De Mulhouse à Mumbay, le jeu de main de Chifumi

mercredi 14 mai 2014, par Marine Cagniet.

On connait tous Chifoumi, ce jeu de mains “Pierre-Feuille-Ciseaux” grâce auquel on désigne les perdants pour faire la vaisselle les lendemains de soirée. Parce que faire la vaisselle c’est bien sympa mais qu’on peut quand même utiliser ses mains autrement, on est parti à la rencontre de Chifumi, street-artiste made in France et globe trotter.

Tout commence à Mulhouse, alors que Chifumi fait ses études aux Beaux-Arts. Il découvre les travaux de Daniel Buren et Robert Smithson, qui lui donnent illico l’envie d’aller au delà des murs d’une galerie. Puis très vite, ce sont la morosité et la froideur de l’Alsace qui le poussent à partir pour l’Europe du Sud et l’Asie. Rencontre.

SURL: En voyant qui sont tes idoles, on comprend d’où vient ton intérêt pour l’art public. Comment prends-tu en compte l’espace public dans ton travail ?
Le contexte est le premier truc que je prends en compte lors d’une installation. Je dessine et conçois le projet en fonction du lieu et non l’inverse. Mais souvent c’est vrai que certains détails de l’oeuvre ne peuvent être compris que si l’on visite le lieu. Par exemple ce mur que j’ai réalisé à Phnom Penh reprend des éléments présent sur une porte de pagode situé juste à coté. C’est un temple très réputé au centre ville et l’architecture de cette porte donne un ton architectural imposant sur tout l’espace. Malheureusement sur la photo ça ne se voit pas car il faut une vision d’ensemble.

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J’arrive sur les lieux et découvre qu’il y a en fait un lac artificiel et que le terrain est infesté de cobras royaux.

En Inde, j’avais eu l’occasion de faire réaliser une sculpture par une équipe de Bollywood. Le plan était vague, on m’avait mis en relation avec un festival de musique de la banlieue de Mumbay. J’étais à Goa à ce moment là, et le directeur artistique m’avait vite dit de venir voir si un mur m’intéressait, sans pour autant donner aucun autres détail. Quinze heures de train en 2ème classe qui sent le tchaï et les samoussas sur-épicés, j’arrive sur les lieux et découvre qu’il y a en fait un lac artificiel et que le terrain est infesté de cobras royaux. J’ai voulu jouer avec ce contexte, en imaginant une installation visible en tout point du festival qui reprendrait tous ces éléments. Au final, l’équipe de cinéma Indienne à réalisé l’oeuvre selon mes plans en 3 jours, mais s’indignait dès que je voulais mettre la main à la pâte. Alors qu’en Europe les artistes réalisent leurs travaux de A à Z, en Inde le système de caste rend les choses bien différentes.

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Le regard que porte le public dans certains pays d’Asie est relativement différent des occidentaux.

Comme tu viens d’en parler, tu as beaucoup travaillé à l’étranger, notamment en Asie. Qu’est-ce qui t’as le plus marqué de ton expérience là-bas ?
Quand tu voyages et que tu peins dans les rues, il y a un moment où tu dois absorber et t’imprégner du contexte culturel. Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les artistes nomades, qui à la manière du graffiti, affichent le même message sans le changer un peu partout sur la planète.

Le regard que porte le public dans certains pays d’Asie est relativement différent des occidentaux. Par exemple le noir et blanc est synonyme de mort et de fantômes, c’est une culture populaire très encrée et donc mal vue. Je sais également que si je peins des yeux énormes sur les façades des maisons cambodgiennes, les habitants vont très rapidement les effacer. Cela leur rapporte à une mystique relatant du magique et du néfaste.

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Les mains sont la base de la communication, je les comprends dans ton travail comme double sens. A la fois porteuse d’un message selon leur position, mais aussi avec les inscriptions/tatouages ou accessoires qui les entourent. Comment en es-tu venu à travailler sur les mains ?

A mes débuts j’avais réalisé quelques collages sur une thématique très différente. Mais les réactions des passants et des riverains n’étaient pas positives, au contraire je leur envoyais l’image remplie de fantasmes délirants sur les ghettos et banlieues. S’exprimer dans la rue, essayer de faire du lien social par ce biais là c’était donc à leurs yeux un acte usant de l’esthétique de la violence et des échecs utopiques.

Ces réactions m’ont paru tellement absurdes que j’ai voulu les amplifier et les mettre au coeur de mon expression. J’ai choisi les mains pour afficher des signes de gangs américain sur les rues de ma ville : je « tag » la rue alors je suis un gangster ! Je ne sais pas si mon humour à très bien été compris mais j’ai pris beaucoup de plaisir à plagier la violence.

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Chifumi est actuellement à Kathmandu au Népal. Il s’y rend pour un projet de mural pour le Rootdown festival, qui aura lieu les 23 et 24 mai prochain. 

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