Rezinsky : « La contradiction forge la personnalité »

mercredi 29 juin 2016, par Etienne Anthem. .
Un style, deux gueules, un héritage revendiqué et surtout une volonté de faire bouger les lignes : Rezinsky s’est imposé comme le groupe à suivre avec leur projet Les Hérétiques. Pour ce duo à part dans l’hémisphère du rap français, les lignes ne semblent exister que pour être franchies. Raison de plus d’aller à leur rencontre et parler de fragilité, d’Alain Soral et du mystérieux « rap de blanc ».

Ils déboulent sur scène avec les bonnets rouges de leur Bretagne fétiche, servent l’apéro à leur public, se perchent sur des tables pour mieux surplomber l’audience, et ne font décidément rien comme les autres. Pour la release du second volume de leur projet Les Hérétiques, Pepso Stravinsky et RezO avaient investi le New Morning en mai dernier. L’occasion était belle de revenir sur le parcours d’un des duos les plus intéressants du rap français contemporain.

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SURL : Est-ce que vous pouvez nous parler de la naissance de Rezinsky et de votre rencontre ?

Pepso Stavinsky : RezO est de Rennes, et il anime une émission de radio, « Nex’ RezO« , depuis 18 ans. En 2011, un groupe de Rennes – ArtIsAnal – qui étaient potes avec Rezo m’ont contacté pour faire un feat sur leur album. Je suis venu l’enregistrer à Rennes dont je suis tombé amoureux. J’ai enregistré un premier album là-bas, un EP, et puis les deux Rezinsky, et d’autres projets. J’ai pas mal connecté avec Micronologie à l’époque.

RezO : Quand il est venu enregistrer avec ArtIsAnal, ils ont enregistré dans mon studio, c’est comme ça qu’on s’est connectés. Suite à ça on a pas mal chillé, on a fait des soirées ensemble. Ça a été un rapport d’amitié avant toute chose. Quand il a fait son album, il m’a invité. Moi je faisais à cette époque l’album avec K.Oni qui s’appelait Réflexion. On l’a invité dessus, et je l’ai aussi invité sur mon album solo. On a continué à bosser, et puis un jour, Pepso a fait une interview dans laquelle il disait qu’il allait s’éloigner des consonances hip-hop traditionnelles, qu’il allait partir vers un truc un peu plus électro. Pepso disait qu’il allait sûrement être amené à bosser de moins en moins avec d’autres personnes. En tant que pote, je l’avais charrié: « ah ouais, tu veux plus bosser avec moi ? ».

 

« C’est deux personnes qui vivent dans des univers assez différents, et qui s’emmènent hors de leur terrain de prédilection »

 

Tu ne comprenais pas sa démarche ?

R : Je comprenais tout à fait, puisqu’en fait à la base, c’est ce qui crée l’univers Rezinsky. On n’a pas du tout les mêmes références musicales. J’ai commencé à lui envoyer des beats. Un, deux. Il a kiffé le premier et il m’a dit : « celle-là, on va la kicker, rien à foutre de ce que j’ai dit en interview. » Puis on en a fait un deuxième. On a suivi ce processus sur trois-quatre morceaux. Et je pense que c’est sur le troisième qu’on a fait, qui est devenu « WASP » avec Pan d’Or et Nob, qu’on s’est dit: « tiens, on va faire un clip avec eux. » Et c’est sur ce clip là qu’on s’est dit: « tiens, on va s’appeler Rezinsky, on va monter un groupe. »

P : On a trouvé le nom quand on a sorti le clip.

Et donc tu as pris Pepso au mot, ça t’a poussé à faire évoluer ton son ?

R : Pas forcément, c’était comme un jeu pour se chambrer. Après, si t’écoutes l’album avec K.Oni ou mon album solo, je suis très axé boom bap/soul des nineties. On le retrouve dans toutes mes références à RZA ou à Pete Rock, dans le choix des samples. Avec Pepso, ça m’a a amené à changer d’univers, mais pas radicalement. Plutôt à le modeler, parce qu’on voyait qu’on était dans un processus de création à deux. Pas un beatmaker qu’on vient chercher pour un univers. Non, là c’est deux personnes qui vivent dans des univers assez différents, et qui s’emmènent hors de leur terrain de prédilection.

Et toi Pepso, tu es un peu plus jeune, qu’est-ce qui t’a fait tomber dans le rap ?

P : A chaque fois qu’on me pose cette question, après ça tombe en titre de l’article (rires). Le premier truc que j’ai acheté, c’était une cassette de Doc Gynéco, et j’ai saigné la cassette. J’ai d’abord surtout écouté du rap français. Mais j’ai très vite acheté Skulls and Bones de Cypress Hill.

Du « rap de blanc », un peu?

P : Ouais, un peu.

C’est quoi cette histoire de rap de blanc, d’ailleurs ? Il y a une intro assez marrante au début de « Petit Pain Blanc », c’est un extrait d’une vraie émission radio ?

R : Ouais, c’est une interview du beatmaker Nodey. Le journaliste parle de l’invité de la semaine d’après, qui est Rezinsky, et Nodey lui demande si c’est bien. Et le journaliste lui dit : « c’est pas mal, c’est différent. » Alors Nodey lui dit « quand tu dis différent, c’est du rap de blanc? » Et donc on a rigolé, et on a demandé à Nodey si on pouvait l’utiliser.

 

« Dans la chanson française, on disait pas « il a fait une chanson de fumeurs de gauloises et d’alcooliques » »

 

Ce qui m’amène à cette question qui fâche : c’est quoi le rap de blanc ?

