La Cabane à Sucre, quand l’art se cache

lundi 13 octobre 2014, par Marine Cagniet.

La galerie Fresh Paint, pour ceux qui ne connaitraient pas encore, est un espace d’exposition à Montréal accueillant des artistes issus des cultures graffiti, street-art ou encore de l’illustration. Sur SURL, on vous a déjà parlé de plusieurs de ses artistes mais au rythme d’une exposition tous les deux mois et d’une dizaine d’artistes par expo, il est difficile de vous faire découvrir tous les talents qui se cachent derrière les murs de Fresh Paint. C’est pourquoi nous nous associons le temps d’un partenariat afin de partager leurs découvertes. Une ligne directe entre l’hexagone et le pays du caribou.

Pour ce premier temps fort, focus sur le projet collaboratif la « Cabane à Sucre », sorte de Tour Paris XIII canadienne où des artistes de tous bords se sont associés pour embellir un bâtiment en friche.

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C’est avec l’intention de bombarder la ville de Montréal de son art que l’artiste américain Turtle Caps, aussi connu pour son art engagé, fait son arrivée depuis New York. Keith, alias Turtle Caps, vit de contrats de décoration d’intérieur dans un immeuble à trois étages tout près du Quartier des Spectacles. La visite d’un batiment délabré, sale et abandonné, lui donne l’idée d’organiser un jam de peinture avec ses amis artistes. Ledit jam aura duré douze jours et rassemblé une quarantaine d’artistes. Plusieurs d’entre eux sont même allés jusqu’à dire que ce qu’ils avaient vécu était, possiblement, l’expérience d’une vie. Le projet a été nommé “Cabane à Sucre”, allusion à la galerie en plein air de l’artiste new-yorkais Hanksy.

La création d’art est une expérience plutôt isolée. Le jam visait donc de rassembler un groupe d’amis, de s’amuser, de rencontrer de nouvelles personnes et de partager des histoires. Pour Tyler Rauman, un artiste associé au regroupement « En Masse », la meilleure chose qu’il retiendra au sujet du projet aura été le découverte de la diversité de pensée chez tous les artistes.

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Une question demeure : pourquoi choisir un espace impossible d’accès au public, alors qu’il y a des tonnes de bâtiments abandonnés à Montréal comme partout ? Pour Turtle Caps, c’est un emplacement qui se devait d’être revampé. Le fait que le jam soit situé sur un terrain privé lui permettait d’inviter des illustrateurs ou des peintres qui ne sont pas habitués à s’exercer dans la rue… sans risque qu’ils se fassent arrêter. Conscient des mélanges qu’il fait entre artistes, Turtle Caps s’interroge : « Parce qu’un gars est un artiste de graffiti et l’autre un illustrateur ou un peintre, ils ne peuvent pas tous se tenir ensemble et partager le même entourage ? » Pour lui, cette logique ne tient pas la route puisqu’au fond, tous font déjà parties de son entourage à lui, tous sont ses potes. Pourquoi ne pourraient-ils pas tous être artistiquement amis malgré la diversité de leurs arts ?

Dans un autre ordre d’idée, le terme “secret” employé pour décrire la galerie a fâché bien des puristes. À la base, le terme se devait d’être utilisé afin de respecter la vie privé des locataires des logements au travers desquels il fallait passer pour accéder à la Cabane à Sucre. Malheureusement, son utilisation a engendrée de nombreuses critiques, dans le sens où plusieurs ont dénoncé le fait qu’il ne respecte pas l’essence de l’art urbain. Difficile de donner du crédit à cette critique, tellement il est (très) délicat de trouver deux personnes dans ce monde ayant la même et unique définition de ce qu’est – ou devrait être – l’art de rue. Une question, surtout : est-ce normal et légitime que de l’art inaccessible, si beau soit-il, puisse obtenir autant de couverture médiatique alors que l’intention première était toute autre ?

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Peu importe. Au cours de la période de douze jours, il y a eu énormément de va-et-vient d’artistes. Certains d’entre eux avaient déjà des engagements ailleurs ; d’autres, tels que Jonathan Himsworth, ne savaient tout simplement pas dans quoi ils s’embarquaient. Un artiste de renom pouvait peindre à côté d’un artiste moins connu, sans que ça cause quelconque problème ou gêne. Sans que le jam soit organisé à la manière d’un festival, il a tout de même été réfléchi d’un point de vue artistique : quel style irait bien aux côtés de tel autre style ? Chaque jour, les artistes présents y ont mis toute leur ardeur et le résultat s’est avéré être époustouflant. En voyant les efforts mis par ses amis dans le processus et sachant que bon nombre d’eux se font fermer des portes à des projets en ville, Turtle Caps a décidé de contacter la presse. Conscient qu’il se ferait probablement critiquer en le faisant, l’artiste a décidé de prendre le blâme si blâme il y avait à prendre. Tout a été pensé dans le simple but de donner de la visibilité aux participants.

Les artistes ont vite été exposés à de nombreuses critiques, la plus fréquente étant le fait que la galerie soit privée. « De l’art qui n’est jamais vu du public, il s’en fait constamment. Nous sommes désolés que vous ne puissiez pas visiter cette galerie mais sachez que grâce à cette expérience, la communauté artistique de Montréal est dorénavant plus solide. À travailler avec d’autres artistes, on ne peut faire autrement que devenir meilleur soi-même« , confie Tyler Rauman.

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Somme toute, la confidentialité du projet et du lieu ont été respectés. Toutefois, Turtle Caps et beaucoup d’autres artistes se sont vexés envers le peu de gens qui se sont introduits par effraction dans la Cabane à Sucure. D’autres étiquetaient le projet comme étant un oxymore, à savoir une initiaitve devenue un poil trop commercial. À cela, l’artiste new-yorkais répond : « Il n’y a pas de règles à l’art. Comment pouvez-vous commencer à me dicter des règles ? Il y a certaines choses dans la vie auxquelles on ne peut pas assister. Cabane à Sucre était un jam entre moi et mes amis et vous l’avez manqué, parce que vous n’êtes pas mon ami. Fait est que 41 de mes amis sont des artistes bourrés de talent. » Rauman partage le même point de vue et pense qu’il est « absurde de dire à un artiste qu’on admire la façon dont il doit travailler, pourquoi il doit travailler, ce qu’il est autorisé à faire ou non… C’est étouffer sa créativité ».

Article par Zoé Bélisle-Springer

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