Block Party a dix ans : retour sur un film historique

jeudi 3 mars 2016, par Robin Berthelot.

Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Soyez Sympas, Rembobinez, L’Ecume des Jours… C’est peu dire que la carrière de Michel Gondry a de la gueule. Pourtant, au cœur de sa filmo se cache un film en apparence assez mineur mais pourtant essentiel. Il s’agit de Block Party, ou plus précisément Dave Chappelle’s Block Party, la captation d’un concert unique organisé à Brooklyn en 2004. En plus d’être un film-concert, le long-métrage est aussi un précieux document sur ce que le hip-hop est à l’époque – et même sur les changements de l’Amérique d’alors.

En 2004, Dave Chappelle est probablement l’un des entertainers les plus puissants d’Amérique. Son Chappelle’s Show, diffusé entre 2003 et 2006, connaît un franc succès et le magazine Esquire ne tarde pas à le sacrer « génie comique américain ». Ayant à l’époque les coudées franches pour faire à peu près tout ce qu’il veut, Chappelle décide de mettre sur pied un projet ambitieux : une block party. A l’image de celles organisées à Brooklyn dans les années 70 et qui ont joué un rôle décisif dans l’émergence du mouvement hip-hop.

Fort de son influence dans le show-biz, Chappelle décide de convier pour « la block party qu’il a toujours rêvé de voir » la crème des artistes hip-hop. Puisque le show se passe à Brooklyn, ceux qui ont contribué à mettre le borough sur la carte du hip-hop cainri sont de la partie, comme Mos Def ou Talib Kweli. Chappelle s’avère aussi malin lorsqu’il fait venir Kool G Rap et Big Daddy Kane, comme pour payer un tribut justifié à ces défricheurs originels. Et il s’avère carrément déterminé – ou mégalo ? – lorsqu’il décide de… faire se reformer les Fugees, alors brouillés depuis années. Saupoudrez le tout de crooners (John Legend) de soul divas (Miss Jill Scott, Erykah Badu) et même d’un marching band universitaire : Block Party est un film gonflé à bloc, fait de numéros musicaux déments entrecoupés seulement par les blagues imparables de Dave Chappelle.

Mais la présence de tous ces artistes ne saurait occulter la présence d’un autre, à qui il suffit de peu de scènes pour voler la vedette. C’est évidemment de Kanye West dont on parle. Quand le film est tourné en 2004, Yeezy n’est « que » le beatmaker talentueux passé de l’autre côté de la cabine d’enregistrement avec un premier album prometteur, The College Dropout. Quand le film sort en 2006, il a déjà gagné six Grammy Awards et l’album a gagné son statut de classique instantané. En un sens, Block Party est aussi historique parce qu’il témoigne de ce moment dans l’histoire du hip-hop où les rappeurs ne feront même plus semblant d’être des gangsters purs et durs et se mettront à disserter sur autre chose que sur les guns et la street. Plus que quiconque, Kanye sera l’instigateur de cette tendance, devenue commercialement viable le jour où il infligea une bonne rouste à 50 Cent dans les charts. Il n’est d’ailleurs pas le seul nouveau visage à apparaître dans le film. Saurez-vous retrouver J. Cole, jeune étudiant qui hoche la tête dans le public ?

La résonance politique d’un projet comme Block Party n’est pas non plus à occulter. Le choix de New York comme lieu de célébration, d’abord, est évidemment loin d’être anodin. Logique au vu du passé de la ville avec le hip-hop, il l’est aussi en tant que cadre de captation de cette gueule de bois de la deuxième moitié des années 2000. Le tristement célèbre W rempilera pour 4 ans à la Maison-Blanche mais les habitants de Brooklyn croient déjà en demain. Pour s’en convaincre, il suffit de voir cette scène où Wyclef Jean fait répéter à des gamins d’une école locale les paroles de chanson « President », sans doute l’un des morceaux à avoir annoncé l’ère Obama avec le plus de justesse. C’est d’ailleurs à Wyclef que l’on laissera le mot de la fin pour résumer à la fois Block Party et l’Amérique de l’époque : « but the radio won’t play this, they call it rebel music, how can you refuse it, Children of Moses ? »

Brève inspirée par l’article « How Dave Chappelle’s Block Party charted hip-hop’s evolution » d’MTV.

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