De Federer à Booba, Elisa Parron les shoote tous

vendredi 20 juin 2014, par Julie Green.

J’ai d’abord remarqué Elisa Parron sur les réseaux sociaux. Au début, elle postait des photos d’1995. Je me suis demandée si c’était leur photographe officielle. Puis ont suivi celles d’Orelsan, de Federer, de Booba, et des joueurs du PSG. Et un jour, de son gâteau d’anniversaire : 20 ans. 20 ans. À son âge, des mecs un peu flemmards sont encore en train de passer leur bac. Comment avait-elle pu elle se retrouver dans les tribunes du PSG ou sur scène derrière des mecs comme Kaaris ? Un seul moyen de le savoir : la rencontrer.

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Après quelques échanges sur Twitter,  Elisa m’a donné rendez-vous dans un hôtel du 16ème arrondissement. Je l’ai retrouvé dans le hall, toute en noir, souriante, en train de refiler un appareil à un pote. « Je suis en galère, je dois aller le rendre et j’ai mon train dans 2 heures. » La veille, elle était au Parc, pour le sacre du PSG. Elle me demande de lui parler de moi, avec cette classe typiquement suisse des gens qui ne s’intéressent aux autres pas que par courtoisie.

La douceur de l’heure que nous allons passer ensemble n’a pas de prix. Son parcours, lui, en a un : la détermination. Animée d’un désir impérial de vivre toujours plus et toujours mieux, Elisa Parron, 20 ans, a depuis fait le tour de France des stades et des salles de concerts. Toute seule. Des bancs de Lausanne aux tribunes présidentielles du Parc, retour sur le parcours d’une photographe dont on a pas fini d’entendre parler.

Les débuts pour les clubs Suisses

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Par où commencer… Encore cette année, j’étais en école de photo. J’ai su très vite ce que je voulais faire. Au bout de 3 mois, je photographiais mes premiers matchs de football, en Suisse. J’ai d’abord écrit à des clubs, pour savoir si en tant qu’étudiante, j’avais le droit de passer. Comme ça, directement, et directement vers les gros clubs. J’ai écris à 3 clubs qui parlaient français, et j’ai eu de la chance, le premier m’a répondu le lendemain. Je suis très foot, mon papa était footballeur, donc j’étais comme une gamine au bord du stade ! C’est marrant, parce que pour ce premier match, j’ai déjà shooté un grand joueur : Gattuso.

J’ai shooté comme si c’était un peu le premier et dernier. Je savais pas s’ils me laisseraient revenir. J’ai pris plein de photos, je suis rentrée chez moi, j’ai pas dormi, j’ai re-travaillé mes photos, j’ai envoyé le lendemain au mec qui m’avait filé l’accred et il a adoré. Il m’a demandé de les publier. Et là : « Ça te dit de continuer ? »

J’ai commencé à travailler un peu pour eux par la suite. J’ai fait les autres clubs : Lausanne, Genève. J’ai fait ça tous les week-ends pendant un an, à Zurich, à Bâle, j’allais partout. Par contre, la plupart des clubs ne me payaient pas. Certains avaient déjà leur photographe. Donc je demandais à venir en échange des photos. C’était surtout ça au début. Mon père me disait de ne pas travailler gratuitement. Mais moi je lui disais : « Mais comment ? Ils ne me connaissent pas ! Ils vont pas m’appeler sans me connaître ! »

Roger Federer

1008583_466594466769029_441836555_o« Il y a souvent de la mauvaise volonté de la part des organisateurs. »

Comme je travaillais gratuitement, un jour j’ai reçu un mail dans lequel on me proposait d’être photographe officielle d’un tournoi de tennis, l’Open de Gstaad. C’était mon premier vrai travail. Là, on m’a tout payé. La tête d’affiche, c’était Wawrinka. C’est pas exceptionnel car il est Suisse et qu’on était en Suisse, mais il était déjà dans le top 10 ! J’étais super contente. Trois semaines avant que ça commence, les mecs me rappellent : Roger Federer voulait passer au tournoi. Tu te rends compte ?