R : C’est les gens qui cherchent tout le temps à définir les choses, qui en ont besoin pour se rassurer. Mettre des étiquettes ou des cases parce qu’il faut ranger les choses. Nous on fait juste du rap, en fait.

P : Moi à la base je suis un passionné. Maintenant, sur les projets de Rezinsky, on s’échappe peut-être du rap d’une certaine manière, parce qu’on veut raconter autre chose que du rap. On veut raconter tout ce qu’il y a dans nos vies à côté. Tout ce qui nous touche. On parle essentiellement de sentiments, que ce soit quand t’écris des textes ou que tu composes de la musique. Et ça c’est plus un choix d’identité, je ne vais pas parler pour les rappeurs. Et même moi, je n’ai plus ce côté fanatique que je pouvais avoir avant. Je saignais les albums de rap, mais j’en écoute presque plus, parce qu’il y a d’autres choses dans la vie qui m’intéressent. En ce qui me concerne, ça va être les filles, la déambulation… C’est un peu ces thèmes, le côté un peu noir de la fête, pour faire bref. Et ça, ça va être classé en rap de blanc.

R : Parce qu’il n’utilise pas les codes classiques du rap.

P : Et peut-être qu’après il y a aussi le côté chevelu, rap de blancs. Alors qu’on est juste à faire du rap, comme des passionnés à la base. Mais les codes je m’en fous complètement. Ce qui m’intéresse c’est l’identité. Quand j’écoute un artiste, j’ai besoin d’une forme de technique. Mais si l’identité me parle vraiment, c’est ça le plus important. J’ai pas envie qu’on dise : ils font du « rap de blancs », ils font du « rap de noirs », ils font du « rap de femmes. » Dans la chanson française, on disait « il fait du Gainsbourg », « il fait du Brel », on disait pas « il a fait une chanson de calvitie » ou « il a fait une chanson de fumeurs de gauloises et d’alcooliques. » Et le rap c’est devenu tellement riche, aujourd’hui il y a tellement d’identités, qu’on devrait dire « il fait du Rezinsky », « il fait du Grems. »

A la fin de « WASP », tu dis « non jeune fille, tu ne me verras jamais chialer ». Et dans « Rezinshit », sur le tome 2 de Les Hérétiques, tu dis: « je veux préserver la sensation de l’émoi / J’ai jamais eu peur de chialer devant une fille, moi ». Est-ce que tu as évolué sur le sujet, ou bien est-ce que tu revendiques une fragilité ?

P : J’ai vraiment pas peur des contradictions, et j’écris sur des humeurs. Je peux dire tout et son inverse. La deuxième raison, c’est que ces humeurs, je les prends comme des personnages. A chaque humeur correspond un morceau, et à chaque morceau correspond un personnage. En plus, je prends l’écriture comme de l’auto-fiction, donc je parle autant de choses réelles que de fantasmes. Et par rapport à « WASP », « Rezinshit » est plus ancré sur la réalité, par rapport à moi dans la vie. Quand on a écrit « WASP », on avait dit qu’on faisait un son sur les sentiments. Et j’ai vraiment voulu écrire sur une espèce de Bel-Ami, un dandy d’aujourd’hui, une espèce de Don Juan. Après, revendiquer une fragilité, non, pas du tout. « J’ai jamais eu peur de chialer devant une fille, moi », c’est parce que beaucoup jouent les bonhommes. C’est un pied de nez par rapport aux rappeurs en fait. Beaucoup jouent les bonhommes et diront jamais ça. Et ça m’intéresse de faire des rimes comme ça, je les trouve marrantes.

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Dans un son sur l’album tu dis : « tocards, ces hommes Femen qui invoquent Soral et lui font faire des bénéfices ». Ce rapprochement entre deux bords qui se présentent comme opposés, c’est par goût de la provoc’ ? C’est un positionnement politique ?

P : C’est peut-être un peu politique. A un moment, il y a beaucoup de gens qui me soûlaient avec Soral. Ils se présentaient comme opposés, mais c’est plus pour le côté extrême. A la limite, je m’en fous de Soral. C’était plus par rapport aux gens qui m’en parlaient, ils cherchaient toujours à me convaincre. Y’a un côté provoc’ : je suis pas d’accord avec vous, et j’ai même pas envie d’en parler. Les extrêmes me font chier. Tu peux avoir des propos extrêmes, mais le mode de vie extrême me fait un peu chier. Parce qu’il y a ce côté « je fais ça et rien d’autre. »

Tu as du mal avec le militantisme ?

P : Même si c’est pour une bonne cause, des fois j’ai l’impression que chez les militants, le côté positionnement devient plus important que l’idée en elle-même. Moi j’ai envie d’avoir tort, j’ai envie qu’on me contredise. J’ai envie d’apprendre des choses chaque jour. Des fois je ferme ma gueule, des fois je l’ouvre. J’ai envie de me remettre en question. J’ai pas envie d’être le même le soir que le matin, et garder ce même positionnement, c’est ça le côté extrême qui me lasse. Et puis ce côté « invocation », parce que j’avais l’impression que Soral, putain, c’était le messie. Alors qu’en termes de contradictions, ce mec a une vie contradictoire de A à Z. C’est ça qu’est ouf.

Mais il n’en parle pas, finalement. Toi t’aimes bien assumer les contradictions dans ton art ?

P : Ah bah oui.

C’est un moteur important de ton écriture ?

P : Oui parce que pour moi c’est une des bases de l’humain. La contradiction, c’est ce qui forge la personnalité, mais c’est toujours ce côté : « ne me mets pas dans une case, parce que demain si ça se trouve, je serai dans l’autre. » Même moi je le sais pas en fait, parce que je suis un humain.

À lire aussi : « Resinsky, le rap à la recherche des hérétiques ».

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