptée à sa sauce solaire, chantée et mélodieuse, l’artiste a choisi un autre chemin. Sur Mwaka Moon, Kalash opère une révolution qui le ramène à ses premiers amours : le dancehall, de sa face love comme sur « Sirène » ou « I Wanna Be Loved » ; au plus roots sur « Health and Time » ou « Ivory »… Back to basics. Il ouvre l’album avec un morceau intime, sombre, en créole, exactement comme sur Kaos avec « Bando » : « Mwaka Story », qui ne devait pourtant pas figurer sur le projet. C’est à la base un freestyle effectué dans l’intimité du studio : « Je n’avais jamais raconté ma jeunesse à ce point, s’est-il rendu compte, je l’ai donc mis en premier sur ce projet, comme un livre où tu lirais l’intro et tu comprendrais tout de suite l’ambiance. » Comme si le prince du dancehall voulait nous rappeler qu’on ne pouvait pas se contenter d’un Kaos pour prétendre connaître Kalash, l’artiste, et que l’album qu’il nous livrait là allait bien confirmer cela. À l’instar du satellite qui le représente, l’artiste livre à la lumière une partie de lui, quand une autre reste malencontreusement cachée. « Tout le monde sait qui est Kalash maintenant en France, et tous les rappeurs ont déjà demandé des collaborations mais j’ai l’impression que les médias font toujours la sourde oreille », nous dit-il. Et s’il admet volontiers que les choses changent pour lui, il continue d’être affecté en voyant que ça n’évolue guère pour les nouveaux talents lui ressemblant : « Ils se sentent vraiment à part du business en France. »

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« Mwaka ? Et alors, fuck ! »

Cette amertume, Kalash l’élève, l’impose même en titre d’album. Pour toujours un mwaka dans l’âme. Ce mot, équivalent au mot negro dans la charge symbolique, Kalash va l’illuminer. De ses débuts avec la « Chanson du Mwaka », très virulente, à aujourd’hui où le mot est complètement revendiqué, il y a un monde. « C’est du cynisme, de l’arrogance. Mais quelque part, j’ouvre mes bras en assumant. Oui je suis un Mwaka, je suis un bledard quoi. Les gens ont tellement l’habitude d’utiliser ce mot qu’ils oublient qu’il est péjoratif. Mwaka, je l’ai tourné à mon avantage et je leur renvoie. Qu’est-ce qu’ils peuvent dire maintenant ? »

Pas grand-chose, en effet. Les faits – que des réussites – parlent d’eux-mêmes. Kalash ne peut que brandir fièrement ce qu’il est. Son imprégnation dancehall est beaucoup plus marquée tout au long de Mwaka Moon, à commencer par les prods, particulièrement mélodieuses. « Je pense que les compositeurs ont mieux compris mon univers et ce qui m’a été envoyé a été façonné à ma couleur. Cette fois-ci, on ne m’a proposé que ce qui me ressemble ! » C’est-à-dire de la mélodie, de la douceur, du soundsystem. Les beatmakers vont désormais droit au but, Kalash les reçoit, les écoute à la chaîne, les bloque s’il aime, enregistre dans la foulée. « Si ça se trouve, on a raté des prods de ouf comme ça parce que je n’ai pas la patience d’en écouter 10 000 ! » Entre Dupps (qui bosse avec Rihanna, Shakira ou encore Drake) ou Pyromane (responsable entre autres de l’effet frénétique des sons de Niska), Kalash a été gâté par des beats créés spécialement sur la base de son identité pure. Sur Kaos il explore, sur Mawaka Moon, la trajectoire se dessine.

Humain avant tout

Le projet Mwaka Moon poursuit son cycle. Le prince du dancehall profite de cet album pour aboutir les idées qui ont mûri déjà du temps de Kaos. Quelques featurings ne sont pas surprenants. On connaît celui avec Niska (« Koussi Koussa ») et le déjà tube « Mwaka Moon » avec Damso. « Mwaka Moon » vient d’ailleurs d’établir le nouveau record d’écoutes hebdomadaire sur Spotify avec plus de six millions de streams. Ce sont, on le sait, des univers qui gravitent les uns autour des autres par la force du 92i.

D’autres sont beaucoup plus symboliques et ont, en revanche, suscité dès l’annonce beaucoup de joie et d’attente parmi les fans de dancehall. Première surprise : le son « No Roof » où Kalash collabore avec pas moins que la légende Vybz Kartel. « Je le voulais au début déjà sur Kaos. C’est un artiste que j’admire beaucoup. » On devine les petites étoiles dans les yeux derrière les lunettes de soleil. Vybz Kartel, qui a changé la face du dancehall à jamais, est toujours incarcéré à perpétuité. C’est Rvssian, le producteur de Kalash, qui a tout orchestré, à distance par téléphone. Autre artiste majeur du genre, Mavado, qui au même titre que Vybz Kartel, a amené du neuf dans le dancehall : le chant. « On appelle ça le gangsta cry : quand il chante, c’est comme s’il pleurait en criant sa rage et sa peine. » Kalash lui-même le sait, il est un des nombreux petits bébés de cet héritage musical. Le feat « God Knows » est enregistré chez Mavado en personne, à Miami. La dernière fois que les deux artistes s’étaient croisés, Kalash était à la place du fan, dans un festival à Sainte-Lucie. Ils s’étaient pris en photo ensemble, « Et Mavado s’en souvenait ! » Kalash n’a pas à rougir. Même s’il voit toujours ça avec ses yeux de fans, les figures majeures telles que Bounty Killer, Vybz Kartel et Mavado sont toutes présentes sur son CV. Il ne manque plus que Buju Banton (à qui il fait un clin d’œil sur « I Wanna be Loved »). « Je devais l’avoir sur l’album aussi mais sa libération de prison a été repoussée. Il sortira l’année prochaine normalement. » Patience alors, Rvssian est déjà sur le coup.

