Interview – Adian Coker, la relève du rap britannique (1/2)

mardi 20 août 2013, par Antoine Laurent.

De passage à Londres, on s’est posé une heure dans un café de Liverpool Street avec le très prometteur emcee britannique, Adian Coker. Tout commence en 2010, lorsqu’à 22 ans il balance des phases dans une boutique de Londres, YoYo. Sur place, un français installé chez les brits depuis quelques années, Michael Colier, assiste au mini concert et lui propose de travailler ensemble. Enfin, « c’était pas une rencontre business » comme nous l’a expliqué l’anglais, c’était juste un déclic entre deux mecs – « no homo« , comme dirait Roy Hibbert – avec la même vision de la musique. « Moi j’étais à la recherche d’un nouveau manager et il m’aidait avec ça. » Une rencontre change tout : Michael se met à bosser avec un certain Adam Hunt, manager de Charlie Winston, entre autres. Expérience et financement, voilà ce qui manquait au Frenchy pour véritablement se lancer et proposer à Adian de prendre en charge son management. « On a les mêmes intérêts, les mêmes perspectives, les mêmes avis : c’était une évidence. » L’Anglais accepte et le défi prend forme : redonner au hip hop britannique ses lettres de noblesse avec un emcee qui a tout pour y arriver. Entretien exhaustif avec Adian Coker autour de la scène british, de la concurrence permanente du rap U.S. et du besoin identitaire d’un hip hop aux habits exclusivement rouges.

SURL : Avant 2010, tu faisais quoi ? T’as pas commencé de zéro.
Adian Coker : J’avais balancé une mixtape, « The Colour of Magic » [aujourd’hui presqu’introuvable sur le net, mais qui circulait sur Datpiff à l’époque] et c’est d’ailleurs comme ça que Michael est venu me voir, il l’avait écouté. Et en gros… ben ça n’a pas marché. Mes managers n’avaient pas… (il hésite) bref, c’était une mixtape gaspillée. Donc non, on n’a pas vraiment commencé de zéro, mais si. Parce que cette tape n’a rien fait du tout, ça ne m’a pas du tout aidé, les mecs qui s’occupaient de moi l’ont mal fait tourner. Tout ce qui concerne ce moment de ma carrière, c’était pas moi. L’identité visuel, la promotion… c’était pas moi. Mais bon, ça devait arriver ! C’est pas si grave mais je suis content que ça soit du passé.

Donc ce que tu fais aujourd’hui, c’est davantage « toi » ?
Complètement. C’est complètement moi. La première mixtape, c’était moi qui essayait de montrer que je pouvais kicker sur des beats lourds, en gros. La deuxième mixtape [ndlr, « Lights Fantastic », sortie en novembre dernier], c’est moi qui montre aux gens que je peux être musical. J’ai essayé de faire de vraies « chansons », de montrer que je peux être un véritable artiste hip hop plus qu’un simple kicker. Je pense être un mélange de plein de choses, et c’est ce que je montre à travers mon disque. Je suis bien plus confiant qu’avant, même quand je rappe. Sur « Cream » par exemple, je me sens bien plus relâché qu’avant, c’est beaucoup plus naturel. J’écoutais « Angels & Demons » l’autre fois et je me disais « putain, pourquoi t’as l’air si énervé !« .

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Pourtant le visuel de « Cream » est bien plus vener que celui d' »Angels & Demons » ? 
Ouais, t’as pas tort. Je ne pense pas que ça soit vraiment conscient, c’est… (il réfléchit) c’est surtout à cause du réalisateur, en fait. Quand je fabrique un beat, je vois des couleurs, je vois la musique en couleur. Sur « Cream », je voyais du bleu foncée, un truc sombre, et ce sont ces images là que j’ai envoyées au réalisateur [ndlr, Drew Cox]. Il les a pris et en a fait quelque chose de plus grand, notamment par rapport au truc façon « illuminati ». D’ailleurs, un de mes potes m’a sorti l’autre fois sur Whatsapp : « Adian, je t’en prie, écarte toi des illuminatis. » What the fuck ? (rire) Non, mais sinon je pense que les gens l’ont plutôt bien appréciée [la vidéo] parce que c’est une petite oeuvre d’art. Esthétiquement, ça envoie. Beaucoup de gens apprécient le fait que tu te donnes du mal à faire des vidéos.