Je réalise ça aujourd’hui : il y a souvent de la mauvaise volonté de la part des organisateurs. Parfois ils te disent non, mais les 3/4 du temps les groupes ne sont même pas informés, alors que si on leur demande ils sont toujours d’accord. Du coup, dans la musique comme dans le sport, ils n’ont jamais les photos. Il faut aller directement vers les mecs pour prendre leurs coordonnées et leur envoyer les photos. Et là ils sont super contents. J’ai fait ça avec Federer, il les a mises sur son site, et Wawrinka les a utilisées ses réseaux sociaux. Imagine la pub !

1995

1270480_487604951334647_1842920941_o« La dernière photographie de leur tournée Paris Sud Minute, prise lors d’un festival en Suisse. »

Après mes premiers matchs de foot, je me demandais ce que j’allais faire. J’avais vu des photos de concerts que j’avais adoré. Je me suis dit, comme j’adore être au milieu des événements, je vais le tenter. J’ai regardé ce qu’il y avait en Suisse et remarqué qu’il y avait 1995. Je connaissais, mon ex-petit ami de l’époque m’avait fait écouter. Et puis j’adore le rap français. Maintenant, il fallait trouver comment faire. Ça, c’est des trucs qu’on apprend pas à l’école, comment contacter les gens. J’ai téléphoné à la salle de concert, le mec de la salle m’a dit ok. Le jour J, j’arrive, le mec m’annonce que je ne peux shooter que les trois premiers morceaux. Je ne le savais pas encore, que ça fonctionnait comme ça. J’étais dégoûtée, j’avais fait tout le trajet depuis chez moi, pour 10 minutes. Du coup, j’ai pris les photos, et je suis partie.

Plus tard, ils revenaient pour Paris Sud Minute. Cette fois, ça a été plus compliqué. La salle m’avait dit : « Si tu n’es pas un média, ça ne marche pas ». J’étais super déçue, mais c’était le jeu. Deux jours plus tard, j’ai reçu un email, le manager du groupe leur avait demandé de me laisser prendre des photos. Je les ai rencontré rapidement à la fin du show, et quand ils m’ont demandé les photos par mail, c’était signé « Antoine Guena, manager ». Je me suis dit, « mais attends, je l’ai pas vu ce mec au concert, bizarre ».  Bon, j’ai compris vite après (rires). Il m’a proposé de revenir quand je voulais. Du coup, quelques semaines plus tard ils passaient à Dijon, j’y suis retournée.

C’est un groupe encore dans leurs débuts, je savais qu’ils ne pourraient pas me payer. Donc j’ai fait pas mal de dates, et à chaque fois ils faisaient un truc : comme ils étaient en Tour Bus, ils me filaient toujours une clé d’hôtel. J’avais déjà ça à ne pas payer. Rapidement, ils m’ont laissé monter sur la scène et prendre les photos que je voulais. J’adorais cette ambiance. J’ai fait vraiment beaucoup, beaucoup de dates avec eux. Presque toutes en fait.

Le Brésil

480446_409936089101534_730789235_n« Les brésiliens à l’entraînement. Grâce à cette photo, j’ai rencontré des personnes fabuleuses et commencé a me faire un vrai carnet d’adresses. »

Entre les deux concerts d’1995, j’ai bossé une semaine pour l’équipe de foot du Brésil. C’était en mars 2013. À force de bosser gratuitement, les dirigeants m’avaient repérée. Un mec qui bosse pour l’UEFA m’a contacté. Il organisait un match amical Italie-Brésil, et m’a proposé de venir faire les photos pour le magazine VIP. J’ai accepté. Et là, magique : l’équipe du Brésil était venue une semaine en avance et je pouvais assister à tous les entraînements. J’y allais direct après les cours, tout le temps ! C’était une ambiance de folie, il y avait des journalistes brésiliens, tous adorables, des photographes…

Le deuxième jour, l’un d’entre eux m’a demandé de lui montrer mes photos. J’ai montré une photo de 4 joueurs, dont Neymar, avec un ballon dans la main, éclatés de rire. Cette photo a tout déclenché. Le photographe a voulu la montrer à entrainement. Il l’appelle, le mec arrive, me parle en anglais… Mais je ne parle pas anglais. Gros problème. Du coup, il a essayé de parler français. Il m’a demandé à lui envoyer. Le lendemain, je l’ai imprimé en grand. Il a appelé les joueurs, les mecs m’avaient déjà vu la prendre ! Du coup ils me l’ont dédicacée. C’est ce que je fais maintenant. J’imprime mes photos préférées et je les fais signer par les artistes.

