Kader Attia vs Dosseh, ou l’abus du droit d’auteur

jeudi 1 décembre 2016, par SURL. .

La semaine dernière, Dosseh sortait le clip de son morceau « Putain d’époque », en featuring avec Nekfeu, extrait de l’album Yuri. La vidéo, d’un noir et blanc léché, laissait voir les deux rappeurs dans cette cité foutrement atypique conçue par Ricardo Bofill, intitulée Les arcades du lac et située dans le quartier de la Sourderie à Montigny-le-Bretonneux. En quatre jours, le clip a été vu plus de deux millions de fois. Mais lundi 28 novembre, ce dernier été retiré de YouTube suite à une plainte de l’artiste plasticien Kader Attia. La vidéo plagierait son œuvre Ghost exposée en 2014 au Centre Pompidou. « Il s’agit des scènes où moi et des figurants sommes revêtus de couvertures de survie, a expliqué Dosseh. L’idée était de mettre en image le fait que dans l’époque à laquelle on vit, on passe plus de temps à survivre, justement, qu’à réellement vivre tant le monde est dur, à plein d’égards. » L’oeuvre de Kader Attia, conçue en 2007, est un ensemble de 102 sculptures réalisées par superposition de nombreuses couches de feuilles d’aluminium. « Chaque pièce est moulée sur le corps d’une femme agenouillée en position de prière. Ces sculptures, alignées et disposées au sol, toutes dans la même direction, sont visibles de face et de dos », peut-on lire sur le descriptif de l’oeuvre. Dans la forme, visuellement, on peut comprendre le rapprochement – et encore ? Mais dans le fond, tout n’est que non-sens.


Le droit d’auteur protège les créations des artistes contre toute reprise de leurs œuvres sans leur consentement. En effet, l’œuvre d’un artiste est sa propriété comme pourrait l’être sa voiture ou son t-shirt. L’idée d’une œuvre au sens juridique est qu’elle doit être originale, c’est à dire témoigner de la créativité et de la personnalité de l’auteur. Mais toute personne qui a déjà essayé de jouer de la musique ou de dessiner sait bien qu’il est difficile de créer à partir de rien. On aura toujours une idée de départ tirées des morceaux que l’on a écoutés, des images que l’on a vue. D’ailleurs, la pratique des artistes a toujours contenu des références explicites ou non à leurs congénères. Par exemple, la Joconde a été maintes fois détournée (Marcel Duchamp, Jasper Johns) et le principe du Pop Art est la reprise de la culture populaire dans des œuvres d’art : Andy Warhol reprend les icônes publicitaires, Roy Lichtenstein détourne les images de BD et Jeff Koons fait des sculptures ou tableaux géants en insérant Hulk ou Michel Jackson. En musique, notamment en rap, est-il encore nécessaire de rappeler ce qu’est le sampling ? Bref, le détournement, le recyclage et la réadaptation font partie intégrante de la création. On ne créé pas à partir de rien. Est-ce que Chris Macari a approché Nicolas Winding Refn avant de faire sa version de Drive avec « OKLM » de Booba ? Ou encore Iñárritu pour le clip de « Comme les autres » façon The Revenant ?

Ce qui est embêtant dans l’histoire qui oppose Kader Attia à Dosseh (notre entretien), c’est que le droit d’auteur vient empêcher la création et l’émulation entre artiste et surtout polluer la diffusion de leur message qui traite du même sujet. Kader Attia n’est peut être pas connu du grand public, mais il l’est dans le monde de l’art contemporain. Il a d’ailleurs fait la une de toute la presse il y a un mois lorsqu’il a remporté le prix Marcel Duchamp, sorte de Palme d’or de l’art contemporain français. Il vient également d’ouvrir un bar/lieu culturel dans Paris en réaction aux attentas du 13 novembre 2015. D’origine algérienne, né à Dugny (Seine-Saint-Denis) et ayant grandi à Sarcelles, il revendique ses origines cosmopolites et pluriculturelles ; son travail est axé sur le post-colonialisme et les dérives identitaires. Comme le morceau « Putain d’époque », en somme.

Il se défend en déclarant au quotidien Le Monde que « chaque artiste, qu’il soit musicien, plasticien ou autre, doit défendre l’intégrité et le respect de son œuvre » et qu’il ne fait que se protéger car « tout le monde nous pille, que ce soit la publicité ou l’industrie culturelle ».

La protection de sa création est son droit, mais il ne faudrait pas qu’elle soit abusive. Il est vrai que si l’usage de Ghost a été consciente, il aurait été courtois (et surtout obligatoire) que Dosseh (ou la réalisatrice du clip, Nathalie Canguilhem) demande l’autorisation à Kader Attia. Mais de là à débouler sur un plagiat et au retrait d’un des plus beaux clips de l’année, c’est pire que contre-productif. Au final, les deux sont artistes dénoncent la même chose dans leurs œuvres respectives, c’est dommage que leur message soit oublié au profit d’une polémique inutile. Kader Attia et Dosseh seraient en discussion par le biais d’Universal Music pour trouver un terrain d’entente. On espère tous qu’ils répareront la gaffe du juriste qui n’a pas fait son travail. Sinon, on aura une histoire aussi ridicule que celle d’Orlan portant plainte contre Lady Gaga pour lui avoir piquer l’idée des implants au niveau des tempes, et ça serait quand même triste.

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