C’est peut-être ça d’ailleurs la bonne recette aujourd’hui, faire l’effort de réaliser de vraies vidéos. Le réalisateur qui avait fait « Angels & Demons », Tim Brown, est en train de se faire un nom il me semble ?
Ouais, il a bossé pour Tinie Tempah. C’est lui qui a fait « Frisky » et « Pass Out ». Mais ces deux clips ne l’ont pas trop trop fait connaitre, c’est aujourd’hui qu’il commence à devenir big. Avec Michael, on savait que c’était lui qu’on voulait. On a cherché pendant longtemps parce que c’est super important pour nous. On l’a contacté et on a mis Adam Hunt [le fameux manager cité en introduction] sur le coup. Du coup il a réalisé une vidéo pour Charlie Winston [ndlr, le titre « Happiness »] avec une grosse partie du budget et une vidéo pour moi avec le reste. Ca a vachement aidé qu’il ait été bien payé pour le clip de Charlie Winston et qu’il pouvait se reposer dessus pendant quelques mois, parce qu’on avait pas énormément d’argent à proposer ! (rire) On a emprunté des trucs à droite à gauche, on s’est débrouillé ! Et il aimait bien ma musique, il voulait participer.
Michael : Notre idée, c’est de trouver de super réalisateurs assez jeunes qui sont motivés et qui ne demandent pas trop d’argent !
Nous : Un peu comme des stagiaires, en gros ? Des mecs qui font tout le boulot et qui sont payés 417 euros ?
Adian : Plus ou moins ! (rire)

Montrer que je peux être un véritable artiste hip hop plus qu’un simple kicker

Est-ce que tu estimes que le fait d’être encore relativement discret, relax, ça te permet de t’affiner en tant qu’artiste, de construire véritablement et progressivement l’image que tu veux transmettre ?

Je pense, ouais. « Cream » est le premier morceau que j’ai fait pour ma nouvelle mixtape [ndlr, « Young World », qui sortira sous peu], je l’ai écrit sur une plage à Ibiza. Ma meuf pétait un câble, elle ne comprenait pas que je puisse avoir mes écouteurs dans les oreilles alors qu’on était tous les deux. J’ai le sentiment que je me livre beaucoup plus qu’avant sur ce disque, que je m’affirme davantage et que je laisse transparaitre certains trucs, chose que je ne faisais pas sur les mixtapes précédentes.

Certains (rares) commentaires en dessous de la vidéo de « Cream », sur Youtube, sont négatifs. Comment tu réagis par rapport à ça ? Tu te dis que t’aurais pu faire encore mieux pour les satisfaire ?
No man, « Cream » was dope ! (rire) Je pense avoir la chance d’être une personne capable d’accepter les critiques. Je lis tout, au contraire. Le mec qui me dit que ce que je fais c’est de la merde, je le lis aussi, certains aiment et d’autres n’aiment pas. Mais les mecs qui n’aiment pas, ils mentent. (rire) Je veux que mon produit final soit… (il se reprend) Si tu regardes cette vidéo et que tu me dis qu’elle est mauvaise, tu mens. Si tu fais quelque chose de qualité, tous n’aimeront pas, mais aucun ne pourra te dire que c’est mauvais. Peut-être que tu n’aimeras pas le son, mais tu reconnaitras le travail fourni.

Donc tu vois « Cream » comme l’occasion de mettre en avant ta technique, d’en mettre plein la vue. Mais tu dis que tu veux aussi davantage te confier, faire un peu du Drake, en gros. C’est ce qu’on peut attendre sur « Young World » ?
Hum… J’ai mis du temps à trouver le titre, d’ailleurs. Si je l’ai appelé comme ça, c’est parce que je me prends à raconter mon parcours, avec mes yeux de gamin. Il y a une track, par exemple, qui raconte une histoire, l »histoire d’un gamin qui grandit dans les rues de Londres. Mais pas dans l’idée « ouais, c’était dur, blablabla« , juste à travers mes yeux de gosse et ce que ça m’a inspiré. C’est juste la nature humaine, en fait. Tu racontes ce que tu as vécu de manière subjective. C’est pour ça que je ne te dirai pas que c’est du « Drake », c’est juste ce qui m’a inspiré à ce moment là. Parfois c’est drôle aussi, ça dépend de la touche que j’ai voulu y apporter. C’est beaucoup plus que ce j’ai pu donné jusqu’à présent, c’est sûr. J’essaie pas systématiquement de raconter une histoire, je ne pars pas d’un point A pour aller à un point B. C’est pas forcément « Sally a été l’école, elle été mise en cloque par… » (rire), ce genre de truc quoi.