S-Crew

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« J’ai fait toutes les dates du S-Crew.« 

C’était pour la dernière date en Suisse d’1995, au festival du Chant du Gros. J’avais pris plein de photos, et je suis rentrée à l’hôtel déposer mon appareil. Là, j’ai croisé Nekfeu. Je cherchais Internet, lui aussi, il fallait qu’il aille faire sa promo. On y est allé ensemble, et on s’est retrouvé à discuter pendant plus d’une heure. A la fin, il m’a proposé de l’accompagner pour S-Crew. Je connaissais pas du tout, mais comme toujours, j’ai accepté tout de suite. Même pas une semaine après, ils avaient leur première date. Et bien devine quoi ? J’y étais. Je les ai suivi partout, jusqu’à maintenant. J’ai du raté quoi, 3, 4 dates du S-Crew ? Sinon je les ai toutes faites.

Je suis super extrême. Je ne sais pas me mettre de limite. Tant que je peux, je prends. Les gens me disent, « Hey, c’est bon là les photos S-Crew, t’as pas besoin d’y aller tout le temps ! » Mais moi je me dis : « Si. J’ai l’opportunité, j’y vais. Pourquoi pas, franchement ? » On est des jeunes, ils mettent des copyrights, c’est donnant-donnant, on s’aide. C’est aussi un atout pour eux d’avoir de belles photos. Je sais qu’ils sont contents. Ça donne envie aux gens d’aller aux concerts. Avec les mecs de S-Crew, je suis devenue vraiment pote.

Orelsan

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Je l’avais croisé au Palais des Sports quand il était venu chanter pour 1995. Même chose, j’ai vu qu’il jouait avec Casseurs Flowters en Suisse : j’ai écrit à la salle et j’y suis allée. Je voyais Orel qui regardait mon appareil avec le stickers S-Crew… Du coup voilà, on s’est recroisé après, il ne se souvenait pas de moi, mais il m’a quand même proposé de les suivre. Ils avaient trois dates en Suisse, j’ai fait les trois. On s’est bien marrés, Gringe est un super gars aussi. J’ai rencontré leur équipe, je vais partir avec eux cet été pour les festivals.

La proximité

10482716_626057907489350_355030261_n« Sur le vif, alors qu’il était aveuglé par le spot en face de lui pour le tournage d’un clip. C’est la proximité que j’ai avec Nekfeu qui m’a permis de m’immiscer et de pouvoir tirer ce portrait, qui aura par la suite un grand succès auprès de ses fans et même de la part de la maison Lacoste. »

J’aime bien l’idée de prendre des photos sur le vif. Quand l’Entourage mixait l’album, j’étais un peu là, je prenais quelques photos, pas beaucoup. Je suis super contente d’une photo de Nekfeu. Les gens ont adoré. du coup, je me suis dit que je devrais faire ça plus souvent. Pour avoir de belles photos, il faut quand même connaître les gens et être souvent avec eux. Je connais leur gestuelle sur scène maintenant, je sais de quel coté ils tiennent leur micro. Plus j’aime les gens, plus mes photos sont belles. C’est inconscient, mais c’est comme ça. À l’inverse, si je me dispute avec quelqu’un, elles vont toutes être nulles ! Ils ont confiance maintenant. Les photographes ne sont pas toujours bien vus, les artistes sont méfiants. Au début, je n’avais pas le droit de prendre de photos pendant les balances. Les mecs de l’Entourage, ils veulent tout choisir. Alors oui, c’est un avantage de les suivre. Quand je sors mon appareil, maintenant ils ne se méfient plus.

Booba

eli_4342« Booba lors de son showcase à Genève. Prise dans des conditions extrêmes, cette photo marque ma première rencontre avec un grand rappeur français avec qui j’ai toujours voulu travailler. »

Booba, c’est quand même la légende. Quand j’ai appelé la salle, je suis tombée sur des mecs super froids au téléphone, avec un accent de l’Est improbable. J’ai essayé d’expliquer, ils voulaient rien entendre et puis d’une seconde à l’autre finalement ils m’ont dit oui. Sur place, pareil, tout le monde me demandait ma carte de presse et là on me dit que Booba veut pas : « Booba va te dégager », voilà ce qu’on m’a dit. Finalement, les mecs du téléphone sont arrivés,et ils ont fini par céder.

