Que dire à ton ami qui aime (trop) le dernier Kanye West ?

mercredi 17 février 2016, par SURL.

« Monstrueux ! »… « Ce mec est un génie »… « Encore un chef d’oeuvre »… Les formules magiques ne manquent pas à l’écoute de The Life Of Pablo dans le camp des irréductibles fans essayant de se convaincre de la suprématie de Kanye West. Histoire de crever l’abcès, on vous aide à contre attaquer en quelques arguments bien huilés, avec ce petit guide d’autodéfense musicale.

Wunderbar, excellentissime, lourd de ouf. Comme autant de superlatifs qui servent à caractériser l’ascension fulgurante et exponentielle de Kanye West depuis plus de dix ans. Ce qui semble avéré, c’est qu’en sept albums le natif de Chicago a signé pas mal de classiques. Mais aussi quelques ratés. De quoi se permettre de douter un tantinet de la dernière livraison en date. Ce n’est pourtant pas l’avis de votre ami Matthieu qui s’est chopé une hernie au doigt lundi matin à force de martyriser la touche F5 de son compte TIDAL. Depuis, il ne tarit pas d’éloges sur ce nouvel opus. Citant à longueur de statuts Facebook les lyrics de Kanye, il en devient aussi relou qu’un(e) ex vous bombardant d’SMS. Avant de commettre l’irréparable et de le signaler pour radicalisation, tentez le dialogue. Après nos conseils pour répondre à un ami qui n’aime pas le dernier Kanye West, voici, à l’inverse, un petit traité rhétorique qui vous aidera à battre en brèche tout fanatisme envers le rappeur-producteur-créateur star.

« C’EST LE TÉMOIGNAGE TOUCHANT D’UN HOMME RICHE ET CÉLÈBRE »

Toi, tu as l’air d’être du genre à passer tes soirées devant Enquête Exclusive pour te renseigner sur « l’état actuel de France ». Note que je ne critique pas, je retiens juste qu’un peu de poudre aux yeux te suffit à perdre ton sens de la raison. Avec cet album, Kanye West aurait effectivement pu délivrer une vision personnelle de la richesse et de la célébrité. Après tout, ses moindres faits et gestes sont épiés 24h/24, il a la colonie Kardashiantes sur le dos à longueur de journée et sa fille a déjà dû apprendre à coller des coups de boule aux paparazzis. Au lieu de rendre cette dure réalité attachante et d’essayer d’attirer un peu de compassion, Kanye West se retrouve pourtant à nous débiter cliché sur cliché. Quel intérêt d’entendre un millionnaire nous raconter sans aucune poésie qu’il se taperait bien Taylor Swift ? Qu’il se moque que Ray J ait cajolé sa femme en premier puisqu’il est riche ? Un peu plus loin, la peur de se faire chopper pour avoir des traces issues d’une partie fine avec mannequin ne nous donnera pas plus de frissons. Kanye frappe beaucoup, mais touche la transversale à chaque tir. Il avait deux possibilités : nous faire rêver par sa vie luxueuse et décomplexée ou tenter de nous faire comprendre la gueule de bois qui l’accompagne. À trop hésiter entre fromage ou dessert, il a fini par se retrouver à la fin du repas sans avoir mangé une miette.

« APRÈS LA musique, la mode : IL EXCELLE DANS TOUS LES DOMAINES »

Hey, on s’emmerde un peu là. Dans deux minutes tu vas nous dire que les ondes gravitationnelles auraient été découvertes grâce à Kanye West. Quand le mari de Kim Kardashian se découvre une passion pour les pulls noirs élimés et les dufflecoats vintage, on ne peut pas dire que Pierre Cardin se soit retourné dans sa tombe. Bon, Pierre Cardin n’est pas mort, mais tu m’as suivi. Entre deux tatouages triangulaires et une cuite au champagne, c’est avec un culot sensiblement proportionnel à sa largeur crânienne que Kanye s’est incrusté dans le game du prêt à porter. Résultat : entre ses collections de sapes que ne renieraient pas les fans de The Cure des années 80 et ses pompes orthopédiques, Yeezy a mis autant de balles au fond du filet que toi en troisième quand tu essayais de perdre ta virginité.

