69 rappeurs, un projet : Le Gouffre et la marche en avant

jeudi 1 janvier 2015, par Julie Green.

Le Gouffre, c’est l’histoire de huit bonhommes, Char, Tragik, Fonik, Gabz, Salazar, Brack, L’affreux Jojo et F du Gouffre, tous passionnés de rap. En 2007, ils sortent en guise de carte de visite leur premier cinq titres éponyme. Un EP suivi d’un long silence de plusieurs années, silence durant lequel le collectif va bûcher dans l’ombre, trouvant le temps de sortir L’Apéro Avant La Galette l’année dernière. Jusqu’à ce beau jour d’octobre 2013 où sort enfin la mixtape marathon Marche Arrière, après avoir lâché plusieurs morceaux clipés au cours de l’année.

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Le projet est ambitieux puisqu’on y retrouve pas moins de 69 emcees issus de toute la France, de Belgique et de Suisse. L’ancienne génération (Busta Flex, Pyroman, Koma, Manu Key…) y côtoie la nouvelle génération (Niro, Rabakar, Nekfeu, Alpha Wann, Kema…) tandis que les MCs en vogue (Flynt, Anton Serra, Scylla, Hugo TSR…) posent aux cotés des plus discrets (Sear Lui-Même, Nakk, Swift Guad, Jeff le Nerf…). Rien que pour ça, un immense bravo : ça parait simple, mais putain, fallait penser à aller les chercher les Koriaz et les Laeda pour poser sur le projet.

Ce qu’on retient ensuite dès la première écoute de Marche Arrière, hormis l’impressionnante liste des intervenants – « des rappeurs qui nous ont fait kiffer quand on était plus jeunes, des nouveaux artistes, les membres du collectif ainsi que des rappeurs que nous connaissons depuis longtemps » – c’est la cohérence de sa tracklist. Si vous êtes courageux, allez faire un footing en laissant défiler les morceaux, ça devrait suffire pour vous convaincre. Mais là où le tour de force s’opère réellement, c’est sur l’aspect qualitatif du projet : chacun des morceaux offerts au Gouffre seront autant de morceaux qui manqueront sur les albums de chacun de 69 rappeurs, et à l’heure où il est difficile d’écouter un album sans y repérer les quelques titres un peu « en dessous », Marche Arrière bluffe par sa constance. Alors marche arrière peut-être, mais surtout une grande marche en avant pour le rap.

 

« Des rappeurs qui nous ont fait kiffer quand on était plus jeunes »

 

Une marche en avant pour l’effort collectif, certes, mais aussi une marche en avant pour l’inépuisable force du thème, ici tordu dans tous les sens, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’incohérence, jusqu’à l’inévitable redondance, mais putain, avec quelle créativité et avec quelle conviction. Une marche en avant, on l’espère, pour le featuring, que l’on a peut-être trop tendance aujourd’hui à enregistrer dans l’unique but d’écouler davantage de copies grâce à un duo bien senti et sorti au bon moment. Pas de méprise : aucun feat sur la mixtape, cependant la question de l’importance d’une énergie collective se pose inévitablement devant le tour de force opéré par le Gouffre sur Marche Arrière. Ici, la notion de featuring redonne ses lettres de noblesse à l’écriture et au format de la mixtape, qui, bien que particulièrement dense, passe grâce à la variété des MCs à coté des affres de l’ennui et ne s’essouffle jamais. Et pendant 2h et 33min en 2013, c’était pas gagné d’avance.

Marche Arrière, sorti le 7 octobre, reste pourtant une mixtape assez confidentielle. Si certains morceaux totalisent plusieurs centaines de millions de vues sur Youtube et que la tape se vend « bien plus que nos espérances« , on est loin des scores faramineux d’un Or Noir de Kaaris, pour ne citer que lui, sorti une quinzaine de jours plus tard. Et on déplore une nouvelle fois le manque d’espace médiatique offert au projet, monopolisé de toutes parts par un rap plus vendeur, plus jeune et sexy. C’est un autre débat. « On veut rester fidèles a nous-même et faire le son qu’on aime« , une priorité clairement affichée.

Et pour ne rien gâcher, ils transforment l’essai dans un jeu de société sorti en marge du projet : « C’est un appui commercial, histoire de marquer notre différence. C’est un vieux rêve de gosse pour Char qui en a assuré la conception, F lui s’est occupé de la fabrication. La production, la réalisation, c’est eux aussi. » La machine est en marche.

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