Le rap, c’était mieux avant. Combien de fois cette maxime idiote nous a-t-elle été crachée dans l’oreille ? Combien de fois a-t-elle sali nos tympans, usé nos nerfs et attisé notre agacement ? Vous, adeptes du syndrome de l’âge d’or, faites l’effort, pour une fois, de freiner la marche arrière qui rythme votre existence. Prenons de la hauteur et contemplons, ensemble, l’année que nous venons de vivre. Non, de cataclysme culturel il n’y a pas eu. Ni de déchéance rapologique. Rassurons-nous main dans la main, au coin du feu, près du sapin : jusqu’ici, tout va bien.
« Le rap c’est mieux, wesh« , dirait Disiz. Mais pas mieux avant, « le rap c’est mieux tout court ». En 2015 plus que jamais, notre rap existe. Il persiste. Les raisons sont multiples, de PNL qui scande « QLF » et nous évite la PLS aux autres nouveautés de cette cuvée 2015, année de la diversification, que l’on accueille avec un sincère « Bonjour ». Le rap de 2015 abat les illusions de certains qui y voyaient un genre monochrome, unique, voire gris. C’était sans compter le « boom » (bap ?) de la trap : certains petits frères ont déserté les terrains de « je défends une cause » pour gagner les dancefloor et faire danser un auditoire qui n’en avait jamais eu autant besoin. L’heure est à l’explosion d’un genre, dans le sens positif du terme. Élévation et divertissement font enfin bon ménage. Et même si tous les rappeurs ne sont pas nés sous la même étoile, jamais ils n’ont aussi été chacun à leur place sans que l’un ne regarde l’autre de haut. En 2015, Demi Portion et Jul cohabitent dans le même espace culturel. Et ça, c’est puissant.
Soyons heureux de voir que, malgré le retour aux fondamentaux qu’il demandait, Flynt nous balance des gros morceaux avec des productions type années 2010 qui nous font lever haut la main. Soyons heureux que Medine adapte la forme de son phrasé pour que le fond soit plus accessible. Soyons heureux, faisons péter Crystal et bouchon de liège parce que Kaaris a, enfin, réussi à construire un vrai morceau avec un artiste du pays de l’Oncle Sam, chose sur laquelle le rap français se casse les dents depuis bien trop longtemps. Parce qu’aujourd’hui, certes ce ne sont pas tous des durs, des boss, mais ce ne sont pas uniquement des dombis. Vous pouvez dire à Fabe que l’art de la fable a tout de même persisté. Enfin, n’êtes-vous pas content de voir Booba s’associer avec le duo de producteurs RnB parisiens Twinsmatic ? Si vous ne l’êtes pas, je sonne chez vous comme le room-service pour vous apporter la réponse : il faut l’être. Parce qu’en 2015 ça fait du bien de voir des artistes voulant se placer comme les King ayant envie de travailler avec Christine and The Queens. Soyons hardcore, prenons des risques et avançons comme avait pu le faire DJ Medhi en se lançant dans l’électro. Avançons comme lorsque Lacrim tente des choses sur son album, soulignons l’initiative musicale plutôt que de la blâmer. Remercions DJ Kore qui se charge de lui et réjouissons-nous que ce dernier prenne en main S.Pri Noir pour son premier album. Cet S.Pri Noir plein d’esprit qui tente des choses, que ce soit visuellement avec « Celte » ou musicalement avec « Vivre ou Mourir ». Remercions Myth Sizer, Blastar, Katrina Squad et Richie Beats, parmi tant d’autres.
Citons aussi le cas Alonzo qui a pris un virage à 2000 et roule sur la route du succès commercial tout en nous livrant quelques belles pépites – le très bon « Fini les ». Dans le même genre, on pourrait citer Dosseh qui bénéficie clairement d’un renouveau dans sa carrière, ou de l’appui des Illuminatis depuis leurs pyramides. Il y a aussi Mac Tyer qui, en plus de mener des actions plus que nobles dans son 93, teste des choses et fait l’effort de s’associer avec quelqu’un comme Gims. En clair, tu te retrouves autant pour faire des pompes et tractions ces dernières années que pour affronter les tempêtes de la vie – coucou Nekfeu. Mais rassurez-vous : de l’autre côté de l’échiquier, dans le même camp, à côté de la seconde tour, « l’underground » se porte encore très bien. Des projets de Haute Voltige comme le premier album d’Espiiem en passant par les deux disques d’A2H où il nous conte sa ride, sans parler de l’incroyable auto-psychanalyse à Huis-Clos de Vîrus… Les sonorités sont là et les modèles économiques aussi. Aujourd’hui, même les moins médiatisés sont aussi organisés que les plus connus : manager, attaché(e) de presse, structure. Les esprits s’organisent, les salaires sont distribués, les gamelles sont remplies. Certains artistes se permettent même de démontrer qu’ils n’ont plus besoin de personne si ce n’est de leur cercle, et vont jusqu’à « singer » des médias que l’on jugeait jusqu’alors indispensables. Suivez le regard. Les plus pugnaces finissent par percer comme nous le confiait Espiiem.
