Hoop Dreams, le « blueprint » des documentaires

jeudi 13 juin 2013, par Antoine Laurent.

Quand Steve James et William Gate sortent « Hoop Dreams », ils pensent avoir réalisé un excellent documentaire sur le basket. Mais le film de près de trois heures – il devait initialement durer une trentaine de minutes – est rapidement devenu bien plus que ça : en dressant un portrait pragmatique de la vie en banlieue américaine et du pouvoir du rêve, « Hoop Dreams » est finalement devenu un document référence bien au-delà du monde de la balle orange.

Il y a quelques semaines, je retrouve un ami, lui aussi rédacteur sur SURL, autour d’un bucket à Paris. Il était depuis peu en stage pour 360 Creative, la boîte de production français. Il m’explique que l’ensemble de la boîte bosse sur le documentaire « Doin’ It In The Park » – nous étions à deux semaines de sa sortie. Lui, véritable vivier de culture hip-hop, n’a aucune, mais alors aucune culture sportive. Je ne comprends toujours aujourd’hui pas comment l’on peut baigner autant dans le achipé achopé sans avoir, au moins en surface, de vagues connaissances basketballistiques, tellement les deux cultures sont liées. Je me souviens de ses mots : « C’est un documentaire sur le basket, tu vois. Mais pas le basket genre la NBA, c’est sur le basket… pas officiel. » Du « basket pas officiel », voilà ce qu’était devenu dans sa bouche la culture du playground, le « streetball », le truc qui nous fait suer l’été sur les bitumes de France et de Navarre. Pour lui, le basket n’était qu’un sport qui se jouait en short sur un parquet luisant. Le bruit d’une gonfle sur de l’asphalte, il y était complètement étranger. J’en ris niaisement et lui parle un petit peu de cette autre facette de la balle orange en visionnant une nouvelle fois le trailer du doc. J’évoque le documentaire « Hoop Dreams » que j’ai vu la veille et le décrit comme une référence.

Deux jours après, il m’appelle en me disant que « Doin’ It In The Park » est classé 25e meilleur documentaire de sport de tous les temps, selon le classement de Complex Magazine. Le numéro un ? « C’est le truc dont tu m’as parlé, ‘Hoop Dreams’. » Le problème, c’est que cantonner « Hoop Dreams » dans la catégorie des documentaires de sport lui enlève un peu de sa superbe, tellement il est bien plus que la simple trajectoire d’un sportif pendant 2h50 de film.

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Pour beaucoup, « Hoop Dreams » est considéré comme un « landmark documentary », c’est à dire que dans l’histoire des documentaires, il fait date. Il y a ce qui a été fait avant « Hoop Dreams », et ce qui a été fait après. Le pitch est assez simple : comme des millions de gamins, Arthur Agee et Williams Gates rêvent de jouer un jour en NBA – ça tombe bien, ils en ont tous deux les qualités. Le doc débute à la fin des années 1980, quand les deux gamins de 13 ans sont recrutés pour jouer pour un lycée d’un quartier assez huppé de Chicago, à 1h30 en dehors de la Windy City. Alors que les deux bonhommes ont des étoiles plein les yeux et de la confiance plein les baskets, ils comprennent vite ô combien la route sera encore plus dure qu’ils ne l’avaient imaginé. Leur scolarité, l’argent, leurs troubles familiaux et des histoires politiques s’installent progressivement comme barrières de plus sur le chemin qui les amène au cercle, leur ultime but. Malgré tout cela, ils gardent la foi et entraînent les réalisateurs dans leur sillage, même lorsque la grande ligue se fait de plus en plus lointaine. Alors que les vidéastes auraient pu abandonner le projet en voyant qu’il y avait finalement peu de chance de les voir un jour être draftés, ils persistent et suivent le parcours de ces gamins que la vie n’a pas épargné.

Le documentaire est vrai, fidèle. Fidèle à une réalité à laquelle l’on s’intéresse rarement quand on veut faire un film sur le basket : celle de milliers de gamins qui doivent nager à contre-courant, dans une mer de difficultés sociales, économiques et sociétales pour espérer atteindre le rivage – alors que d’autres le fond en hors-bord. Comment, dans cette galère qui est la leur, arriver à se créer une identité propre tout en maintenant un semblant d’intégrité, le tout en prouvant aux cerbères des portes du basket professionnel que vous avez le niveau pour qu’il vous laisse entrer. C’est cette équation complexe qu’Arthur Agee et Williams Gates essaient de résoudre pendant les cinq années du reportage. Tour à tour, les rôles s’interchangent : quand l’un est au plus bas, l’autre suit son chemin, et vice-versa. Alors que tout semble sourire à l’un, c’est finalement l’autre, alors au fond du sac, qui finira par trouver un semblant de réalisation personnelle pendant que son comparse verra tout s’écrouler devant ses yeux.

