Bonjour Bigflo & Oli, vous n’avez pas honte ?

jeudi 7 mai 2015, par Jean-Pierre Elkalash.

Cher Bigflo & Oli,

Tu m’excuseras, je préfère m’adresser à toi comme si tu n’étais qu’une seule et même entité. D’une part je n’ai jamais su vous différencier, d’autre part j’ai l’impression que vous n’avez qu’un seul cerveau pour deux. Cher Bigflo & Oli, donc, je viens d’écouter ton dernier morceau, “Le Cordon”. J’étais jusque là resté assez imperméable à ton rap aseptisé, mais comme la gastroentérite en hiver ou les comédies françaises lourdingues l’été, il y a des catastrophes auxquelles on échappe et d’autres qui vous tombent dessus, à la manière d’une météorite fondant sur Bruce Willis histoire de lui rappeler que la fin du monde est proche.

Petit rappel : chaque année en France, près de 18 000 adolescentes tombent enceintes. Chez les 14-15 ans, 80 % d’entre elles optent pour une Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), 70 % chez les jeunes filles de 16 à 17 ans. Aussi, mon cher Bigflo & Oli, lorsque du haut de tes 22 et 18 ans tu mets en scène le dialogue entre un foetus avorté et sa mère sur fond de culpabilité rose fluo déroulée sur trois minutes d’instru jazzy aussi chiante que le dernier Sinik, il y a de quoi être mal à l’aise.

Tu déclares avoir écrit ce texte à quatre mains, d’une traite, dans ta chambre, “sur le coup de l’inspi”. Pour rester raccord avec le thème, j’ai bien peur que tu te soies contenté du premier jet. Si seulement un condensé de lucidité t’était tombé sur le coin de la gueule ce soir là depuis le vélux de ta résidence étudiante plutôt que cet élan bien pensant, tu aurais sans doute continué d’aligner des rimes multisyllabiques inoffensives, ou mieux que ça, tu te serais peut-être soulagé sur Youporn. Ce n’est pas sale tu sais, c’est ton corps qui change. Sans vouloir te vexer, sais tu vraiment de quoi tu parles ? Je veux bien que les Scouts de France ait le droit de rapper, mais pourquoi t’obstines tu à traiter des thèmes “adultes” quand ton allure juvenile ferait passer Norman et Cyprien pour des vieux sages ? Tu peux pas faire comme tous les mecs de ton age, passer tes soirées sur Call Of Duty et écouter Set&Match en attendant de trouver un stage non rémunéré de community manager chez Butagaz ?

Pour autant, je te concède que talent et sensibilité n’attendent pas le nombre d’années et je suis vraiment ravi que le rap français se soit enfin trouvé un parolier à la hauteur de ses préoccupations. C’est vrai que la naissance c’est sacré, comme dirait Christine Boutin. Mais tu sais en ce moment, la famille, c’est un sujet qui fâche. Ce n’est pas Jean-Marie Le Pen qui me contredira, lui qui doit regretter de ne pas avoir avorté sa fille à mains nues. Hélas, dans le créneau chanson engagée pro-life, tu ne pourras jamais faire mieux que ”Aurélie” de Colonel Reyel. Même si lui était hors-jeu, tant son morceau relevait de l’oxymore. Une hymne anti IVG sur du dance-hall, quand on sait que cette musique, à l’instar du zouk, n’est autre qu’un rapport sexuel debout déguisé en danse, c’est un peu comme si Marc Dutroux attaquait les parents de ses victimes pour négligence.

Alors j’entends déjà annôner tes défenseurs. Ils me réaffirmeront d’un air renfrogné, que bien sûr l’avortement est un droit fondamental pour les femmes, et que ta chansonnette, j’ai rien compris, c’est pas un message sournois pro-life sur fond de boom-bap de centre commercial, pas du tout allons, que vais-je chercher là, ahah Jeffrey remets nous donc des glaçons et oublions ça.

Soyons sérieux, un instant. Un grand esprit de ce siècle, je crois qu’il s’agissait de Dany Dan, déclarait un jour : “Ta mère aurait du mettre une capote ou t’avaler.” J’espère que tu ne le prendras pas mal mais c’est un peu ce que m’inspire ton oeuvre, avec tout le respect que j’éprouve envers ta génitrice.

C’est tout à ton honneur d’ambitionner de sortir le rap de sa misère textuelle, en y injectant des vrais thèmes et du story-telling bien pensant digne de Plus Belle La Vie, mais là, si je peux me permettre, le poisson est trop gros pour tes frêles épaules. Tu es monté trop fin, mon grand, la ligne risque de casser. Les jeux video, le rap, ou encore les nombreuses possibilités de selfie offertes par des bras hypertrophiés me semblent des “sujets de societé” largement plus dans tes cordes. Pour le reste, laisse le planning familial faire son boulot, tu seras bien sage.

Sur ce je te laisse, j’ai rendez vous avec ta conseillère d’orientation.

Bisous, tendresse & handjobs.

 

Article recommandés

Bonjour Marion Maréchal-Le Pen, vous n’avez pas honte ?
Quand il ne s’entraîne pas au tir au pigeon dans nos locaux, Jean-Pierre Elkalash nous livre des éditos sanglants qui font rarement dans la dentelle. Les rafales de son calibre…
Bonjour rap français, vous n’avez pas honte ?
Bonjour mon cher rap français, En ce mois d’avril timide qui voit l’espérance de vie du PS se raccourcir de façon aussi exponentielle que les jupes des filles au printemps,…

les plus populaires