Et qu’est-ce qui te donne envie de faire ça aujourd’hui ?
J’ai 25 ans maintenant… merde, j’ai 25 ans putain ! (rire) Il y a une track que j’ai appelé « Dream », à propos de mon ex. Je l’ai écrite quand j’étais encore avec elle. C’est tourné autour du fait que je faisais passer la musique avant elle et pour être honnête… c’est vrai.
Michael : J’arrêtais pas de lui dire que j’en pouvais plus de sa meuf !
Adian : Ouais, mais tout ça pour dire j’avais juste envie que cela soit bien plus personnel.

Tu es aussi producteur. Ca te donne la liberté artistique de faire complètement ce que tu veux, de A et Z ?
C’est sûr. Parfois j’écoute un truc parce que je connais le producteur, que je le trouve talentueux. Mais dès que je l’écoute, je me dis juste que je peux rentrer chez moi et le faire moi-même. Non pas que je le trouve inférieur ou quoi, juste que si je bossais avec lui… Il ne m’apporterait rien de plus que ce que j’ai déjà. Je ne veux pas aller chercher une prod chez quelqu’un en sachant que je suis capable de la faire moi-même. J’aime le développement, de faire des choses intéressantes avec la musique et ça je peux le faire tout seul.

Mais aujourd’hui, dans le paysage hip hop, les producteurs ont pris bien plus d’ampleur qu’à une certaine époque. Quand on pense à Alchemist, Clams Casino, Apollo Brown, Harry Fraud… ASAP Rocky ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans Clams Casino, par exemple. Tu ne penses pas que de t’auto-produire peut te limiter, d’une certaine manière ? Peut-être qu’un producteur peut t’aider à grandir en tant qu’artiste.
Le truc, c’est que j’ai commencé à rappé quand j’avais 13 ans, j’ai bossé avec plein de gens du coup. Avant, on sortait de l’école, on allait chez nos potes, chez des potes de potes, on rappait sur les prods du tout le monde, on testait toutes sortes de basses. C’est pas que je suis opposé à bosser avec d’autres producteurs, c’est juste que j’ai trouvé, pour l’instant, une formule qui marche bien pour moi : je me mets devant mon ordi, je fais mon propre beat et j’écris les lyrics que je vais rappel dessus. Si les gens n’aimaient pas la production mais qu’ils appréciaient ma musique, peut-être que je me dirai que je suis un bon rappeur mais que mes productions me freinent musicalement. Je ne le ressens pas comme ça en ce moment. Je pense que c’est quelque chose auquel je suis ouvert, mais je kiffe le faire comme ça pour l’instant.
Michael : Mais ça va venir, c’est sûr. Quand on voit des artistes comme J Cole, aujourd’hui il est obligé de bosser avec d’autres personnes parce que ces productions personnelles le limitent trop. Kanye West a commencé comme ça aussi, aujourd’hui il ne produit presque plus rien.

Du coup, quand tu conçois un morceau, qu’est-ce qui prévaut : les lyrics ou la production ? Tu commences par quoi ?
La plupart du temps, je commence par le beat. C’est plus dur, enfin je crois, d’écrire un couplet et de faire une production adéquat par-dessus. Quand tu commences par le beat, ton flow se calque immédiatement sur ce que tu entends, tu imagines déjà ce que tu vas kicker dessus. Mais ça n’enlève rien à l’importance des lyrics, c’est vraiment important d’avoir de bons lyrics…

Est-ce que c’est tout le temps le cas, en vrai ? Je suis pas sûr. Plein de morceaux sont assez sympas et les mecs ne disent rien de sensé dessus. Ca dépend de ton humeur au moment où tu enfiles ton casque, en gros.
Donne moi un morceau de Drake où les lyrics ne sont pas importants ?
Nous : « Thank Me Now » ? Non mais c’est aussi du fait qu’aujourd’hui, le rap anglophone n’est pas réservé à un public de bilingues. Beaucoup de gens peuvent kiffer un son en ne comprenant qu’une ou deux punchlines, juste parce qu’au moment où ils écoutent le son, le mélange flow + production leur suffit à les mettre dans l’ambiance dans laquelle ils veulent se sentir.
Adian : Ouais, c’est vrai. C’est très vrai. Mais pour moi, ils ont toujours été importants. J’en tire une vraie fierté, surtout quand t’as un mec qui vient te voir et qui te dit : « Au fait, t’as dit ça dans ce morceau » – Fuck yeah I sait that ! Ca me rend heureux, je ne veux pas faire une track où les gens seraient là : « Ouais, le beat est cool.«  (silence) C’est tout ? Ca devrait toujours être important. C’est le beat qui t’attire dans un premier temps, c’est sûr, mais ce sont les lyrics qui feront d’un morceau quelque chose dont tu vas te souvenir. « Pop That », par exemple, c’est un son d’été, rien de plus. Et encore, un seul été.

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