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19 ans après sa sortie, « Hoop Dreams » a réalisé 11 millions de dollars au box office – pour un budget initial de $700 000. Entre 1994 (année de sa sortie) et 1995, il a récolté une bonne dizaine de récompenses, dont plusieurs comme « Meilleur documentaire » – au Sundance Festival et au Los Angeles Film Critics Association, notamment. En 2007, il a été nommé meilleur documentaire de tous les temps par la International Documentary Association.

 

« People always say to me, ‘when you get to the NBA, don’t forget about me’. Well, I should’ve said back, ‘if I don’t make it to the NBA, don’t you forget about me’ »

 

J’ai voulu en discuter avec un connaisseur, pour savoir si c’était vraiment une sorte de « blueprint » pour tous les réalisateurs, journalistes et autres qui voudraient s’essayer à ce genre de documentaire. Je suis aller cherche Nico Venancio, moitié de Gasface avec Mathieu ‘Groswift’ Rochet, réalisateur de « New York Minute » et de « Lookin4Galt », pour avoir son avis sur la question :

SURL : En fait, c’est juste que je trouvais ce documentaire très, très avant-gardiste dans la forme. L’ensemble est raw ; le sujet du doc devient plus large au fur et à mesure que le temps passe : de la trajectoire de deux gamins qui veulent devenir basketteurs pros, on passe sur un portrait des banlieues de Chicago au début des années 1990, sur l’histoire d’une famille détruite par leur crackhead de père [cf la photo ci-dessous, une des scènes les plus éloquentes du film où le daron d’Arthur choppe du crack au coin du terrain, sous les yeux impuissants de son gosse], etc.

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Nico Venancio : Je l’ai pas vu, je veux bien un lien !

Et bam, ma théorie tombe à l’eau. Je lui envoie un lien, il le mate le soir même et l’on en discute par mail le lendemain.

SURL : Le ‘Doin’ It In The Park’ de Bobbito Garcia et Couliau s’en est forcément inspiré, comme tous les docs sur le basket post-1994. Vu que tu ne l’avais pas vu, ça ne pouvait pas être une forme d’inspiration pour toi, mais tu connaissais de nom ? On t’en avais parlé ? Après l’avoir vu, tu en penses quoi ? Tu n’es pas impressionné par sa dimension, à la fois dans la manière avec laquelle il a été conçu mais aussi dans son son contenu ?

NV : J’imagine qu’un mec comme Bobbito l’a vu, ouais. Y a un doc qui était sorti mid-nineties avec une BO de dingue, c’était ‘Soul in the Hole‘ qui était distribué en salle en France, ça ressemble pas mal a celui-là, en moins deep. Moi je connaissais pas, ni Mathieu ; on pensait que c’était le doc sur le basketteur taulard d’Oakland qui a influencé Payton [ndlr, le documentaire ‘Hooked‘ sur Demetrius Mitchell – une belle histoire mais un manque évident de contenu]. C’est un gros taff, ils les suivent longtemps, ça se sent qu’il a des moyens (un peu comme ‘A Tale From the Hood‘). Moi j’aime bien parce que ça évoque les mid-nineties, la NBA de l’époque, le basket juste avant l’invasion de la génération hip-hop (Fab Five). Chicago a une histoire de playground légendaire, le Cabrini PJ’s est connu comme le plus gros ghetto des US.

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SURL : Est-ce que ça vous est déjà arrivé de choisir un angle pour un projet, et pendant la réalisation du truc vous vous rendez compte que l’angle s’élargit progressivement, au point d’apporter une toute autre dimension au sujet de base ? C’est justement le cas dans ‘Hoop Dreams’ qui commence par être un doc de basket, et qui finit par être aussi un doc sur la vie dans les ghettos de Chicago.

NV : Je pense que c’est un procédé de narration classique, que le réal le fait a dessein. C’est raconter une grande histoire – Chicago, les ravages de la drogue, etc…  – au travers de l’anecdote qui est de suivre deux basketteurs. C’est comme chercher un vieux à New York pour faire un doc sur le sample. Le réalisateur n’a pas choisi ces deux jeunes au profil singulier, noirs, ghetto, pauvres, mais identiques par hasard : la NBA est d’autant plus un ‘hoop dream’ qu’ils sont fauchés comme les blés. Il aurait pas choisi un blanc de classe moyenne qui rêve d’être Larry Bird. Parce qu’entre les smacks du breakfast, le carnet de notes moyen et les branlettes avec sa moyenne bite, ça aurait eu moins de résonance sociale. Quoique… ça aurait fait fait les ‘Blancs ne savent pas sauter’ avant l’heure et on aurait bien rigolé.

À tous ceux à qui l’on aura donné envie, il suffit de cliquer ci-dessous et d’avoir deux-trois heures à tuer.

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