« Lacrim est un mafieux sentimental »

Reste une autre collaboration surprenante : celle avec Lacrim. Avant sa musique, c’est l’humilité du rappeur que Kalash a noté, lorsque dans une interview à la radio Lacrim, évoquait l’idée de travailler ensemble. « C’est très rare dans le rap qu’un artiste parle d’un autre en bien sans savoir qui il est. Donc je l’ai appelé. » Sans stress quant à la confiance en la rencontre de leurs deux univers bien différents, la réponse est on ne peut plus limpide et ne s’attarde toujours pas sur le plan musical.  « Lors de ses interviews à l’époque de sa cavale, j’avais ressenti beaucoup de peine en lui et à la fois ce désir d’être un homme nouveau qui demandait une nouvelle chance. Ça m’a touché. » La première rencontre se fait sur le tournage du clip avec Booba , quand une horde de fans se sont mis à courser les trois stars et que Lacrim s’est caché dans la voiture de Kalash. « C’est exactement ce que je pensais de lui, un genre de mafieux sentimental, super doux et gentil. » Les deux artistes voulaient participer à leurs albums respectifs. S’en sont suivis deux morceaux dont, « Snitch ». Chacun fidèle à son style : Kalash démarre son couplet en douceur et chante le refrain, Lacrim de sa voix rauque kicke rapidement. Le morceau aborde le code de l’honneur et la dignité avant tout. Pas de surprise.

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Tout Mwaka Moon semble avoir été drivé ainsi. De l’importance d’approfondir des rencontres et des envies plutôt que de chercher à innover dans le vide, au gré des envies de l’industrie. Il nous le disait déjà en 2016 : « Mon choix est de rester intègre et développer mon art. » Du point de vue de l’artiste, l’idée était d’explorer ces petites parcelles de vie qui ont bien changé depuis Kaos déjà.  « La musique est intéressante quand elle grandit quelqu’un, quand ça t’apporte quelque chose et que ça t’aide. » La musique reste à jamais, nous disait-il il y a tout pile un an. Sur Mwaka Moon, les tracks évoquent toutes des souvenirs, avec l’idée d’exploiter à bon escient les moments en ayant conscience que le temps est compté. Là encore, Kalash suit sa pensée. Dans cette même interview de 2016, il nous confiait déjà sa vision de cet art qui se transmet de parent à enfant qui devient un jour parent. Fonctionnement cyclique. Un besoin d’ancrage, de quelque chose qui fuit. Une peur peut-être, aussi, de perdre pied. Un thème assez présent au fil du projet où la spiritualité, voire le religieux, viennent s’immiscer dans chacune des lyrics.  « Internet te fait tellement croire que t’es quelqu’un, nous dit-il. Mais chez toi tu es tout seul. La vraie vie, c’est être heureux dans sa tête avant tout. » Sa reconnaissance à Dieu, croissante, lui permet de ne pas tomber dans la folie et de le maintenir en vie sur le chemin de la raison affirme-t-il. Nécessaire après Kaos, pour « passer les épreuves et garder espoir en l’avenir ».

La grand’messe

Pas étonnant alors que chaque concert soit une grande célébration, un vrai moment de communion. SURL était déjà témoin de l’incroyable Bando entonné à la Cigale en avril 2016. Rebelote au Zénith le 21 décembre ? « Ça va être une grande fête, nous confirme-t-il, même si l’Olympia c’est plus symbolique pour le CV d’un artiste, une salle plus vraie. » L’artiste avait déjà associé à l’éternel les célèbres lettres rouge qui marquaient son nom le 1er novembre 2016. Paraît-il que sa mère lui répète tous les jours qu’elle a pris ses places pour sa nouvelle messe. Et après la tournée ? Kalash continuera sans doute sa méticuleuse expédition lunaire. Si des envies non abouties peuvent voir le jour, elles se mettront tranquillement en place. Sans pression des majors, qui ne sont qu’un coup de pouce financier. Ça ne fait rien de magique, tout le travail est fait de A à Z, avec sa précieuse manager Clara. « D’où le fait que j’ouvre mon label, parce que je sais tout faire ! » s’amuse-t-il. Mais il reprend modestement qu’il n’a pas encore les épaules pour porter des artistes nouveaux, en rêvant plus tard d’être à la place d’un directeur artistique pour pouvoir apporter à des jeunes talents ce qui lui a manqué à ses débuts. « Je signerai des Antillais c’est sûr, mais y aura aussi des américains… Partout il y a des jeunes qui demandent et méritent d’être reconnus. » La Lune n’est pas prête de s’arrêter ni de tourner, ni de briller.

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