Et les plus pugnaces sont souvent curieux, s’ouvrent à l’étranger et tentent des choses. Oui, vous aussi vous avez zouké cette année. L’or a souvent différentes formes, les rappeurs l’ont apparemment bien compris aussi. La Seine-Saint-Denis a trouvé son style, sa scène et c’est sain. Tout comme les provinces l’ont trouvé et s’imposent de plus en plus. Finis les grands axes Paris-Marseille, plus besoin d’être un bad boy pour exploser. Et si Youssoupha s’était en fait trompé, et si tout ça n’était pas un éternel recommencement mais que l’on arrivait enfin à créer notre propre musique ? Fini les copier-coller, même si certains sans imagination persistent. Donc pas de quoi péter les plombs, pas besoin de se changer en pitbull. Il serait temps pour ceux qui ont du mal à vieillir avec leurs époques et leur musique de lâcher le steak. Ce n’est pas parce qu’on ne leur rend pas tous les jours hommage qu’on les zappe, le silence n’est pas un oubli. J’ose penser qu’Oxmo n’ait plus mal au MIC, parce qu’aujourd’hui toutes nos « Mama Lova » peuvent se retrouver à écouter du rap. Dans notre rue, en soirée ou seul chez soi, nous pouvons tous aujourd’hui trouver un son qui correspond à notre humeur. Que ton esprit parte en couille ou que tu ne cherches pas à comprendre, tu trouveras un son qui te corresponde. Et oui, désolé pour les plus conservateurs mais le rap vend en France. Oui, le rap est bankable et se doit de se placer comme un grand centre commercial de quartier : on y trouve différents magasins, de la grande surface à la petite enseigne, un petit marché de quartier et une imposante Fnac.
« Demain c’est loin », donc on ne va pas attendre dix ans pour juger notre époque actuelle et enfin être positif. Ne soyons pas cette génération sacrifiée qui ne profite pas d’elle même dans le moment présent. Tout n’est pas si facile, vous avez le droit de vous offusquer devant certaines galettes estampillées « rap », mais pas de quoi faire un manifeste. D’autant que les raisons d’être optimiste sont bien plus nombreuses. La nouvelle génération, déjà, semble avoir compris que le rapprochement artistique était à cultiver. L’heure est à l’union, à la progression collective d’un mouvement qui arrive enfin à maturité sans laisser personne sur le téco. La tracklist de Sheygueyvara 2 de l’amir Gradur est un symbole : Alonzo, Booba, Niska, Lacrim, Soprano, Black M, Nekfeu et Jul y figurent. Pas la came de bon nombre d’entre vous, on le sait. Mais à quand remonte une telle association de poids lourds dans la vente de disques ? Personne ne souhaite désormais rester dans son coin, et les machines à cash montrent l’exemple.
Vous trouvez désormais des disques où se côtoient Nekfeu et Booba. Alors oui malgré ce que certains médias peuvent penser et s’amusent à diffuser comme image, notre culture est. Nous sommes civilisés. Preuve en est les Casseurs Flowters qui ont ont débarqué sur Canal + en ce début d’année avec Bloqués. Cela ne s’arrête pas là ! Leur film Comment C’est Loin sort en salle en décembre, et la critique est pour le moment positive. Viendra ensuite en 2016 le long métrage Braquage où Kaaris tient un rôle principal. Rôle qui l’a obtenu après des essais. On prend désormais les rappeurs à leur juste valeur et comme tout le monde ils peuvent aspirer à différentes choses.
Bref, de quoi respirer non, de quoi sourire ? Rassurez-vous ça ne fait que commencer. On a longtemps essayé de nous faire croire que le ciel dans le paysage du rap était gris, que c’était mieux avant, que la trap tuait le rap … Plaçons nous comme un rayon de soleil, voyons tous les artistes du jeu comme un bel arc-en-ciel plutôt que comme des grosses gouttes de pluie qui viendraient tâcher les feuilles des anciens classiques. Parce qu’il y a des éclairs de génie dans tous ces morceaux. Donc à tous ceux qui veulent servir de paratonnerre à notre époque : que le slogan « le rap c’était mieux avant » repose en paix. Parce que, oui, notre rap d’aujourd’hui est validé(e).