Kevin Gates, le Luca Brasi de Baton Rouge

jeudi 1 janvier 2015, par Simon Boileau. .

« In a rain storm in the blizzard, expressing all of my feelings Paps never took me serious, Mama never wanna listen, Stomach hurting, my pockets empty, how dare a nigga wanna tempt me, In a dark room, all prayed out, ain’t never sat in no Bentley. » — Kevin Gates, « IDGAF »

 

Voilà quelques jours,on me faisait une offre que je ne pouvais pas décemment refuser, même en plein rush de fin de semestre : un article sur une nouvelle tête du rap game, et non des moindres. Kevin Gates. Il y a un peu plus d’un mois de ça, The Luca Brasi Story s’invitait discrètement dans la sphère Datpiff. Sans trop tarder, le projet connaissait alors un joli succès d’estime sur les blogs et webzines US spécialisés et était même parfois bombardé meilleure mixtape de l’année (rien que ça !). Dans la foulée, l’outsider de Cash Money signait chez Atlantic Records. À l’aube de la carrière toute neuve de Kevin, SURL te propose un focus sur ce qui s’annonce doucement mais sûrement comme la relève du rap sudiste (le vrai, celui qui a pas l’accent à Jean-Claude Gaudin).

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Kevin Gates. Né en 1986 à Baton Rouge, passé par la case prison sans toucher 20 000 $ entre 2009 et 2011, deux larmes d’encre au coin de l’oeil gauche, une étoile au droit; mais surtout, plus intéressant, une voix chaude et grave propice aux refrains soul. Assimilé à tort à Drake ou encore Future à cause de sa propension à alterner rap et chant, Kevin a la crédibilité et le vécu qui font défaut au premier (started from the bottom ? mouais…) et la technique vocale impeccable dont le second pallie les imperfections à renfort d’autotune.

Avant d’être condamné pour possession d’armes et trafic de stupéfiants, le fils prodigue de Baton Rouge ne concevait le rap que comme un loisir, un exutoire ponctuel avant de retourner battre le pavé pour écouler sa marchandise. À sa sortie de taule, il décide d’embrasser la carrière de rappeur en s’appuyant sur une fan base déjà conséquente et avide de nouveautés dans sa ville natale. Il enchaîne les mixtapes, signe sur le label Cash Money mais, de toute évidence, ne bénéficie pas de l’exposition qu’il mérite. Après avoir trop longtemps chauffé le banc de touche à l’ombre des cadors de l’écurie Birdman, Gates s’apprête enfin à briller dans la cour des grands. Une sortie de très bonne facture sous le pseudonyme un peu ingrat de KVN Gates fin 2012, une apparition remarquée sur Wrath Of Caine de Pusha T (« Trust You ») puis dernièrement l’excellente mixtape The Luca Brasi Story lui ont enfin permis de décrocher le sésame vers une carrière pérenne que constitue la signature en major.

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Grand fan de films de mafia, Kevin Gates profite de son dernier projet pour rendre hommage à la figure de Luca Brasi à laquelle il s’identifie volontiers. Incarné à l’écran par Lenny Montana, le protecteur de la famille Corleone dans Le Parrain cristallise les valeurs de loyauté et de sincérité chères au kid de Baton Rouge tout en étant un redoutable tueur à gages. Au prisme de cette comparaison revendiquée, on a un bel aperçu de la personnalité musicale complexe, ambivalente, de Gates, entre rap de rue pur et dur et passages chantés emplis d’émotion (avec même une référence à Twilight, c’est dire). La sincérité viscérale du bonhomme est la clef de voûte qui concilie ces deux pôles a priori antagonistes, hymnes de voyous comme « Paper Chasers » et odes amoureuses à la « Arms Of A Stranger ».

 

« I have a nice ass following, but I don’t pay attention to that. When you start paying attention to your fanbase and you start paying attention to your following, I notice that other artists, they do things to get more followers. I’m not doing that. I am continuing to make great music. » — Kevin Gates

 

Kevin affirme écrire pour lui au premier chef, sans calcul ni intention de plaire. Il prétend par ailleurs ne jamais connaître l’angoisse de la feuille blanche lorsqu’il s’agît d’aligner les rimes sur son vécu (et au regard des 22 titres au compteur de sa dernière cassette, on veut bien le croire un tantinet prolixe). Son « reality rap » a déjà séduit le public de Baton Rouge où il est devenu une icône locale. Storytellin’ sur fond de pauvreté, deal, prison, hustling et histoires de meufs: ses thèmes de prédilection sont des poncifs du hip-hop, rien de nouveau sous le soleil de Louisiane de ce côté là. Pourtant, le « ghetto reporter » aborde ces sujets de façon sincère, rafraîchissante et décomplexée. De quoi justifier que le succès du chantre local dépasse largement le bout de sa rue.

Sur les 22 titres de « The Luca Brasi Story », aucun morceau ne vient sérieusement faire pêcher l’ensemble. Bien que longue (un peu trop ?), la tape est cohérente et d’une exigence digne d’un album, sans fausse note. Les productions sont remarquablement bien choisies. Mêlant spanglish (« Narco Trafficante ») et tour à tour mélodies sirupeuses ou flow racailleux, Kevin Gates connaît son affaire en matière de musique et exploite ses talents avec un panache certain. Curren$y et Master P viennent lui prêter main forte, entre autres invités. On notera un morceau mettant Eminem à l’honneur, le bien nommé « Marshall Mathers ». Effectivement, le rappeur déclare: « I am an Eminem fan […]. Sometimes, I feel like Marshall Mathers because he is a very talented, talented artist, but he is also misunderstood. » Un drop a capella simplement rythmé par des percussions sur la cage thoracique vient conclure magistralement cette démonstration de rap. Pas de doute possible, les skills sont bel et bien au rendez-vous.

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Aussi, même avec un Lil Boosie sous les verrous, le rap de Louisiane n’a pas dit son dernier mot. Kevin Gates, artiste talentueux et attachant, prend le relais et est déterminé à continuer à pousser ses chansonnettes devant un auditoire toujours grandissant. Rappeurs-chanteurs à la petite semaine, tremblez: Luca Brasi est à vos trousses, gare au retour de Baton !

P.S. : Mes plus plates excuses à mon lectorat pour ce calembour foireux mais je me suis juré de le placer coûte que coûte.

 

« You’ve got to move different. When you go from being a boss, to being a prince, to being a don, you’ve go to move different. I never wanted to be a King. Kings get their head cut off. I holler “Kevin Gates for president” all the time. Let me be the president of the streets. That’s really where I’m at with it. Somebody could take something from my music, it maybe gave them enlightenment. I painted a great picture. I gave insight to a world they will never live in. I did my part. I don’t look at myself as something bigger than what’s going on around me. I just look at myself as the small piece of the puzzle. » — Kevin Gates

 

Sources :

« Who is Kevin Gates ? », David Drake (Complex)
« The Come Up: Kevin Gates », Eric Diep (XXL)
« Rap release of the week: Kevin Gates The Luca Brasi Story », Brandon Soderberg (SPIN)
« The Luca Brasi Story review », Craig Jenkins (Pitchfork)
« Kevin Gates, la perle de cash money », Pure Baking Soda (Def Jam France)

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