« IL A UNE STRATÉGIE DE MARKETING COMPLEXE »

Oh toi, tu es du genre à sortir des trucs en réunion le lundi matin du genre « le diable est dans les détails » ou « il faut regarder la forêt et pas les arbres », « un badbuzz c’est toujours du buzz » et autres conneries pondues par des gourous pubards. Si pour toi, le fait de teaser trois fois un nom d’album différent, de livrer un disque incomplet le jour de sa sortie, de tacler Wiz Khalifa sur Twitter et de se faire traiter de « finger in the ass bitch » par ton ex n’est pas un signe d’extrême instabilité mentale mais l’oeuvre d’un grand stratège médiatique, alors tu es irrécupérable. Trie tes mails, inscris toi au stage d’insertion de ta boîte et n’oublie pas de pré-commander le prochain Beigbeder pour frimer cet été sur la plage.

« IL EST TELLEMENT FORT QU’IL N’A PAS PEUR D’INVITER CHRIS BROWN »

Tu es taquin. Je te vois venir avec tes questions pièges qui me feraient passer pour un joueur du PSG à la langue bien pendue. Je ne te ferai pas le plaisir de critiquer si facilement celui qui sait si bien parler aux femmes – certes, avec ses poings. Et niveau entourage, on ne félicite pas plus la centaine de collaborateurs qui a travaillé sur l’album à en croire les crédits. Sur tout ce monde, pas un seul n’a été foutu de dire lui dire que ses lyrics étaient faiblards ? Que son manque d’inspiration se traduit par des répétitions systématiques dans ses couplets, comme sur cette ligne terminant par « fuck right now » sur « Freestyle 4 » ? Quatre fois de suite ? Pour info : les combos, c’est dans Street Fighter, pas derrière le micro. Personne non plus n’a cru utile de lui préciser qu’un morceau comme « I Love Kanye » ne devait pas sortir de la salle de bains dans laquelle il s’enferme en solitaire, entre miroir géant, pétales de roses et bougies chaleureuses, pour s’auto-congratuler ? Dans ce cas il marque au moins un point : les « Real Friends » se font rares. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les vampires croqueurs de morceaux. Demandez à The Weeknd pour le mode d’emploi. Mais quand sur ses propres titres on en vient à espérer entendre un peu moins Kanye, c’est qu’il est temps de passer à autre chose. Je plaisantais, repose ce CD de Chris Brown.

« TU EXAGÈRES, IL A DES LYRICS INSPIRANTS »

Ok.

« I bet me and Ray J would be friends, if we didn’t love the same bitch. Yeah, he might have hit it first. Only problem is I’m rich. »

« Imma bust a coach’s head open on some Diddy shit. »

« Cover Nori in lambs wool, we surrounded by, the fucking wolves. »

« 21 Grammys, superstar family, we the new Jacksons. »

« You left your fridge open, somebody just took a sandwich. »

« Now if I f**k this model. And she just bleached her asshole. And I get bleach on my t-shirt. Imma feel like an asshole. »

« Well I guess a blowjob’s better than no job »

« I remember being nervous to do Victoria Secret. Till I pictured everybody with they clothes off. »

« YOU GET A FUR YOU GET A FUR. YOU GET A JET YOU GET A JET. BIG BOOTY **** FOR YOU. »

Tu as deux heures.

« Arrêtez de lE comparer à Kendrick Lamar, ça n’a rien à voir ! »

Oui, tu as raison. Mais pas entièrement. Il est évident qu’on ne peut comparer deux artistes si différents, à la portée si distincte. Ce serait comme essayer de déterminer quoi du canard ou du poulet est le plus agréable en bouche. Ça dépend de la recette, du cuisinier et du moment. Mais en tant qu’artistes majeurs de notre époque, indépendamment même de ce qu’ils proposent, Kanye et Kendrick peuvent être confrontés dans la manière avec laquelle ils distillent leur art. Or les tartines de tweets de Yeezy et multiples débordement regrettables rendent indéniablement plus délicate l’appréciation de sa musique, de ses créations. Là où l’un fait mouche à chacune de ses sorties tout en s’efforçant de rester le plus discret et pudique possible, l’autre en fait toujours trop et pousse à l’overdose. L’ultime good cop/bad cop. « I miss the sweet Kanye, chop up the beats Kanye. »

« IL FAUT BEAUCOUP DE MATURITÉ POUR PASSER OUTRE SA FOLIE, CARACTÉRISTIQUE DE TOUS LES GÉNIES »