Juste avant le concert, qui était en fait un showcase, j’ai croisé Booba dans les loges. Il a près de 40 ans, donc c’est pas le même délire que les mecs du S-Crew. C’est un mec très calme, qui exprime très peu de sentiments. Bref : il est arrivé à 3 heures avec 1 heure 30 de retard. Tout le monde était ivre,  y’avait tous ses potes et 8 mecs de la sécu sur la scène, qui devaient mesurer 3 mètres. J’arrivais même pas à lever les bras. Les filles hurlaient, elles m’écrasaient avec leurs talons. L’enfer. Mais j’ai quelques bonnes photos, c’est l’essentiel.

Kaaris

eli_7776« Tu crois que j’ai pas vu que tu connaissais aucune de mes chansons ? « 

C’est le bookeur d’Orelsan qui m’a tenu au courant qu’il passait à Neufchâtel. Je ne connaissais pas bien, mais je savais que c’était bien de le faire. J’étais pas aussi surexcitée que d’habitude, car là c’était vraiment du travail, du coup.  Dès le début, Kaaris voulait personne en haut, personne dans les escaliers, je pouvais pas déposer mes affaires, ça ne commençait pas hyper bien. A la fin, la salle est devenue une boîte, et à l’étage il y avait le coin VIP, le patron m’a proposé de rester. Là j’y suis allée, ses potes était super sympas, mais lui m’a dit ‘Tu crois que j’ai pas vu que tu connaissais aucune de mes chansons ? ». À moitié agressif, il m’a dit qu’il avait déjà plein de photos de lui. Pas vraiment le mec sympa. En 2 secondes, un mec a ensuite sorti une bombe de gaz, on était intoxiqués, tout le monde s’est fait évacuer ! Du coup, on est retourné dans les loges et là j’ai croisé son manager : lui était au courant, il est venu me saluer, super gentil. Il m’a proposé de revenir. Ca a fini sur la piste, avec tous les potes de Kaaris, je faisais marrer tout le monde parce que je dansais comme une blanche !

J’ai hésité avant, car je savais que les relations entre Booba et Kaaris n’étaient pas au beau fixe. Si j’avais du choisir, j’aurai privilégié Booba. Mais clairement, les mecs savent ce que tu fais, ils voient les photos et ils peuvent très bien te virer juste parce que t’as travaillé avec un mec qu’ils n’aiment pas. C’est injuste, mais c’est comme ça. Ça m’est déjà arrivé que des mecs refusent pour ces questions là. Sur place, j’ai appris qu’ils étaient encore en contact et que finalement tout allait bien.

L’appareil photo

C’est un outil incroyable. C’est une clé qui ouvre toutes les portes. C’est une excuse, de pourquoi je suis là. Avec l’appareil, j’ai ma place et ma confiance. Quand je ne l’ai pas, je ne reste pas. Un photographe assez connu est venu dans notre classe et a dit qu’il fallait savoir être un peu malpoli en tant que photographe, savoir s’introduire. Au Parc, tu vois toujours tous les appareils se diriger d’une seconde à l’autre dans la même direction. C’est marrant.

Le PSG

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Après 1 an en Suisse et avoir fait le Brésil, il me fallait quelque chose de plus haut. J’ai rédigé un email au Directeur Pôle Média du PSG après avoir fait mon site, le lendemain il m’a répondu. Il m’a proposé de faire partie de la rubrique Carte Blanche, dans laquelle des photographes proposent un regard artistique sur le football. C’était que des super photographes, des mecs de New York, de partout… Perso, j’aimais pas vraiment leurs photos. Je lui ai proposé de faire des portraits, mais dans le cœur du match. Il a adoré l’idée. Du coup, j’ai fait pas mal de matchs au Parc, je fais les aller-retours, le parc m’a même filé un chauffeur ! Bon, maintenant, il ne reste plus qu’un match à domicile, hier on a fêté le sacre au Parc tous ensemble. C’était magique.

Retrouvez l’ensemble des photographies d’Elisa Parron sur son site.

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