Oui, nous aussi avons écouté l’album. Donc nous avons forcément retenu la phase dans « Feedback » où il justifie ses écarts : « I can’t let these people play me / Name one genius that ain’t crazy. » Mais être fou, artistiquement libre et complètement désinhibé n’excuse pas le manque de cohérence. Il n’y a rien de pire pour un artiste que d’être une girouette, que de dire tout et son contraire selon les humeurs et les époques. Quand Kanye West se contredit, il brise le lien durement établi avec son audience, souvent propre à chacune des personnes qui l’écoutent. Peu importe le message, peu importe d’y adhérer ou pas : l’artiste est défini par un discours et une ligne qu’il est tenu de maintenir. Quand Yeezy attaque Bill Cosby dans « FACTS » avant de finalement clamer l’innocence du bonhomme sur Twitter, il trouble. Quand il fait virtuellement la manche, explique maladroitement être endetté, pointe du doigt les priorités de certains – « you’d rather open up one school in Africa like you really helped the country… » – avant de rappeler finalement qu’il est « personally rich » et capable d’acheter fourrures et baraques pour sa famille, il épuise. Vous avez remarqué les silhouettes des mannequins mises en avant lors de son show au Madison Square Garden ? Peu d’entre elles dépassaient les 40 kg. Pourtant, quelques mois auparavant, il s’insurgeait sur le plateau du Breakfast Club contre ces standards de beauté : « My daughter has a chance of being shaped like my wife, so between this age until the age when she’s like that, I’m gonna be fighting for that shape to be considered the highest of class. Or at least equal to what someone looks at a skinny model for. » Trois exemples parmi beaucoup d’autres. Vous allez nous dire que ce n’est pas directement lié à sa musique mais se serait omettre que Kanye West lui-même ne se définit pas seulement comme un musicien. Il faut le prendre dans son ensemble et appréhender son art comme un tout. Or, en tant qu’artiste discordant, il irrite.

« SANS LUI, BEAUCOUP D’ARTISTES NE SERAIENT PAS ARRIVÉS AU SOMMET »

Bon, là tu as raison. Après tout que serait DSK sans les putes ou Donald Trump sans les mexicains ? Barack Obama lui même doit certainement remercier Kanye tous les jours de lui avoir permis d’accéder à la présidence, et Dieu en personne, dans son infinie miséricorde, voue un culte à celui qui lui a permis de siéger au paradis.Ceci dit, en terme d’ascension vu les clopinettes que les feat de TLOP ont à se partager, on est plus dans la balade mains dans le dos au Mont Ventoux le dimanche que dans l’escalade de l’Everest. Et maintenant, tu te déconnectes de Facebook, ok ?

« KANYE WEST EST JUSTE LE MEILLEUR QUAND IL S’AGIT D’UTILISER DES SAMPLES »

Alors là, on t’arrête tout de suite. Mais alors tout de suite. On veut bien que l’ami Kanye soit doué pour choisir les samples, et on admet qu’il possède une très bonne culture musicale et qu’il a l’oreille pour choisir les meilleurs morceaux à sampler dans sa collection de vinyles. Mais clamer que Kanye West est le Dieu vivant du sampling, c’est un peu méconnaître le sujet. Si tu sortais ton nez des slips de Kanye, tu verrais que l’histoire regorge de (vrais) scientifiques du sample. Range les bouquins qu’on t’as donné au lycée et plonge dans les racines du hip-hop, tu verras que des mecs balaises en matière de samples, il en existe, et ce sont loin d’être des guignols. Des mecs comme Black Milk, Apollo Brown ou Madlib donnent le biberon à Yeezy quand il s’agit de composer à partir de samples. D’ailleurs, ce n’est pas étonnant que le dernier cité se cache derrière l’une des pépites de l’album, « No More Parties In L.A. ». Et tout ça sans tricher, comme Kanye qui fouille dans sa propre discographie pour sampler des morceaux comme « Famous » – qui possède des interpolations de « Wake Up Mr West » et « Good Morning ». La question se pose donc : notre cher ami Ye serait-il en manque d’inspiration ? Peut-être. Même s’il reste capable de fulgurances au point de sampler le jeu Street Fighter II sur « Facts », si tu regarde bien les crédits de The Life Of Pablo, tu verras que Kanye n’est jamais seul pour composer ses morceaux. Tu pourras arguer jusqu’à l’étouffement que c’est la conjugaison des talents qui rend l’album aussi génial, il n’en demeure pas moins que si Yeezus est le sauveur de tout un peuple, il n’est pas celui de l’art du sample.

« AU LIEU DE RAGER, APPRÉCIE L’OEUVRE D’UN MEC QUI NE SORT PAS DES TITRES TOUS LES 15 JOURS »

Ça tombe bien que tu dises ça, parce que deux nouveaux morceaux viennent de tomber sur la toile, une semaine après la sortie « officielle » de l’album. Avoue que toi non plus tu ne sais pas trop sur quel pied danser ?

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